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tion, ny mesme qu'ils puissent pénétrer le lieu que l'on voudroit attaquer; et que quand ils seroient en grande curiosité de le savoir, que confidemment on pourroit leur faire pénétrer que c'est pour les costes d'Affrique.

Que néanmoins le lieu le plus facile à attaquer et qui seroit le plustost conquis, estoit le royaume de Chipre; que l'on trouveroit des vaisseaux et des gallères pour y porter l'armée de terre et son équipage.

Que si on pouvoit faire la conqueste de Chipre, qu'il ne croyoit pas mal aisé, qu'il faudroit que sa sainteté en investit son altesse royale, à cause des grands droits qu'elle y a; que si elle en estoit une fois en possession, qu'elle la pourroit conserver facilement, pour les assistances d'hommes et d'argent que luy donneroient les princes Chrétiens et confédérés par le moien du pape, qui les y obligeroit à une entreprise, outre ce qu'elle fourniroit du sien ce qu'elle tireroit du royaume; et que tenant une esquadre forte de vaisseaux qui croiseroient la mer, empecheroit la communication d'entre l'Égypte, la Barbarie et l'Arabie avec Constantinople, feroit des prises considérables ou un profit avantageux, en donnant des passeports aux vaisseaux marchands; et qu'ainsi on se rendroit maistre de tout le commerce du Levant, que l'on attireroit tout dans les ports dudit royaume.

Ensuite, le dit maréchal pria le marquis de Saint Maurice de représenter à son altesse royale qu'il devroit s'appliquer à ceste entreprise qui peut réussir, qui lui seroit autant glorieuse qu'utile; qu'elle a de bonnes trouppes de pied et de cheval, qu'elle y pourroit employer sous la conduite de M. le marquis de Ville, un des plus entendus capitaines de toute l'Europe, pour une expédition de cette importance, qui demeureroit, l'action finie, gouverneur du royaume pour le défendre, quand les autres généraux auroient avec lui fait la campagne, et mis les choses en seureté.

Que si son altesse royale approuvoit ce projet, M. le maréchal de Bellefonds le prié d'en faire parler à sa sainteté, par quelque personne affidée et qui garde le segret. Elle peut mesme lui faire savoir que ledit maréchal luy a fait faire cette ouverture, et que l'entreprise se pourroit faire sur Chipre, où le grand seigneur semble craindre le moins.

Le marquis de Saint Maurice répondit à M. le maréchal de Bellefonds qu'il rendroit compte à son altesse royale de tout ce qu'il luy venoit de dire, et qu'asseurément elle luy seroit obligé de ce qu'il songeoit avec tant de soin et d'amitié à sa gloire et à ses intérests; que sa pansée estoit glorieuse, digne de son courage et de son esprit; que néanmoins il ne croit pas que l'on en vinse à une exécution pour bien des raisons; que les parens

du pape1 ne permettroient pas qu'il entreprist cette affaire, de crainte qu'il n'y consuma le bien qu'il leur pourroit laisser à l'avenir, puisqu'il n'a encore rien fait pour eux; qu'il estoit vieux et que celui qui luy pourroit succéder ne seroit pas peut être si bien intentionné pour la Chrestienté que luy; qu'il seroit plus dificile qu'il ne croyoit de faire confédérer tant de puissance diférantes, et mesmes de donner rang et de faire vivre et combattre ensemble tant de diverses nations, que messieurs de Venise estoient trop aux escoutes de ce qui se fait en Europe, pour ne pas pénétrer la chose et l'empecher de tout leur pouvoir, que mesmes ils en donneroient advis au Turc et des assistances pour se défendre.

M. le maréchal de Bellefonds luy répliqua que l'exécution de son projet seroit asseurément plus facile que l'on ne croyoit, qu'il ne faloit que s'appliquer sérieusement et tout de bon; que pourveu que le saint père le voulut entreprendre et bien agir, qu'il espéroit d'en réuscir, et qu'il se chargeroit de l'exécution.

Le marquis de Saint Maurice juge que le maréchal ne fait pas ces avances que du sceu et mesme par ordre du roy, qui asseurément donnera des forces considérables de terre et de mer pour faire réussir cette entreprise, afin de pouvoir faire rétablir la réputation de ses armes dans les païs étrangers et dans le Levant, ayant reçeu beaucoup de flétrissure en Candie, outre que les employant contre les infidéles, il serait exent de rechercher présentement les droits sur les despendances des conquestes, ne pouvant pas laisser honestement la chose en l'estat qu'elle est apprès les avances qu'il a fait; et peut estre que quand on le verroit dans cet engagement, la ligue relentiroit de ses jalousies, se détruiroit d'elle mesme et empecheroit les princes qui sont recherchés de s'y engager de le faire, et il ne risqueroit que quelques troupes, quelque argent, et acgueriroit ses sujets.

Quant au maréchal de Bellefonds, il ne travaille qu'à chercher des occasions de se signaler, de s'acréditer, de se rendre recomendable et à s'acquérir de la gloire.

C'est à M. Foucher, à qui il a donné commission de faire sa proposition à Rome, de crainte que le nonce qui est icy le sachant, ne le dise à l'ambassadeur de Venise.

1 Clément X, de la famille Altieri, de Rome. Il avait été élu l'âge de quatre-vingts ans.

pape le 29 avril 1670, à

SUPPLÉMENT.

I.

GUY DE LUSIGNAN,

ANCIEN ROI DE JÉRUSALEM, PREMIER SEIGNEUR LATIN DE L'ÎLE DE CHYPRE.

1191. — AVRIL 1194.

1191-1196.

Extraits d'une nouvelle continuation de Guillaume de Tyr, d'après un manuscrit de Florence. Florence. Bibl. de Saint-Laurent. Plut. LXI. Ms. 10, fol. 293 et suiv. '.

I. Coment le roi Richart d'Engletere conquit Chipre des Grex.

Kyrsac douta moult la venue dou roy Richart, por la honte qu'il fist à sa suer, et por les grans maux qu'il ot fait as Crestiens en Chypre. Il vint à Lymesson et la garni d'armeures et de gent à pié et à cheval. Il fist metre gaites par la marine et comanda que si tost com il verroient la navie, qu'il feicent signe et assemblaçent là.

Si come ces choses furent ordenées, li roi Richart ariva o sa navie à Limesson, et là aprist les novelles de Kyrsac. Aucunes genz alerent en terre por refreschir d'eive et de viandes por le roi, mès cil qui gardoient la rive lor defendirent et lor distrent que de l'isle ne poroient-il avoir ne eive ne viandes. Quant la novele vint au roi, durement en fu corossiés. Tantost comanda à sa gent qu'il dessendissent à terre. Il firent tost son comandement. Si armerent les galiées et les barches de chevaliers et de serjans et d'arbalestriers, et descendirent à terre, et fu le roi aveuc eaus. Quant Kyrsac

Ce Ms. renferme, à la suite de la traduction française de Guillaume de Tyr, une continuation de l'histoire des croisades plus étendue que celle qu'ont publiée D. Martène et M. Guizot. Celle-ci s'arrête à l'année 1275; la continuation du Ms. de Florence se pour

suit jusqu'en 1277. Quelques passages d'une rédaction toute nouvelle, comme ceux que je donne ici, recommandent, en outre, cette compilation de l'histoire de nos guerres d'outre-mer. Voy. Arch. des missions scient. mai 1851, p. 257.

vit l'esfort dou roi qui prenoit terre, il se retraist en sus dou rivage. Et li rois comanda qu'il descendicent à terre, et il meismes descendi aveuc eaus et alerent envayr les Grifons qui estoient à cheval, et par l'aye de Deu les desconfirent. Si come Kyrsac aloit suiant et guerpissant terre, le roi comanda à deschargier les chevaus; puis chevaucha bastivement apres les Grifons, et les ataint au plain, ains qu'ils venicent ès montaignes, et là les desconfit une autre fois, près d'un casal qui est dit Colos1. Quant Kyrsac vit qu'il fu desconfit, si s'enfoy ès montaignes, ni ne trovoit leu en tot l'isle où il se peust garentir ne seurement abiter por la paor le roi. Il assembla son pooir de Grifons et d'Ermins et de genz qu'il avoit en l'isle por venir autre fois en bataille contre le roi Richart, essaier c'il le poroit par force geter fors de l'isle; mais Deu, qui avoit le bon roi Richart conduit jusque là, vost que par lui fust planté la bone semence de la loi de Rome en l'isle, et arrachiée la mauvaise semence des felons Grifons, si li envoia sa grace. Il ala vigourousement vers le chastel de Cherines et le prist en son venir. Il trova dedenz la fille Kyrsac o grant richeces et o grant avoir qu'il dona largement à ses homes, et là se asseura le roi, por ce qu'il trova repaire à lui et à sa navie. Apres ces 1 batailles, assembla Kyrsac tote la gent qu'il post avoir de sa seignorie et se mist entre Nicossie et Famagoste, et là atendoit le roi Richart por lui domagier, c'il peust. Mès la porveance et l'aye de Deu, qui ne deguerpissent les siens, dona force et vigor au roi Richart, si qu'il desconfi Kyrsac et tote sa gent. Quant Kyrsac vit qu'il estoit desconfit et sa gent tote perdue, et qu'il n'avoit mès pooir en Chypre contre le roi, il se mist por garentir en un mult fort chastel qui a nom Buffevent. Mès li rois ala pres lui et vigorosement prist le chastel et il qui estoit dedenz. Ensi soumist, par l'aye de Deu, le roi Richart d'Engleterre tote la seignorie de Chipre à son pooir, et l'atorna à la loi de Rome. Et fu fait arcevesque de Nicossie Alein qui estoit arcediaque de Saint Jorge de Rames 3.

II. Coment le roi d'Engleterre se parti de Chypre et vint au siege d'Acre.

Apres ce que le roi Richart ot desconfit Kyrsac et conquis l'isle de Chypre

Voy. notre t. I, p. 5, n. Le roi Richard donna, en 1191, à l'église de Saint-Edmond l'étendard d'Isaac Comnène, que son armée avait rapportée en Angleterre. (Monast. Ang. t. III, p. 104, 105; F. Michel, Rech. sur le comm. et la fabric. des étoffes de soie, t. I, p. 139, 184.)

2 Au Ms. deguerpisse.

3 Le roi Richard, pressé d'arriver en Syrie et n'ayant pas l'intention de conserver l'île de Chypre, ne s'occupa point de l'établissement du clergé latin dans le pays. La nouvelle église chypriote fut constituée et Alain fut nommé archevêque de Nicosie sous

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