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Transportés à la fois de douleur et de rage,
Nos bras impatients ont puni son forfait,
Et vengé dans son sang la mort de Bajazet.

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Près de ces lieux, seigneur, craignant votre secours,
Avait au nœud fatal abandonné ses jours.
Moi-même des objets j'ai vu le plus funeste,
Et de sa vie en vain j'ai cherché quelque reste;
Bajazet était mort. Nous l'avons rencontré

De morts et de mourants noblement entouré,
Que, vengeant sa défaite, et cédant sous le nombre,
Ce héros a forcés d'accompagner son ombre.

Mais, puisque c'en est fait, seigneur, songeons à nous.

ACOMAT.

Ah! destins ennemis, où me réduisez-vous ?

Je sais en Bajazet la perte que vous faites,
Madame ; je sais trop qu'en l'état où vous êtes
Il ne m'appartient point de vous offrir l'appui

De quelques malheureux qui n'espéraient qu'en lui :
Saisi, désespéré d'une mort qui m'accable,

Je vais, non point sauver cette tête coupable,
Mais, redevable aux soins de mes tristes amis,

Défendre jusqu'au bout leurs jours qu'ils m'ont commis.
Pour vous, si vous voulez qu'en quelque autre contrée
Nous allions confier votre tête sacrée,

Madame, consultez : maîtres de ce palais,
Mes fidèles amis attendront vos souhaits;

Et moi, pour ne point perdre un temps si salutaire,
Je cours où ma présence est encor nécessaire,
Et, jusqu'au pied des murs que la mer vient laver,
Sur mes vaisseaux tout prêts je viens vous retrouver.

SCÈNE XII.

ATALIDE, ZAIRE.

ATALIDE.

Enfin, c'en est donc fait; et, par mes artifices,
Mes injustes soupçons, mes funestes caprices,
Je suis donc arrivée au douloureux moment
Où je vois par mon crime expirer mon amant!
N'était-ce pas assez, cruelle destinée,
Qu'à lui survivre, hélas! je fusse condamnée ?
Et fallait-il encor que, pour comble d'horreurs,
Je ne pusse imputer sa mort qu'à mes fureurs?
Oui, c'est moi, cher amant, qui t'arrache la vie;
Roxane ou le sultan ne te l'ont point ravie;
Moi seule j'ai tissu le lien malheureux
Dont tu viens d'éprouver les détestables nœuds.
Et je puis, sans mourir, en souffrir la pensée,
Moi qui n'ai pu tantôt, de ta mort menacée,
Retenir mes esprits prompts à m'abandonner!
Ah! n'ai-je eu de l'amour que pour
t'assassiner?
Mais c'en est trop; il faut, par un prompt sacrifice,
Que ma fidèle main te venge et me punisse.

Vous, de qui j'ai troublé la gloire et le repos,
Héros, qui deviez tous revivre en ce héros ;

Toi, mère malheureuse, et qui, dès notre enfance,
Me confias son cœur dans une autre espérance,
Infortuné vizir, amis désespérés,

Roxane, venez tous, contre moi conjurés,
Tourmenter à la fois une amante éperdue,
Et prenez la vengeance enfin qui vous est due.

ZAÏRE.

(Elle se tue.)

Ah madame!... Elle expire. Oh ciel! en ce malheur, Que ne puis-je avec elle expirer de douleur !

FIN DE BAJAZET.

DE MITHRIDATE.

Il n'y a guère de noin plus connu que celui de Mithridate: sa vie et sa mort font une partie considérable de l'histoire romaine; et, sans compter les victoires qu'il a remportées, on peut dire que ses seules défaites ont fait presque toute la gloire de trois des plus grands capitaines de la république, c'est à savoir, de Sylla, de Lucullus, et de Pompée. Ainsi je ne pense pas qu'il soit besoin de citer ici mes auteurs: car, excepté quelques événements que j'ai un peu rapprochés par le droit que donne la poésie, tout le monde reconnaîtra aisément que j'ai suivi l'histoire avec beaucoup de fidélité. En effet, il n'y a guère d'actions éclatantes dans la vie de Mithridate qui n'aient trouvé place dans ma tragédie. J'y ai inséré tout ce qui pouvait mettre en jour les mœurs et les sentiments de ce prince, je veux dire sa haine violente contre les Romains, son grand courage, sa finesse, sa dissimulation, et enfin cette jalousie qui lui était si naturelle, et qui a tant de fois coûté la vie à ses maîtresses.

La seule chose qui pourrait n'être pas aussi connue que le reste, c'est le dessein que je lui fais prendre de passer dans l'Italie. Comme ce dessein m'a fourni une des scènes qui ont le plus réussi dans ma tragédie, je crois que le plaisir du lecteur pourra redoubler, quand il verra que presque tous les historiens ont dit ce que je fais dire ici à Mithridate.

Florus, Plutarque, et Dion Cassius, nomment les pays par où il devait passer. Appien d'Alexandrie entre plus dans le détail; et, après avoir marqué les facilités et les secours que Mithridate espérait trouver dans sa marche, il ajoute que ce projet fut le prétexte dont Pharnace se servit pour faire révolter toute l'armée, et que les soldats, effrayés de l'entreprise de son père, la regardèrent comme le désespoir d'un prince qui ne cherchait qu'à périr avec éclat. Ainsi elle fut en partie cause de sa mort, qui est l'action de ma tragédie.

J'ai encore lié ce dessein de plus près à mon sujet; je m'en suis servi pour faire connaître à Mithridate les secrets sentiments de ses deux fils. On ne peut prendre trop de précaution pour ne rien mettre sur le théâtre qui ne soit très-nécessaire; et les plus belles scènes sont en danger d'ennuyer, du moment qu'on peut les séparer de l'action, et qu'elles l'interrompent, au lieu de la conduire vers sa fin.

Voici la réflexion que fait Dion Cassius sur ce dessein de Mithridate: Cet homine, dit-il, était véritablement né pour entreprendre de grandes choses. Comme il avaît souvent éprouvé la bonne et la mauvaise fortune, il ne croyait rien au-dessus de ses espérances et de son audace, et mesurait ses desseins bien plus à la grandeur de son courage qu'au mauvais état de ses affaires; bien résolu, si son entreprise ne réussissait point, de faire une fin digne d'un grand roi, et de s'ensevelir lui-même sous les ruines de son empire, plutôt que de vivre dans l'obscurité et dans la bassesse.

J'ai choisi Monime entre les femmes que Mithridate a aimées. I paraît que c'est celle de toutes qui a été la plus vertueuse, et qu'il a aimée le plus tendrement. Plutarque semble avoir pris plaisir à décrire le malheur et les sentiments de cette princesse. C'est lui qui m'a donné

l'idée de Monime; et c'est en partie sur la peinture qu'il en a faite que j'ai fondé un caractère que je puis dire qui n'a point déplu. Le lecteur trouvera bon que je rapporte ses paroles telles qu'Amyot les a traduites; car elles ont une grâce dans, le vieux style de ce traducteur, que je ne crois point pouvoir égaler dans notre langue moderne.

« Cette-ci estoit fort renommée entre les Grecs, pour ce que, quelques « sollicitations que lui sceust faire le roi en estant amoureux, jamais nc « voulut entendre à toutes ses poursuites jusqu'à ce qu'il y eust accord << de mariage passé entre eux, et qu'il lui eust envoyé le diadesine ou ban. <<< deau royal, et appellée royne. La pauvre dame, depuis que ce roi << l'eut espousée, avoit vescu en grande desplaisance, ne faisant conti<<nuellement autre chose que de plorer la malheureuse beauté de son << corps, laquelle, au lieu de lui donner un mari, lui avoit donné un << maistre, et, au lieu de compaignie conjugale, et que doibt avoir une << dame d'honneur, lui avoit baillé une garde et garnison d'hommes bar<<< bares qui la tenoient comme prisonnière loin du doulx pays de la <<< Grece, en lieu où elle n'avoit qu'un songe et une ombre de biens; et << au contraire avoit réellement perdu les véritables, dont elle jouissoit au << pays de sa naissance. Et quand l'eunuque fut arrivé devers elle, et lui << eut faict commandement de par le roi qu'elle eust à mourir, adonc elle << s'arracha d'alentour de la teste son bandeau royal, et se le nouant << alentour du col, s'en pendit. Mais le bandeau ne fut pas assez fort, et <<< se rompit incontinent. Et lors elle se prit à dire : O maudit et mal«< heureux tissu, ne me serviras-tu point au moins à ce triste service? <<< En disant ces paroles, elle le jeta contre terre, crachant dessus, et << tendit la gorge à l'eunuque. »

Xipharès était fils de Mithridate et d'une de ses femmes qui se nommait Stratonice. Elle livra aux Romains une place de grande importance, où étaient les trésors de Mithridate, pour mettre son fils Xipharès dans les bonnes graces de Pompée. Il y a des historiens qui prétendent que Mithridate fit mourir ce jeune prince pour se venger de la perfidie de sa mère.

Je ne dis rien de Pharnace; car qui ne sait pas que ce fut lui qui souleva contre Mithridate ce qui lui restait de troupes, et qui força ce prince à se vouloir empoisonner, et à se passer son épée au travers du corps pour ne pas tomber entre les mains de ses ennemis? C'est ce même Pharnace qui fut vaincu depuis par Jules César, et qui fut tué ensuite dans une autre bataille.

TRAGÉDIE. (1673.)

ACTEURS.

MITHRIDATE, rol de Pont et de quantité d'autres royaumes.
MONIME, accordée avec Mithridate, et déjà déclarée reine.

PHARNACE,

XIPHARÈS,

fils de Mithridate, mais de différentes mères.

ARBATE, confident de Mithridate, et gouverneur de la place de

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La scène est à Nymphée, port de mer sur le Bosphore Cimmérien, dans la Chersonèse Taurique.

ACTE PREMIER.

SCÈNE I.

XIPHARÈS, ARBATE.

XIPHARÈS.

On nous faisait, Arbate, un fidèle rapport :
Rome en effet triomphe, et Mithridate est mort.
Les Romains vers l'Euphrate ont attaqué mon père,
Et trompé dans la nuit sa prudence ordinaire.
Après un long combat, tout son camp dispersé
Dans la foule des morts, en fuyant, l'a laissé;
Et j'ai su qu'un soldat dans les mains de Pompée
Avec son diadème a remis son épée.

Ainsi ce roi, qui seul a durant quarante ans
Lassé tout ce que Rome eut de chefs importants,
Et qui, dans l'Orient balançant la fortune,
Vengeait de tous les rois la querelle commune,
Meurt, et laisse après lui, pour venger son trépas,
Deux fils infortunés qui ne s'accordent pas.

ARBATE,

Vous, seigneur! Quoi! l'ardeur de régner en sa place

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