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ANTIGONE.
J'ai su que Polynice a gagné la victoire,
Et qu'Hémon a voulu les séparer en vain.

CRÉ ON.
Madame, ce combat est bien plus inhumain.
Vous ignorez encor mes pertes et les vôtres ;
Mais , hélas ! apprenez les unes et les autres.

ANTIGONE.
Rigoureuse fortune ! acheve ton courroux!
Ah! sans doute, voici le dernier de tes coups.

CRÉON.
Vous avez vu, Madame, avec quelle furie
Les deux Princes sortoient pour s'arracher la vie :
Que d'une ardeur égale ils fuyoient de ces lieux,
Et que jamais leurs cæurs ne s'accorderent mieux.
La soif de se baigner dans le sang de leur frere
Faisoit ce que jamais le sang n'avoit su faire,
Par l'excès de leur haine ils sembloient réunis
Et prêts à s'égorger ils paroissoient amis.
Ils ont choisi d'abord pour leur champ de bataille
Un lieu près des deux camps, au pied de la inuraille.
C'est là que, reprenant leur premiere furcur ,
Ils commencent enfin ce combat plein d'horreur.
D’un geste menaçant, d'un oil brûlant de rage,
Dans le sein l'un de l'autre ils cherchent un passagc;
Et la seule fureur précipitant leurs bras
Tous deux semblent courir au-devant du trépas.
Mon fils, qui de douleur en soupiroit dans l'ame,
Et qui se souvenoit de vos ordres, Madame,
Se jette au milieu d'eux, et méprise pour vous

Leurs ordres absolus qui nous arrêtoient tous.
Il leur retient le bras, les repousse, les prie,
Et pour les séparer , s'expose à leur furie ;
Mais il s'efforce en vain d'en arrêter le cours,
Et ces deux furieux se rapprochent toujours.
Il tient ferme pourtant, et ne perd point courage:
De mille coups mortels il détourne l'orage,
Jusqu'à ce que du Roi le fer trop rigoureux,
Soit qu'il cherchât son frere, ou ce fils malheureux,
Le renverse à ses pieds prêt à rendre la vie.

ANTIGONE.
Et la douleur encor ne me l'a pas ravie ?

CRÉON. J'y cours, je le releve et le prends dans mes bras; Et me reconnoissant : « Je meurs, dit-il tout bas, » Trop heureux d'expirer pour ma belle Princesse , » En vain à mon secours votre amitié s'empresse ; » C'est à ces furieux que vous devez courir : » Séparez-les, mon pere, et ine laissez mourir. » Il expire à ces mots. Ce barbare spectacle A leur noire fureur n'apporte point d'obstacle ; Seulement Polynice en paroît affligé : << Attends, Hémon, dit-il, tu vas être vengé. » En effet, sa douleur renouvelle sa rage , Et bientôt le comba: tourne à son avantage. Le Roi, frappé d'un coup qui lui perce le flanc , Lui cede la victoire , et tombe dans son sang. Les deux camps aussi-tôt s'abandonnent en proic, Ie nôtre à la douleur, et les Grecs à la joie, Et le peuple alarmé du trépas de son Roi,

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Sur le haut de ses tours témoigne son effioi.
Polynice, tout fier du succès de son crime,
Kegarde avec plaisir expirer sa victime ;
Dans le sang de son frere il semble se baigner :
« Et tu meurs, lui dit-il, et moi je vais régner.
» Regarde dans mes mains l'Empire et la victoire :
» Va rougir aux enters de l'excès de ma gloire ;
» Et, pour mourir encore avec plus de regret ,
» Traître! songe en mourant que tu meurs mon sujet »
En achetant ces mots, d'une démarche fiere,
Il s'approche du Roi couché sur la poussiere,
Et pour le désarmer il avance le bras.
Le Roi, qui semble mort, observe tous ses pas;
Il le voit, il l'attend , et son ame irritée
Pour quelque grand dessein semble s'être arrêtée.
L'ardeur de se venger flatte encor ses desirs
Et retarde le cours de ses derniers soupirs.
Prêt à rendre la vie, il en cache le reste ,
Et sa mort au vainqueur est un piége funcste ;.
Et dans l'instant fatal que ce frere inhumain
Lui veut ôter le fer qu'il tenoit à la main,
Il lui perce le coeur, et son ame ravie,
En achevant ce coup, abandonne la vie.
rolynice frappé pousse un cridans les airs,
Et son ame en courroux s'enfuit dans les enfers,
Tout mort qu'il est , Madame, il garde sa colcre,
Et l'on diroit qu'encore il menace son frere.
Son visage, où la mort a répandu ses traits ,
Demeure plus terrible et plus fier que jamais.

ANTIGON E.

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Fatale ambition! aveuglement funestc!
D'un oracle cruel suite trop manifeste!
De tout le sang royal il ne reste que nous ;
Et plûr aux Dieux, Créon, qu'il ne restât que vous,
Et que mon désespoir , prévenant leur colere,
Eût suivi de plus près le trépas de ma mere!

CRÉON.
Il est vrai que des Dieux le courroux embrasé,
Pour nous faire périr semble s'être épuisé ;
Car enfin sa rigueur, vous le voyez, Madame ,
Ne ni’accable pas moins qu'elle afflige votre ames
En m'arrachant mes fils....

ANTIGONE.

Ah! vous régnez , Créon, It le trône aisément vous console d'Hémon. Mais-laissez-moi, de grace, un peu de solitude, Et ne contraignez point ma triste inquiétudes Aussi bien mes chagrins passeroient jusqu'à vous : Vous trouverez ailleurs des entretiens plus doux. Le trône vous attend , le peuple vous appelle ; Goûtez tout le plaisir d'une grandeur nouvelle. Adieu. Nous ne faisons tous deux que nous gêner; Je veux pleurer , Créon, et vous voulez régner.

CRÉON, arrêtant Antigone. Ah ! Madame, régnez et montez sur le trône; Ce haut rang n'appartient qu'à l'illustre Antigone.

ANTIGONE.
Il me tarde déja que vous ne l'occupiez.
La couronne est vous.

CRÉON.

Je la mets à vos pieds. ·

ANTIGONE.
Je la refuserois de la main des Dieux même;
Et vous osez , Créon, m'offrir le diadême !

CRÉON.
Je sais que ce haut rang n'a rien de glorieux
Qui ne cede à l'honneur de l'offrir à vos yeux,
D'un si noble destin je me connois indigne;
Mais si l'on peut prétendre à cette gloire insigne,
Si par d'illustres faits on la peut mériter ,
Que faut-il faire enfin, Madame?

ANTIGONE,

M'imitcr.

CRÉON.
Que ne ferois-je point pour une telle grace!
Ordonnez seulement ce qu'il faut que je fasse.
Je suis prêt....

ANTIGONE, en s'en allant,

Nous verrons.
CRON, la suivant.

J'attends vos loix ici.

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ANTIGONE, en sortant,

Attendez,

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