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SUR LE PRÉTENDU CULTE

RENDU

PAR LES ANCIENS ÉGYPTIENS

A QUELQUES LÉGUMES

Par M. J.-G.-H. Greppo

VICAIRE-GÉNÉRAL DE BELLEY

CORRESPONDANT DE L'INSTITUT DE FRANCE, DE L'ACADÉMIE DE TURIN, DE LA SOCIÉTÉ ROYALE ACADÉMIQUE DE SAVOIE, ETC.

Aucun écrivain de l'antique Egypte ne nous est connu jusqu'ici, et tous nos documents sur l'histoire de cette contrée, si curieuse à étudier, nous viennent d'auteurs qui lui étaient plus ou moins étrangers, qui vécurent à des époques relativement récentes, et qui souvent purent être influencés, les Romains surtout, par des préventions défavorables. Les explorations et

les découvertes de notre siècle, tout importantes qu'elles sont, n'ont pas atteint les résultats plus complets qu'elles promettent à l'avenir : il y a, et il y aura long-temps encore bien des points des antiquités égyptiennes au sujet desquels on ne peut que flotter incertain entre des idées fausses ou exagérées, transmises par les écrivains de la Grèce et de Rome, et des aperçus qui tendent à les rectifier en les réduisant à leur juste valeur.

Telle est notamment une donnée historique dont notre enfance a été imbue par des traditions et des lectures, sans que les narrateurs des unes et les auteurs des autres en eussent toujours bien étudié les sources, ou qu'ils aient pris la peine de nous les faire connaître. Je veux parler de l'opinion, si généralement admise, que les habitants de l'Egypte adorèrent parmi leurs dieux l'oignon et d'autres végétaux de la même famille. Elle nous a été présentée comme un fait positif; et cependant, si elle a quelque fondement chez les auteurs anciens, d'autres indices non moins respectables semblent la contredire, ou la modifier singulièrement. Que doit-on croire à ce sujet ? telle est la question que je me propose de vous soumettre, Messieurs. Elle a déjà été discutée plus d'une fois par des hommes de mérite qui l'ont envisagée diversement: en France, le sage et judicieux Goguet a dit beaucoup en quelques lignes sur ce fait singulier,

qu'il a jugé fort contestable (1); en Allemagne, Frẻdéric Schmidt, pour en établir la réalité, a traité la question bien plus complètement (2); à Rome, un des plus savants archéologues du dernier siècle, Zoëga, dont l'opinion se rapproche de celle de Goguet, a ajouté plus d'une observation intéressante à celles de ses devanciers (3). Quand j'essaie de traiter le même sujet après ces hommes distingués, j'aurai sans doute peu de données nouvelles à apporter, mais en réunissant ce qui est épars, je pourrai le présenter, ce me semble, sous un jour nouveau.

Le plus ancien, je crois, et assurément le plus connu des auteurs qui accusent les Egyptiens d'un tel culte, est le grand satirique romain. Dans une pièce dirigée en grande partie contre ce peuple célèbre, il tourne en ridicule ses dieux, ses animaux sacrés, et dit avec sa verve mordante et caustique (4) :

Porrum et cepe nefas violare et frangere morsu.
O sanctas gentes, quibus hæc nascuntur in hortis
Numina !......

(4) De l'origine des lois, VI, 2; tome I, page 345 de l'édition in-4°.

(2) De cepis et alliis ab Ægyptiis cultis, dans ses Opuscula, p. 71-96.

(5) Numi ægyptii, note 199, pages 118-121. (4) Sat. V, v. 9.

Si Juvénal était le seul à parler ainsi, on pourrait être tenté d'avoir ici quelque défiance, et de mettre son assertion sur le compte du poète satirique prévenu contre une nation étrangère aux coutumes romaines, dont la religion mystérieuse fut proscrite plus d'une fois par le sénat (1). On y serait d'autant mieux fondé, que dans cette même satire il manque évidemment d'exactitude sur d'autres particularités des cultes égyptiens.

Mais l'imputation que leur fait ici le poète est confirmée par quelques écrivains des âges suivants : ce sont des auteurs chrétiens habitués, comme on sait, dans leurs controverses avec les Gentils, à signaler ironiquement en toute occasion les absurdités des religions païennes. Je citerai d'abord deux poètes, Prudence et Sedulius. Le premier parlant aux Romains de leur culte pour les dieux lares et le foyer domestique, lui compare en ces termes celui que les habitants de l'Egypte rendaient aux légumes de leurs jardins (2):

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(1) Dion., Hist. rom., XL, 142; XLII, 198. - Valer. Maxim., Memorale, I, 5. - Joseph., Joseph., XVIII Antiquit., Tertullian., Apologet., VI; Adv. Nation., 1, Arnob., Adv. Gent., 1, 75.

III, 4.

10.

-

(2) Peristeph., X, v. 259.

Adpone porris religiosas arulas,

Venerare acerbum cepe, mordax allium.

Fuliginosi thure placantur lares,
Et respuuntur consecrata oluscula;
Aut unde major esse majestas focis,
Quam nata in hortis sarculatis creditur?
Si numen ollis, numen et porris inest.

Ailleurs, il parle encore plus positivement, plaçant ces dieux végétaux sur la même ligne que Serapis (1):

Vilia Niliacis venerantur oluscula in hortis :
Porrum et cepe deos imponere nubibus ausi,
Alliaque, et Serapin cœli super astra locare.

Sedulius dit aussi dans une longue énumération des divinitės païennes (2):

Nonnulli venerantur olus, mollesque per hortos
Numina sicca rigant, verique hac arte videntur
Transplantatorum cultores esse deorum.

Il y a plus d'autorité, avec moins de détail, dans un passage de saint Chrysostôme, lorsqu'il compte ces mêmes légumes parmi les dieux que la démence

(1) In Symmach., II., v. 865. (2) Carm. pasch., I, v. 257.

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