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et des Leuques. Elle séparait aussi les diocèses de Metz et de Toul; et le comté de Salm du territoire lorrain.

Donc le Donon n'appartenait pas aux Médiomatriques, mais bien aux Leuques. C'est le contraire de ce que l'on a enseigné jusqu'ici; mais c'est une déduction logique de nos constatations.

Alors on comprend aussi la frontière nord du doyenné (et du comté) de Salm: elle a respecté la limite des Médiomatriques. Ce n'est qu'en 1795 que le Donon devint français (51). Ainsi s'explique aisément le fait que la limite. des départements ait maintenu les frontières de l'époque romaine et même préromaine.

V. LE MARCHÉ DE FRONTIÈRE

Mais la région est loin de nous avoir révélé tous ses secrets concernant les anciens temps. Et dans les contes populaires et les anciennes histoires qui se sont attachées à des rochers ou pierres d'une forme qui frappait l'imagination, on peut retrouver des survivances d'anciennes coutumes qui ont trait aux frontières de cités. C. Jullian a plusieurs fois souligné l'importance des marchés qui se tenaient à la frontière même de deux cités de l'ancienne Gaule (52). On concluait à l'existence de ces marchés de frontière en partant de leur nom, qui contient magus (= marché) (43) et de leur situation géographique sur les limites de deux cités (54). C'est ainsi que les Leuques avaient un marché de frontière à Noviomagus (Nijon près Bourmont) sur la route de Langres à Toul, sur la frontière des Lingons. Mosomagus (« le marché de la

(51) Le Donon, avant la Révolution, appartenait à la principauté souveraine de Salm-Salm, terre d'empire, cercle du HautRhin. Annexée en 1795 à la France, ce qui fut confirmé par le traité de Lunéville ». A. BENOIT, Note sur un Apollon... p. 106, (tiré à part).

(52) Hist. d. 1. Gaule, t. II, p. 239 et récemment encore, Rev. Et. Anc., t. XX, 1918, p. 285.

(53) Exemple classique: Juliomagus (Angers) est devenu en latin Forum Julii.

(54) Jullian, I. c., p. 239, en cite de jolis exemples.

Meuse »), aujourd'hui Mouzon, sur la frontière des Rèmes et des Trévires, en est un autre exemple (55).

Au pied du Donon, près de la chapelle de N.-D. de Délivrance, nous pouvons constater le même fait, mais sans avoir besoin de recourir à la toponymie.

Tout près de notre petite chapelle, mais à 16 kilomètres de Saint-Quirin et à plusieurs kilomètres de distance de tout village ou hameau, il y a une petite pelouse, où, de temps immémoriaux jusqu'au xvIII° siècle se tenait régulièrement un marché très important.

Voici ce que Lepage en dit :

« Tout au bas du Donon est une pelouse de peu d'étendue où se tenait, à des époques périodiques, une foire et un marché francs qui avaient alors une haute importance. Là se rendaient les colporteurs de Nancy, de Blâmont et de Lorquin; ils y apportaient du blé et des marchandises qu'ils changeaient contre les bestiaux que le montagnard de Dachsbourg élevait dans les clairières de ses forêts; mais comme les mesures de capacité n'étaient pas alors bien déterminées, on avait placé au milieu une pierre en forme de tronçon de colonne, dont les dimensions étaient. dit-on, celles du sac de grain qui devait se livrer. On attachait aussi à cette pierre une puissance surnaturelle : quand une convention avait lieu sur parole, les personnes joignaient leurs mains sur la pierre en répétant les termes du marché l'acte devenait légal, et un malheur ne manquait pas de frapper celui qui venait à y forfaire. Ce lieu a conservé le nom de Sac de Pierre ou Pierre du Marché » (56).

Ces vieux marchés ont souvent été mentionnés (57); ce n'est qu'en plein XVIIIe siècle qu'ils ont été déplacés à Lorquin.

(55) D'après JULLIAN, ibid.

(56) LEPAGE, Le département de la Meurthe, t. II, 1845. p. 525. (57) Pour des indications de cette nature, il est toujours agréable d'avoir des devanciers. Les mêmes observations ont été faites par MÜNDEL, Die l'ogesen, 1907, p. 358; dans l'édition française de 1925, t. I, p. 329.

Jusqu'ici, on ne savait rien sur leur origine; mais nous venons d'établir par des preuves indéniables qu'il s'agit d'un marché de frontière datant de l'époque gallo-romaine.

C'est également pour la première fois, je crois, qu'on prouve ainsi l'existence d'un marché de frontière à un endroit inhabité, éloigné de toute agglomération humaine et qui ait persisté, avec son sanctuaire de frontière, jusqu'à notre époque.

La région, peu habitée (l'exploration du terrain dans les détails reste à faire, tâche ardue entre toutes!), montagneuse, ne se prêtait pas au développement d'une agglomération humaine d'une certaine importance, comme les nombreux Noviomagus («nouveaux marchés ») de l'ancienne Gaule. Mais les observations que nous avons pu faire dans ce coin perdu des Vosges sont de la plus haute valeur pour l'explication de la genèse d'autres marchés et villes de frontière.

La suite de la route des processions, au sud de N.-D. de Délivrance, monte au Donon. Ce n'est certainement pas de là que venait le blé au marché. Au contraire, les céréales venaient du territoire fertile des Leuques, qui avait déjà fourni le blé aux légions de César dans la guerre contre Arioviste (58). La route qui, du pied du Donon, gagne le territoire leuque est facile à trouver.

A l'endroit même de notre petite chapelle une autre route, ancienne et abandonnée depuis longtemps, se greffe sur «la route des processions ». Elle va vers l'ouest et vers Raon-lès-Jean, et représente certainement une ancienne route, même préromaine. La suite est encore à établir.

Notons encore qu'une voie part, de la chapelle, vers l'est, c'est-à-dire vers les hauteurs de la vallée d'Abreschwiller et la région de Dabo, où toutes les montagnes, à l'époque gallo-romaine, étaient habitées et cultivées (58).

(58) CÉSAR, De bello gallico, t. I, 40, 11.

Cf. LINCKENHELD, Dreiheiligen, dans Elsassland, VII, 1927, p. 199; le même, l'Anthropologie, 1928, p. 245; le même, XVII. Bericht über d. Fortschr. d. r. g. Kommission, 1928, p. 145 sq.

Il nous reste encore un mot à dire des montagnes qui, à proximité du Donon, se dressent à droite et à gauche de l'ancienne « route des processions ». Leurs noms reflètent sans exceptions des idées religieuses, comme il est naturel dans ce territoire sacré.

Vu de Lorquin, par exemple, le Donon est bien « la montagne par excellence ». Au pied même du Donon, nous avons à l'est (de la route) la Malcôte (en allemand Teufelsberg), bientôt suivi de Kreuzberg (Croix Simon), à l'ouest la Tête du Bon Dieu, ensuite, encore plus à l'ouest, le Hungerberg. Plus en aval, nous rencontrons de nouveau le Haut du Bon Dieu, le Kapellenberg et la Tête de la Vierge; un affluent du Blanc-Rupt s'appelle Rupt-desDames. Nous y voyons une survivance du culte des Déesses-Mères, qui a laissé tant de traces dans le folklore lorrain (59 bis).

Tous ces noms m'ont toujours paru rendre l'impression que ces montagnes ont faite sur l'esprit religieux de nos ancêtres. En s'approchant du Donon, lieu consacré entre tous, pour trois cités voisines, la « route des processions >> qui venait de Sarrebourg, était bordée, dans le voisinage du Donon, de collines et de montagnes qui, dans leurs noms du moins, ont perpétué les anciens cultes.

Les résultats auxquels l'étude du nom de la petite chapelle et celle de son entourage nous a conduits, sont riches et variés. Nous les résumons donc.

1o Le Donon appartenait aux Leuques et non aux Médiomatriques.

2o La frontière commune de ces deux cités passait près de la chapelle N.-D. de Délivrance et suivait, là, la limite du département de la Moselle.

3o A l'endroit où cette frontière coupait la route, il y avait un sanctuaire de frontière.

(59 bis).

Je pense traiter prochainement ces question (Etudes de mythologie celtique en Lorraine, III fascicule).

4o Un marché de frontière avait lieu, chaque année, au même endroit; et ce marché a persisté jusqu'à la fin du moyen âge.

5o La route Donon Vicus Saravus, qui passait sur ce point, était une véritable via sacra: les noms des montagnes qui l'entourent sur sa dernière partie indiquent un territoire religieux.

6o Une ancienne route, probablement préromaine, se dirigeait, du versant nord du Donon, vers l'intérieur du pays leuque, en passant par Raon-lès-Jean.

Rien ne fait mieux ressortir l'importance de ces endroits dont le nom dérive d'*Icoranda que ces résultats. C'est la raison pour laquelle nous saisissons l'occasion de signaler une deuxième chapelle de N.-D. de Délivrance, également située en Lorraine et pas encore mentionnée dans la littérature archéologique (au moins dans l'ordre d'idées où son nom trouve son explication).

C'est N.-D. de Délivrance à la Grande-Haie, près de Nouhigny (Diocèse de Toul) (60).

Son existence, à cet endroit, et si ma carte est exacte (61), sur une rivière, en tout cas près d'une «<longue haie » (ce qui indique souvent une voie romaine) pose de nouveaux problèmes que nous traiterons peut-être plus tard.

Emile LINCKENHELD.

(60) Eug. MARTIN, La dévotion à la Sainte Vierge dans le diocèse de Toul. Nancy, 1922, p. 127. « Note prise par M. l'abbé Dedenon... et gracieusement communiquée par lui. » D'après LEPAGE, Communes de la Meurthe, s. v. Nouhigny, cette chapelle ne serait pas ancienne et serait peu fréquentée.

(61) Je n'ai pas encore pu visiter l'endroit.

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