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du ridicule et je m'assure qu'il vaut mieux avoir occupé l'impertinente éloquence de deux orateurs autour d'un chien accusé, que si l'on avait mis sur la sellette un véritable criminel, et qu'on eût intéressé les spectateurs à la vie d'un homme.

Quoi qu'il en soit, je puis dire que notre siècle n'a pas été de plus mauvaise humeur que le sien, et que si le but de ma comédie était de faire rire, jamais comédie n'a mieux attrapé son but. Ce n'est pas que j'attende un grand honneur d'avoir assez longtemps réjoui le monde ; mais je me sais quelque gré de l'avoir fait sans qu'il m'en ait coûté une seule de ces sales équivoques et de ces malhonnêtes plaisanteries qui coûtent maintenant si peu à la plupart de nos écrivains, et qui font retomber le théâtre dans la turpitude d'où quelques auteurs plus modestes l'avaient tiré.

COMÉDIE. (1668.)

ACTEURS.

DANDIN, Juge.

LÉANDRE, fils de Dandin

CHICANEAU, bourgeois.

ISABELLE, fille de Chicancau.

LA COMTESSE.

PETIT JEAN, portier.
L'INTIMÉ, secrétaire.

LE SOUFFLEUR.

La scène est dans une ville de basse Normandie.

ACTE PREMIER.

SCÈNE 1.

PETIT JEAN, traînant un gros sac de procès.

Ma foi! sur l'avenir bien fou qui se fiera.
Tel qui rit vendredi, dimanche pleurera.
Un juge, l'an passé, me prit à son service;
Il m'avait fait venir d'Amiens pour être suisse.
Tous ces Normands voulaient se divertir de nous :
On apprend à hurler, dit l'autre, avec les loups.
Tout Picard que j'étais, j'étais un bon apôtre,
Et je faisais claquer mon fouet tout comme un autre.
Tous les plus gros monsieurs me parlaient chapeau bas;
Monsieur de Petit Jean, ah! gros comme le bras.
Mais sans argent l'honneur n'est qu'une maladie.
Ma foi! j'étais un franc portier de comédie :
On avait beau heurter et m'ôter son chapeau,
On n'entrait point chez nous sans graisser le marteau.
Point d'argent, point de suisse; et ma porte était close.
Il est vrai qu'à monsieur j'en rendais quelque chose:
Nous comptions quelquefois. On me donnait le soin

De fournir la maison de chandelle et de foin :
Mais je n'y perdais rien. Enfin, vaille que vaille,
J'aurais sur le marché fort bien fourni la paille.
C'est dommage: il avait le cœur trop au métier;
Tous les jours le premier aux plaids, et le dernier;
Et bien souvent tout seul, si l'on l'eût voulu croire,
Il s'y serait couché sans manger et sans boire.
Je lui disais parfois : Monsieur Perrin Dandin,
Tout franc, vous vous levez tous les jours trop matin.
Qui veut voyager loin ménage sa monture;
Buvez, mangez, dormez, et faisons feu qui dure.
Il n'en a tenu compte. Il a si bien veillé

Et si bien fait, qu'on dit que son timbre est brouillé.
Il nous veut tous juger les uns après les autres.
Il marmotte toujours certaines patenôtres

Où je ne comprends rien. Il veut, bon gré, mal gré,
Ne se coucher qu'en robe et qu'en bonnet carré.
Il fit couper la tête à son coq, de colère,
Pour l'avoir éveillé plus tard qu'à l'ordinaire;
Il disait qu'un plaideur dont l'affaire allait mal
Avait graissé la patte à ce pauvre animal.
Depuis ce bel arrêt, le pauvre homme a beau faire,
Son fils ne souffre plus qu'on lui parle d'affaire.
Il nous le fait garder jour et nuit, et de près :
Autrement, serviteur, et mon homme est aux plaids.
Pour s'échapper de nous,
Dieu sait s'il est alègre.
Pour moi, je ne dors plus : aussi je deviens maigre,
C'est pitié. Je m'étends, et ne fais que bâiller.
Mais, veille qui voudra, voici mon oreiller.

Ma foi! pour cette nuit il faut que je m'en donne.
Pour dormir dans la rue on n'offense personne.
Dormons.

(Il se couche par terie.)

SCÈNE II.

L'INTIMÉ, PETIT JEAN.

L'INTIMÉ

Hé, Petit Jean! Petit Jean!

PETIT JEAN.

L'Intimé!

(à part.)

Il a déjà bien peur de me voir enrhumé.

L'INTIMÉ.

Que diable! si matin que fais-tu dans la rue?

PETIT JEAN.

Est-ce qu'il faut toujours faire le pied de grue,
Garder toujours un homme, et l'entendre crier ?
Quelle gueule ! Pour moi, je crois qu'il est sorcier.
L'INTIMÉ.

Bon!

PETIT JEAN.

Je lui disais donc, en me grattant la tête, Que je voulais dormir. « Présente ta requête Comme tu veux dormir, » m'a-t-il dit gravement. Je dors en te contant la chose seulement.

Bonsoir.

L'INTIMÉ.

Comment, bonsoir? Que le diable m'emporte Si... Mais j'entends du bruit au-dessus de la porte.

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Voilà mes guichetiers en défaut, dieu merci.

Si je leur donné temps, ils pourront comparaître ;
Cà pour nous élargir, sautons par la fenêtre.
Hors de cour.'

L'INTIME.

Comme il saute!

PETIT JEAN.

O monsieur, je vous tien.

DANDIN.

Au voleur! au voleur?

PETIT JEAN.

Oh! nous vous tenons bien.
L'INTIMÉ.

Vous avez beau crier.

DANDIN.

Main-forte! l'on me tue!

SCÈNE IV.

LÉANDRE, DANDIN, L'INTIMÉ, PETIT JEAN.

LÉANDRE.

Vite un flambeau, j'entends mon père dans la rue.
Mon père, si matin qui vous fait déloger?

Où courez-vous la nuit?

Et qui juger? tout dort.

DANDIN.

Je veux aller juger.
LÉANDRE.

PETIT JEAN.

Ma foi! je ne dors guères.
LÉANDRE.

Que de sacs! il en a jusques aux jarretières.

'DANDIN.

Je ne veux de trois mois rentrer dans la maison.
De sacs et de procès j'ai fait provision.

LÉANDRE.

Et qui vous nourrira?

DANDIN.

Le buvetier, je pense.
LÉANDRE.

Mais où dormirez-vous, mon père?

DANDIN.

A l'audience.

LÉANDRE.

Non, mon père, il vaut mieux que vous ne sortiez pas. Dormez chez vous; chez vous faites tous vos repas. Souffrez que la raison enfin vous persuade :

Et pour votre santé...

DANDIN.

Je veux être malade.

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