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J'en voyais et dehors et dedans nos murailles :
Chaque assaut à mon cœur livrait mille combats;
Et mille fois le jour je souffrais le trépas.

HÉMON.

Mais enfin qu'ai-je fait, en ce malheur extrême,
Que ne m'ait ordonné ma princesse elle-même?
J'ai suivi Polynice; et vous l'avez voulu :
Vous me l'avez prescrit par un ordre absolu.
Je lui vouai dès lors une amitié sincère;
Je quittai mon pays, j'abandonnai mon père;
Sur moi, par ce départ, j'attirai son courroux,
Et, pour tout dire enfin, je m'éloignai de vous.

ANTIGONE.

Je m'en souviens, Hémon, et je vous fais justice; C'est moi que vous serviez en servant Polynice : Il m'était cher alors comme il est aujourd'hui; Et je prenais pour moi ce qu'on faisait pour lui. Nous nous aimions tous deux dès la plus tendre enfance, Et j'avais sur son cœur une entière puissance; Je trouvais à lui plaire une extrême douceur, Et les chagrins du frère étaient ceux de la sœur. Ah! si j'avais encor sur lui le même empire, Il aimerait la paix, pour qui mon cœur soupire : Notre commun malheur en serait adouci : Je le verrais, Hémon; vous me verriez aussi !

HÉMON.

De cette affreuse guerre il abhorre l'image.
Je l'ai vu soupirer de douleur et de rage,
Lorsque, pour remonter au trône paternel,
On le força de prendre un chemin si cruel.
Espérons que le ciel, touché de nos misères,
Achèvera bientôt de réunir les frères :
Puisse-t-il rétablir l'amitié dans leur cœur,
Et conserver l'amour dans celui de la sœur!

ANTIGONE.

Hélas! ne doutez point que ce dernier ouvrage
Ne lui soit plus aisé que de calmer leur rage:
Je les connais tous deux, et je répondrais bien
Que leur cœur, cher Hémon, est plus dur que le mien.
Mais les dieux quelquefois font de plus grands miracles.

SCÈNE II.

ANTIGONE, HÉMON, OLYMPE.

ANTIGONE.

Eh bien! apprendrons-nous ce qu'ont dit les oracles?

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Quel est donc ce grand mal que leur courroux annonce?

OLYMPE.

Prince, pour en juger, écoutez leur réponse :

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Thébains, pour n'avoir plus de guerres,

« Il faut, par un ordre fatal,

« Que le dernier du sang royal

<< Par son trépas ensanglante vos terres. »

ANTICONE.

O dieux, que vous a fait ce sang infortuné?
Et pourquoi tout entier l'avez-vous condamné?
N'êtes-vous pas contents de la mort de mon père?
Tout notre sang doit-il sentir votre colère?

HÉMON.

Madame, cet arrêt ne vous regarde pas,

Votre vertu vous met à couvert du trépas :

Les dieux savent trop bien connaître l'innocence.

ANTIGONE.

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Hé! ce n'est pas pour moi que je crains leur vengeance.
Mon innocence, Hémon, serait un faible appui ;

Fille d'Edipe, il faut que je meure pour lui.

Je l'attends, cette mort, et je l'attends sans plainte;

Et, s'il faut avouer le sujet de ma crainte,

C'est pour vous que je crains; oui, cher Hémon, pour vous.

De ce sang malheureux vous sortez comme nous;

Et je ne vois que trop que le courroux céleste

Vous rendra, comme à nous, cet honneur bien funeste,

Et fera regretter aux princes des Thébains
De n'être pas sortis du dernier des humains.
HÉMON.

Peut-on se repentir d'un si grand avantage?
Un si noble trépas flatte trop mon courage;
Et du sang de ses rois il est beau d'être issu,
Dût-on rendre ce sang sitôt qu'on l'a reçu.

ANTIGONE.

Hé quoi! si parmi nous on a fait quelque offense, Le ciel doit-il sur vous en prendre la vengeance? Et n'est-ce pas assez du père et des enfants, Sans qu'il aille plus loin chercher des innocents? C'est à nous à payer pour les crimes des nôtres : Punissez-nous, grands dieux! mais épargnez les autres. Mon père, cher Hémon, vous va perdre aujourd'hui ; Et je vous perds peut-être encore plus que lui : Le ciel punit sur vous et sur votre famille, Et les crimes du père, et l'amour de la fille; Et ce funeste amour vous nuit encore plus Que les crimes d'Edipe et le sang de Laïus. HÉMON.

Quoi! mon amour, madame? Et qu'a-t-il de funeste? Est-ce un crime qu'aimer une beauté céleste? Et puisque sans colère il est reçu de vous, En quoi peut-il du ciel mériter le courroux? Vous seule en mes soupirs êtes intéressée, C'est à vous à juger s'ils vous ont offensée : Tels que seront pour eux vos arrêts tout-puissants, Ils seront criminels, ou seront innocents. Que le ciel à son gré de ma perte dispose, J'en chérirai toujours et l'une et l'autre cause, Glorieux de mourir pour le sang de mes rois, Et plus heureux encor de mourir sous vos lois. Aussi bien que ferais-je en ce commun naufrage? Pourrais-je me résoudre à vivre davantage? En vain les dieux voudraient différer mon trépas Mon désespoir ferait ce qu'ils ne feraient pas. Mais peut-être, après tout, notre frayeur est vaine : Attendons.... Mais voici Polynice et la reine.

SCÈNE III.

JOCASTE, POLYNICE, ANTIGONE, HÉMON.

POLYNICE.

Madame, au nom des dieux, cessez de m'arrêter :
Je vois bien que la paix ne peut s'exécuter.
J'espérais que du ciel la justice infinie
Voudrait se déclarer contre la tyrannie,
Et que, lassé de voir répandre tant de sang,
Il rendrait à chacun son légitime rang :
Mais puisque ouvertement il tient pour l'injustice,
Et que des criminels il se rend le complice,
Dois-je encore espérer qu'un peuple révolté,
Quand le ciel est injuste, écoute l'équité?
Dois-je prendre pour juge une troupe insolente,
D'un fier usurpateur ministre violente,
Qui sert mon ennemi par un lâche intérêt,
Et qu'il anime encor, tout éloigné qu'il est?
La raison n'agit point sur une populace.
De ce peuple déjà j'ai ressenti l'audace :

Et, loin de me reprendre après m'avoir chassé,
Il croit voir un tyran dans un prince offensé.
Comme sur lui l'honneur n'eut jamais de puissance,
Il croit que tout le monde aspire à la vengeance :
De ses inimitiés rien n'arrête le cours;

Quand il hait une fois, il veut haïr toujours.

JOCASTE.

Mais s'il est vrai, mon fils, que ce peuple vous craigne,
Et que tous les Thébains redoutent votre règne,
Pourquoi par tant de sang cherchez-vous à régner
Sur ce peuple endurci que rien ne peut gagner?

POLYNICE.

Est-ce au peuple, madame, à se choisir un maître?
Sitôt qu'il hait un roi, doit-on cesser de l'être?
Sa haine, ou son amour, sont-ce les premiers droits
Qui font monter au trône ou descendre les rois ?
Que le peuple à son gré nous craigne ou nous chérisse,
Le sang nous met au trône, et non pas son caprice :
Ce que le sang lui donne, il le doit accepter;
Et s'il n'aime son prince, il le doit respecter.

JOCASTE.

Vous serez un tyran haï de vos provinces.

POLYNICE.

Ce nom ne convient pas aux légitimes princes;
De ce titre odieux mes droits me sont garants:
La haine des sujets ne fait pas les tyrans.

Appelez de ce nom Étéocle lui-même.

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POLYNICE.

C'est un tyran qu'on aime,

Qui par cent lâchetés tâche à se maintenir
Au rang où par la force il a su parvenir;
Et son orgueil le rend, par un effet contraire,
Esclave de son peuple et tyran de son frère.
Pour commander tout seul il veut bien obéir,
Et se fait mépriser pour me faire haïr.

Ce n'est pas sans sujet qu'on me préfère un traître :
Le peuple aime un esclave, et craint d'avoir un maître.
Mais je croirais trahir la majesté des rois,

Si je faisais le peuple arbitre de mes droits.

JOCASTE.

Ainsi donc la discorde a pour vous tant de charmes?
Vous lassez-vous déjà d'avoir posé les armes ?
Ne cesserons-nous point, après tant de malheurs,
Vous, de verser du sang, moi, de verser des pleurs?
N'accorderez-vous rien aux larmes d'une mère?
Ma fille, s'il se peut, retenez votre frère :
Le cruel pour vous seule avait de l'amitié.

ANTIGONE.

Ah! si pour vous son âme est sourde à la pitié, Que pourrais-je espérer d'une amitié passée, Qu'un long éloignement n'a que trop effacée? A peine en sa mémoire ai-je encor quelque rang : Il n'aime, il ne se plaît qu'à répandre du sang. Ne cherchez plus en lui ce prince magnanime, Ce prince qui montrait tant d'horreur pour le crime, Dont l'âme généreuse avait tant de douceur, Qui respectait sa mère et chérissait sa sœur : La nature pour lui n'est plus qu'une chimère; Il méconnaît sa sœur, il méprise sa mère;

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