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CLÉMENT D'ALEXANDRIE

SUR LES ÉVANGILES,

ET ENCORE LE FRAGMENT DE MURATORI.

Ο

§ I. Clément sur S. Marc.

Na souvent dit que Clément d'Alexandrie donne, comme étant la tradition des anciens, que les Évangiles de S. Matthieu et de S. Luc furent écrits avant celui de S. Marc. En effet il semble le dire à première vue dans un passage célèbre cité par Eusèbe, et intéressant pour notre étude (1).

J'espère montrer que c'est l'historien qui a mal compris, et que quant à Clément, il n'a rien attribué de semblable aux presbytres. Dans le numéro précédent de cette Revue (2) j'ai essayé de démontrer que ce qui a trait à S. Marc est emprunté par Eusèbe à l'Hypotypose de la première Épitre de S. Pierre, que nous possédons en latin. C'est le même passage qu'Eusèbe avait déjà cité au second livre de son histoire, ch. 15 (3).

La difficulté reste qu'Eusèbe a ajouté en VI, 14 ce que nous ne trouvons pas dans l'Adumbratio sur S. Pierre :

1. Euseb. Η. Ε. VI. 14: “ Αὖθις δ' ἐν τοῖς αὐτοῖς ὁ Κλήμης βιβλίοις [sc. Υποτυπώσεσιν] περὶ τῆς τάξεως τῶν Εὐαγγελίων παράδοσιν τῶν ἀνέκαθεν πρεσβυτέρων τέθειται, τοῦτον ἔχουσαν τὸν τρόπον, προγεγράφθαι τῶν Εὐαγγελίων τὰ περιέχοντα τὰς γενεαλογίας. [Τὸ δὲ κατὰ Μάρκον ταύτην ἐσχηκέναι τὴν οἰκονομίαν. Τοῦ Πέτρου δημοσίᾳ ἐν Ῥώμη κηρύξαντος τὸν λόγον, καὶ Πνεύματι τὸ εὐαγγέλιον ἐξειπόντος, τοὺς πάροντας πολλούς ὄντας παρακαλέσαι τὸν Μάρκον, ὡς ἂν ἀκολουθήσαντα αὐτῷ πόρρωθεν καὶ μεμνημένον τῶν λεχθέντων, ἀναγράψαι τὰ εἰρημένα ποιήσαντα δὲ τὸ Εὐαγγέλιον, μεταδοῦναι τοῖς δεομένοις αὐτοῦ. Ὅπερ ἐπιγνόντα τὸν Πέτρον, προτρεπτικῶς μήτε κωλύσαι μήτε προτρέψασθαι.] Τὸν μέντοι Ἰωάννην ἔσχατον, συνιδόντα ὅτι τὰ σωματικὰ ἐν τοῖς Εὐαγ γελίοις δεδήλωται, προτραπέντα ὑπὸ τῶν γνωρίμων, Πνεύματι θεοφορηθέντα, πνευματ τικὸν ποιῆσαι Εὐαγγέλιον. Τοσαῦτα ὁ Κλήμης.

2. Juillet 1904, pp.13-14.

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“ τοῦ Πέτρου

3. Je répète ici que ἀκολουθήσαντα αὐτῷ représente « Petri sectator » ; δημοσίᾳ ἐν Ῥώμῃ κηρύξαντος τὸν λόγον ” parait reproduire exactement le grec perdu de Clément, traduit dans l'Adumbratio par « praedicante Petro evangelium palam Romae ». Les coïncidences verbales sont également remarquables, II, 15: σε ἀκόλουθον ὄντα Πέτρου ”; “ τοῖς δεομένοις αὐτοῦ π « petitus ab eis » ; “ τοῦ λεγομένου κατά Μάρκον εὐαγγελίου " = Evangelium quod secundum Marcum vocitatur. »

« Et S. Pierre ayant connaissance de la chose, d'une manière persuasive (проτрeñτixos) ne l'empêcha, ni l'encouragea (1). »

Tout cela manque dans l'Adumbratio telle qu'elle existe maintenant. Cependant je crois que j'ai eu tort de dire qu'Eusèbe a pu l'emprunter à quelque autre endroit des Hypotyposes. Le récit est complété et arrondi par cette ajoute, et l'ajoute paraîtrait difficilement ailleurs seule.

Or, il semble manquer quelque chose à'la fin de l'Adumbratio sur S. Pierre. Je cite d'après l'édition de Zahn (Forschungen, III ; p. 82):

Deus autem inquit totius gratiae « Totius gratiae » dixit, quoniam bonus est et omnium bonorum dator est ipse. Marcus Petri sectator, praedicante Petro evangelium palam Romae coram quibusdam Caesareanis equitibus et multa Christi testimonia proferente, petitus ab eis, ut possent quae dicebantur memoria commendare, scripsit ex his quae [a] Petro dicta sunt Evangelium quod secundum Marcum vocitatur; sicut Lucas quoque et actus apostolorum stylo exsecutus agnoscitur et Pauli ad Hebraeos interpretatus epistolam ».

On voit qu'immédiatement après l'explication du ch. V, 10, suit à propos de bottes. Marcus, Petri sectator...» Pour rattacher ces mots à un verset de l'épître, il faudrait suppléer précisément la donnée d'Eusèbe : « Pierre a écrit son épître à Rome même, ce qu'il insinue en appelant Rome Babylone métaphoriquement, quand il dit (V. 13): « Celle qui est élue avec vous en Babylone vous salue, et aussi Marc mon fils. >>

Ensuite à la fin on pourrait suppléer: « Pierre cependant ne lui défendit pas, non plus qu'il l'encouragea; mais il fut réjoui de la ferveur des fidèles, ce qui l'engagea à approuver le livre à l'usage de l'église ».

Ce qui semble montrer que tout ceci n'est pas simple conjecture, ce n'est pas seulement une conclusion certes trop abrupte, mais bien plus le fait qu'il doit manquer encore quelque chose à « sicut Lucas quoque... > Évidemment Clément voulait comparer Marc, l'interprète de Pierre, avec Luc, l'écrivain de l'évangile de S. Paul, et non pas avec l'auteur des Actes des Apôtres, ce qui n'aurait pas de sens. Il faut comparer le canon de Muratori: «Cum eum Paulus... secum adsumpsisset », et encore plus un passage de S. Irénée, où il dit que Marc nous a transmis ce que Pierre

1. De même en II, 15, il a ajouté : “ Γνόντα δὲ τὸ πραχθὲν φασὶ τὸν ἀπόστολον ἀποκαλύψαντος αὐτῷ τοῦ Πνεύματος, ἡσθῆναι τῇ τῶν ἀνδρῶν προθυμίᾳ κυρώσαί τε τὴν γραφὴν εἰς ἔντευξιν ταῖς ἐκκλησίαις. Κλήμης ἐν ἑκτῷ τῶν Ὑποτυπώσεων παρατέθειται τὴν ἱστορίαν, συνεπιμαρτυρεῖ δὲ αὐτῷ καὶ ὁ Ἱεραπολίτης ἐπίσκοπος ὀνόματι Παπίας. Τοῦ δὲ Μάρκου μνημονεύειν τὸν Πέτρον ἐν τῇ προτέρᾳ ἐπιστολῇ · ἦν καὶ συντάξαι φασὶν ἐπ' αὐτῆς Ῥώμης, σημαίνειν τε τοῦτ' αὐτόν, τὴν πόλιν τροπικώτερον Βαβυλῶνα προσειπόντα διὰ τούτων· Ασπάζεται ὑμᾶς ἡ ἐν Βαβυλῶνι συνεκλεκτὴ καὶ Μάρκος ὁ υἱός μου'.

prêchait, et que Luc a écrit dans un livre l'évangile annoncé par Paul, III, 1, 1. Clément aura dit, « sicut Lucas quoque quae a Paulo dicta sunt [scripsit], et actus apostolorum », etc., en grec la construction serait : ὥσπερ καὶ ὁ Λουκᾶς τὰ ὑπὸ τοῦ Παύλου εἰρημένα [ἔγραψεν], ὁ καὶ τὰς τῶν Ἀποστόλων πράξεις συνθεὶς καὶ τὴν τοῦ Παύλου προς Εβραίους ἐπιστολὴν ἑρμηνεύσας ".

Il y a donc lieu de penser que la traduction latine que nous possédons a perdu quelques phrases, que nous retrouvons en Eusèbe; car il est certain que c'est bien ce passage qu'Eusèbe cite, et il est du moins probable que ce qu'il ajoute est tiré du même endroit.

§ II. Clément sur S. Jean et les Synoptistes.

En tous cas il reste évident que toute la notice de S.Marc en VI-14, que j'ai renfermée entre guillemets, est une chose à part, qu'Eusèbe lui-même a combinée avec ce qui précède et ce qui suit. Lisons donc la citation entière, en omettant la notice de S. Marc :

<< Dans ces mêmes livres encore Clément a inséré une tradition des anciens presbytres sur l'ordre des évangiles, comme suit : les Évangiles qui contiennent les généalogies furent écrits les premiers. Mais Jean, en dernier lieu, s'apercevant que ces choses corporelles (tà owμatixà) avaient été expliquées dans les Évangiles, et poussé par ses amis, composa un Évangile spirituel. »

Le sens est assurément devenu plus clair, quoique nous n'ayons certainement pas les paroles de Clément, mais seulement celles d'Eusèbe, qui présupposent l'insertion à propos de Marc. Ce que Clément avait en vue, c'était le contraste entre les commencements des Évangiles, « principia evangeliorum, » contraste qui occupait beaucoup les auteurs primitifs, comme S. Irénée et Victorin (où ils expliquent les quatre animaux de l'Apocalypse), les anciens prologues latins des Évangiles, et le canon Muratorien: « Et ideo licet varia singulis evangeliorum libris principia doceantur, nihil tamen differt credentium fidei. » Matthieu et Luc ont raconté la naissance de Jésus-Christ selon la chair, et ils ont donné sa généa logie temporelle. S. Jean plus tard, voyant qu'ils avaient suffisamment expliqué (c'est la force du parfait deoλwrz:) ces choses du corps, - l'origine corporelle du Christ, écrivit un évangile spirituel, commençant par la généalogie éternelle (pour ainsi dire) du Verbe fait chair.

Ceci serait un résultat d'une très grande importance. Clément

n'aura rien dit de S. Marc dans ce passage, car S. Marc ne raconte rien sur l'origine corporelle ou spirituelle du Christ. Il y a un contraste seulement entre Matthieu et Luc d'une part et Jean de l'autre. Eusèbe, voyant une mention de trois évangiles, a cité le passage, tout en ajoutant la notice de S. Marc, qu'il tira d'un autre endroit et qu'il inséra avant celle de S. Jean, sans s'apercevoir qu'il faisait dire à Clément ce à quoi cet auteur n'avait pas songé,c'est-àdire que S. Marc a écrit après les deux autres Synoptiques. Ce n'est donc pas à Clément mais à la maladresse de son historien que cette assertion incroyable sera due.

Dans quelle partie des Hypotyposes Eusèbe a-t-il puisé cette donnée de Clément ? Impossible de le deviner. Jamais aurions-nous imaginé que la notice de S.Marc provenait de la fin de l'«esquisse» de Pierre, si cette Adumbratio ne nous était heureusement conservée ? Si Clément s'est occupé des Évangiles dans les Hypotyposes, c'est bien au commencement de son esquisse » de S. Jean que nous nous attendrions à trouver le passage en question. Cependant je ne pense pas que les Évangiles aient été expliqués dans les Hypotyposes. C'est plutôt sur un texte tel que Rom. I. 3: "tou revoμévou éx τοῦ γενομένου σπέρματος Δαυεὶδ κατὰ σάρκα, τοῦ ὁρισθέντος υἱοῦ Θεοῦ ἐν δυνάμει κατά πveŭμa kylwoúvns... "que Clément a dû s'expliquer ainsi. Matthieu et Luc ont donné la descendance de David dans leurs généalogies (κατὰ σάρκα = T owμzTx), tandis que Jean a décrit la génération du fils de Dieu "xяτà пvεйμя” dans son évangile.

Il est intéressant de comparer ces notices des évangiles avec celles du canon Muratorien que j'ai attribuées à la préface des Hypotyposes.

1. Ce que le fragment a dit sur S. Marc est perdu. Je crois cependant que l'on peut le rétablir sans grande difficulté. C'était seulement une reproduction libre des paroles si bien connues de Papias (1). La notice de S. Marc dans l'Adumbratio sur Pierre ne contredit nullement les données de Papias, mais les confirme et les embellit. Eusèbe avait raison de dire, après avoir cité Clément, que Papias est en accord avec lui: " συνεπιμαρτυρεῖ δὲ αὐτῷ καὶ ὁ... Пzñías". Nous ne savons pas si Clément a puisé ce qu'il raconte à une source écrite. Plus probablement faudrait-il le rapporter à une tradition orale de Pantaenus ou d'un autre des anciens « presbytres > qu'il a connus.

2. Que S. Matthieu et S. Luc ont écrit avant S. Jean est évidem

1. C'est mieux de réserver ce que j'ai à dire là-dessus pour une autre occasion.

ment présupposé dans le fragment de Muratori; mais comme ce n'était pas dit en termes précis, c'est bien naturel que Clément y ait attiré l'attention dans de cours de l'ouvrage.

3. L'histoire (apocryphe?) de la composition du quatrième évangile relaté dans le fragment est évidemment supposé connu par le passage qu'Eusèbe nous a conserve: " προτραπέντα ὑπὸ τῶν γνωρίμων”. Ces paroles nous renvoyent aux détails déjà racontés par l'auteur dans sa préface, si mon hypothèse du mois de juillet est acceptable. 4. La comparaison des commencements « corporels » de deux évangélistes avec la préface de S. Jean peut être comparée avec la défense des principia des évangiles dans le fragment.

Ces points semblent presque former une nouvelle indication de l'origine Clémentine du fragment.

III. Clément et les sources du canon Muratorien.

Je crois devoir encore réserver l'exposition des sources du canon muratorien jusqu'à ce que je puisse la publier dans un livre que je prépare depuis longtemps sur « Papias, Codex Bezae and the Western text». Je vois cependant que les arguments que j'ai employés dans l'article précédent manquent de clarté, si je ne m'explique pas un peu sur la compositon du fragment.

Je crois, donc, que l'auteur (que ce soit Clément ou un autre, n'importe) s'est servi d'une liste plus ancienne, à laquelle il a fait des ajoutes, que l'on peut suffisamment distinguer du fonds original. Cet original était dirigé contre les Marcionites (1). Cela peut encore se voir avec plus ou moins de clarté dans le fragment: - de S. Luc l'auteur paraît dire : « il ne faut pas trop l'exalter au-dessus de Marc, car si celui-ci n'a pas connu notre Seigneur, S. Luc ne l'a pas connu davantage, mais il a dû écrire « prout assequi potuit », (= x×оπαρηκο λoulnxóti ävwleν mãσty, Luc. I. 3). De même le témoignage de Jean qu'il était témoin oculaire est relevé. Puis il y a l'harmonie des principia, telle qu'on la trouve dans les premiers âges. Cela doit être Marcion qui a été le premier à attaquer les divers commencements des évangiles, comme j'espère le montrer. L'insistance sur le nombre et l'ordre des épîtres de S. Paul, et la défense spéciale des épîtres pastorales, sont dirigées contre le même adversaire.

1. Harnack a eu raison de rejeter l'hypothèse de Zahn que le fragment vise les Alogi dans la notice du quatrième évangile.

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