Imágenes de páginas
PDF
EPUB

sente une fleur ou un fruit avec sa tige recourbée (1) Cette tige est bien marquée, en effet; mais on peut croire que le végétal auquel elle appartient n'est autre chose qu'un oignon.

Il faut maintenant tirer les conséquences de tout ce que j'ai rapporté. La première, qui me paraît assez évidente, c'est que ceux qui ont attribué à toute l'Egypte cette horreur ou ce respect pour l'oignon et autres végétaux de même nature, quelqu'en fut le motif que je n'examine pas encore, ceux-là, dis-je, ont trop généralisé un fait tout spécial, et qui ne concernait que la seule ville de Péluse. Mais par rapport à celle-ci encore, à quoi peut se réduire le fait, tel qu'il est duement constaté? s'agissait-il d'une simple abstinence, d'un respect religieux, ou d'un culte proprement dit? Voilà une question plus importante et plus difficile ; pour y répondre jetons un coup d'œil rétrospectif sur les témoignages de l'antiquité qui ont été cités.

Comme on l'a vu, la plupart de nos auteurs ne font guère que constater le fait matériel de cette abstinence, qu'elle fût pratiquée par les prêtres, par les initiés, ou par toute la population pélusiote. Cependant, parmi les causes diverses qu'ils indiquent, on peut remarquer

(1) Précis du syst. hiérogl., p. 25.

le sentiment religieux signalé par saint Jérôme, quoiqu'en termes un peu vagues. Ce que le philosophe Sextus dit des initiés aux mystères de Jupiter-Casius confirmerait cette pensée. Mais il y a loin de là à ce que dit Lucien lorsqu'il fait de l'oignon une des divinités de Pèluse; et ici je reprends la question que j'ai posée plus haut sans la résoudre doit-on admettre cette assertion dans toute sa rigueur ? Cette fois je n'hésiterai pas à répondre que je ne le pense pas. Avec tout le piquant de son esprit caustique, on peut dire que cet auteur, sorte de Voltaire païen, n'a qu'une assez faible autorité en histoire, et que l'impiété dont il fait profession partout avec un cynisme remarquable, le rend fort suspect surtout lorsqu'il parle d'objets religieux. Ici de plus il peut être réfuté dans ce qu'il dit même des animaux sacrés de l'Egypte et du culte qu'on leur rendait, suivant lui, comme à l'oignon de Péluse.

C'est bien, il est vrai, une opinion généralement reçue que les Egyptiens mettaient ces animaux au nombre de leurs dieux. Ainsi en avaient jugé les Grecs et les Romains qui visitèrent dans l'antiquité l'empire des Pharaons et des Ptolémées. Ils voyaient avec étonnement les soins religieux dont on les entourait, leurs images peintes ou sculptées de toutes parts, et entrant même comme éléments dans les inscriptions mystérieuses dont les monuments de cette contrée

étaient chargés, leurs cadavres embaumės, comme pour lutter avec la mort. Il est peu surprenant qu'ils aient conclu de là que ce peuple singulier en tout, rendait un culte divin à des animaux qu'il traitait avec tant de respect. Mais cette conséquence était-elle nécessaire? et, sans démentir aucun fait historique, ne pourrait-on pas supposer que si des oiseaux, des poissons, des quadrupèdes ou des reptiles étaient revêtus ainsi d'un caractère religieux, c'était uniquement parce qu'ils étaient consacrés à quelque divinité dont ils devenaient les attributs? On sait assez que les dieux de l'Egypte étaient souvent représentés avec des têtes d'animaux sur des corps humains: Ammon avait celle d'un bélier; Athon, celle d'une vache ; Thoth, celle d'un épervier ou d'un ibis, etc. Mais souvent aussi ces mêmes animaux étaient employés pour figurer les mêmes dieux; ils devenaient ainsi les images abrégées ou les emblèmes, si l'on aime mieux, de ces divinités. C'est ainsi que chez les Hellènes et les Romains, l'aigle, le griffon, la colombe étaient consacrés à Jupiter, à Apollon, à Vénus, etc.; et que leur représentation sur les monuments, et particulièrement sur les médailles des villes, sont pour nous autant d'indications certaines du culte que ces dieux y recevaient. C'est ainsi, si je puis me permettre une comparaison plus juste, mais empruntée à des idées religieuses d'un ordre bien autrement respectable,

c'est ainsi que des animaux sont devenus depuis bien des siècles les symboles des Evangélistes; types indiqués par les écrivains ecclésiastiques et puisés dans les livres saints, mais qui n'ont été figurés dans les monuments de l'art chrétien que dans les bas-temps, vers les commencements de l'époque que nous appelons le moyen-âge.

Au reste, il n'était pas besoin d'aller en Egypte pour trouver dans l'antiquité des animaux sacrés logés et entretenus dans les temples des dieux : j'en rappellerai seulement deux exemples bien connus. Athénée nous apprend que dans le temple célèbre que Junon avait à Samos, des paons étaient gardés en l'honneur de la déesse (1), dont cet oiseau était le principal attribut, souvent représenté avec elle ou seul, sur les médailles de cette île. On peut aussi, je crois, mentionner à Rome un fait analogue, les oies nourries dans l'enceinte du Capitole aux frais du trésor public, en souvenir du service que ces animaux, si peu intéressants par eux-mêmes, avaient rendu à la ville de Romulus, lorsque leurs cris la sauvèrent d'une surprise des Gaulois (2). Mais ni les paons de la Junon

(1) Deipn., XIV, 655 I. (70).

(2) Plin., Nat. hist., X, 22 (26); cf. liv. Hist. V, 47, etc.

Samienne, ni les oies du Capitole ne furent jamais des dieux pour les Grecs et les Romains. Pourquoi en aurait-il été autrement des animaux sacrés de l'Egypte? rien ne nous le révèle.

Il y a bien plus de motifs pour raisonner de même au sujet des légumes que l'on veut avoir été adorés par les Egyptiens; à Rome aussi, comme dans la Grèce, des arbres, des plantes, des fleurs et des fruits furent consacrés aux dieux, et reçurent par là un caractère sacré. Je n'ai pas besoin de rappeler que Jupiter eut ainsi le chêne, Apollon, le laurier, etc. Nous ne manquons pas de données sur l'origine historique ou fabuleuse de ces consécrations, parce que nous connaissons beaucoup mieux l'histoire et les mythes de la Grèce et de Rome que ceux de l'Egypte. Nulle part cependant, nous ne voyons que de tels végétaux aient été considérés comme des dieux, et adorés à ce titre. Chez les Egyptiens même, nous trouvons aussi quoique plus rarement, des plantes qui eurent les honneurs de semblables consécrations, le lotus, la persea, etc.; mais on n'a jamais dit qu'elles y fussent adorées. L'oignon et les légumes ses frères auraientils seuls été l'objet d'un culte exceptionnel, tandis que leur relation avec les dieux égyptiens nous reste toutà-fait inconnue? Cela ne paraît guère probable : il est plus naturel de présumer que s'ils eurent un caractère sacré sur quelque point de cette contrée, ils le durent

« AnteriorContinuar »