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Il épargne à ma mort leur présence importune.
Que ne puis-je payer ce service important

De tout ce que mon trône eut de plus éclatant!
Mais vous me tenez lieu d'empire, de couronne;
Vous seule me restez: souffrez que je vous donne,
Madame; et tous ces vœux que j'exigeais de vous,
Mon cœur pour Xipharès vous les demande tons.

MONIME,

Vivez, seigneur, vivez pour le bonheur du monde,
Et pour sa liberté, qui sur vous seul se fonde;
Vivez pour triompher d'un ennemi vaincu,

Pour venger...

MITHRIDATE.

C'en est fait, madame, et j'ai vécu.
Mon fils, songez à vous: gardez-vous de prétendre
Que de tant d'ennemis vous puissiez vous défendre.
Bientôt tous les Romains, de leur honte irrités,
Viendront ici sur vous fondre de tous côtés.

Ne perdez point le temps que vous laisse leur fuite
A rendre à mon tombeau des soins dont je vous quitte.
Tant de Romains sans vie, en cent lieux dispersés,
Suffisent à ma cendre et l'honorent assez.

Cachez-leur pour un temps vos noms et votre vie.

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Moi, seigneur, que je fuie?

Que Pharnace impuni, les Romains triomphants,

N'éprouvent pas bientôt...

MITHRIDATE.

Non, je vous le défends.

Tôt ou tard il faudra que Pharnace périsse :
Fiez-vous aux Romains du soin de son supplice.

Mais je sens affaiblir ma force et mes esprits.
Je sens que je me meurs... Approchez-vous, mon fils;
Dans cet embrassement dont la douceur me flatte,
Venez, et recevez l'âme de Mithridate.

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Ah madame! unissons nos douleurs,

Et par tout l'univers cherchons-lui des vengeurs.

FIN DE MITHRIDATE.

D'IPHIGÉNIE.

Il n'y a rien de plus célèbre dans les poëtes que le sacrifice d'Iphigénie mais ils ne s'accordent pas tous ensemble sur les plus importantes particularités de ce sacrifice. Les uns, comme Eschyle dans AGAMEMNON, Sophocle, dans ÉLECTRE, et, après eux, Lucrèce, Horace, et beaucoup d'autres, veulent qu'on ait en effet répandu le sang d'Iphigénie, fille d'Agamemnon, et qu'elle soit morte en Aulide. Il ne faut que lire Lucrèce au commencement de son premier livre :

Aulide quo pacto Triviaï virginis aram
Iphianassaï turparunt sanguine fœde
Ductores Danaum, etc.

Et Clytemnestre dit dans Eschyle qu'Agamemnon son mari, qui vient d'expirer, rencontrera dans les enfers Iphigénie sa fille, qu'il a autrefois immolée.

D'autres ont feint que Diane ayant eu pitié de cette jeune princesse, l'avait enlevée et portée dans la Tauride au moment qu'on l'allait sacrifier, et que la déesse avait fait trouver en sa place ou une bichic, ou une autre victime de cette nature. Euripide a suivi cette fable, et Ovide l'a mise au nombre des métamorphoses.

Il y a une troisième opinion, qui n'est pas moins ancienne que les deux autres, sur Iphigénie. Plusieurs auteurs, et entre autres Stésichorus, l'un des plus anciens poëtes lyriques, ont écrit qu'il était bien vrai qu'une princessc de ce nom avait été sacrifiée, mais que cette Iphigénie était une fille qu'Hélène avait eue de Thésée. Hélène, disent ces auteurs, ne l'avait osé avouer pour sa fille, parce qu'elle n'osait déclarer à Ménélas qu'elle eût été mariée en secret avec Thésée. Pausanias (Corinth. pag. 123) rapporte et le témoignage et les noms des poètes qui ont été de ce sentiment; et il ajoute que c'était la créance commune de tout le pays d'Argos.

Homère enfin, le père des poëtes, a si peu prétendu qu'Iphigénie, fille d'Agamemnon, eût été ou sacrifiée en Aulide, ou transportée dans la Scythie, que, dans le neuvième livre de l'Iliade, c'est-à-dire près de dix ans depuis l'arrivée des Grecs devant Troie, Agamemnon fait offrir en mariage à Achille sa fille Iphigénie, qu'il a, dit-il, laissée à Mycènes, dans sa maison.

J'ai rapporté tous ces avis si différents, et surtout le passage de Pausanias, parce que c'est à cet auteur que je dois l'heureux personnage d'Ériphile, sans lequel je n'aurais jamais osé entreprendre cette tragédie. Quelle apparence que j'eusse souillé la scène par le meurtre horrible d'une personne aussi vertueuse et aussi aimable qu'il fallait représenter Iphigénie? Et quelle apparence encore de dénouer ma tragédie par le secours d'une déesse et d'une machine, et par une métamorphose qui pouvait bien trouver quelque créance du temps d'Euripide, mais qui serait trop absurde et trop incroyable parmi nous ?

Je puis dire donc que j'ai été très-heureux de trouver dans les anciens cette autre Iphigénie, que j'ai pu représenter telle qu'il m'a plu, et qui, tombant dans le malheur où cette amante jalouse voulait précipiter sa rivale, mérite en quelque façon d'être punie, sans être pourtant tout à fait indigne de compassion. Ainsi le dénouement de la pièce est

tiré du fond même de la pièce. Et il ne faut que l'avoir vu représenter pour comprendre quel plaisir j'ai fait au spectateur, et en sauvant à la fin une princesse vertueuse pour qui il s'est si fort intéressé dans le cours de la tragédie, et en la sauvant par une autre voie que par un miracle, qu'il n'aurait pu souffrir, parce qu'il ne le saurait jamais croire. Le voyage d'Achille à Lesbos, dont ce héros se rend maître, et d'où il cnlève Ériphile avant que de venir en Aulide, n'est pas non plus sans fondement. Euphorion de Chaleide, poéte très-connu parmi les anciens, et dont Virgile (Églog, 10) et Quintilien (Instit. 1. to) font une mention honorable, parlait de ce voyage de Lesbos. Il disait dans un de ses poémes, au rapport de Parthénius, qu'Achille avait fait la conquête de cette île avant que de joindre Farmée des Grecs, et qu'il y avait même trouvé une princesse qui s'était éprise d'amour pour lui,

Voilà les principales choses en quoi je me suis un peu éloigné de l'économie et de la fable d'Euripide. Pour ce qui regarde les passions, je me suis attaché à le suivre plus exactement. J'avoue que je lui dois un bon nombre des endroits qui ont été le plus approuvés dans ma tragédie; et je l'avoue d'autant plus volontiers, que ces approbations m'ont confirmé dans l'estime et dans la vénération que j'ai toujours cucs pour les ouvrages qui nous restent de l'antiquité. J'ai reconnu avec plaisir, par l'effet qu'a produit sur notre théâtre tout ce que j'ai imité ou d'Homère ou d'Euripide, que le bon sens et la raison étaient les mêmes dans tous les siècles. Le goût de Paris s'est trouvé conforme à celui d'Athènes: mes spectateurs ont été émus des mêmes choses qui ont mis autrefois en larmes le plus savant peuple de la Grèce, et qui ont fait dire qu'entre les poëtes Euripide était extrêmement tragique, TRAGICÔTATOS, c'està-dire qu'il savait merveilleusement exciter la compassion et la terreur, qui sont les véritables effets de la tragédie.

Je m'étonne après cela que les modernes aient témoigné depuis peu tant de dégoût pour ce grand poëte, dans le jugement qu'ils ont fait de son ALCESTE. Il ne s'agit point ici de l'ALCESTE ; mais en vérité j'ai trop d'obligation à Euripide pour ne pas prendre quelque soin de sa mémoire, et pour laisser échapper l'occasion de le réconcilier avec ces messieurs. Je m'assure qu'il n'est si mal dans leur esprit que parce qu'ils n'ont pas bien lu l'ouvrage sur lequel ils l'ont condamné. J'ai choisi la plus importante de leurs objections, pour leur montrer que j'ai raison de parler ainsi, je dis la plus importante de leurs objections; car ils la répètent à chaque page, et ils ne soupçonnent pas seulement que l'on y puisse répliquer.

Il y a dans l'ALCESTE d'Euripide une scène merveilleuse, où Alceste qui se meurt, et qui ne peut plus se soutenir, dit à son mari les derniers adieux. Adınète, tout en larmes, la prie de reprendre ses forces, et de ne se point abandonner elle-même. Alceste, qui a l'image de la mort devant les yeux, lui parle ainsi :

Je vois déjà la rame et la barque fatale;

J'entends le vieux nocher sur la rive infernale :
Impatient, il crie, On t'attend ici-bas,

Tout est prêt, descends, viens, ne me retarde pas.

J'aurals souhaité de pouvoir exprimer dans ces vers les grâces qu'ils ont dans l'original: mais au moins en voilà le sens. Voici comme ces messieurs les ont entendus. Il leur est tombé entre les mains une malheureuse édition d'Euripide, où l'imprimeur a oublié de mettre dans

le latin, à côté de ces vers, un AL. qui signifie que c'est Alceste qui parle; et, à côté des vers suivants, un AD. qui signifie que c'est Admète qui répond. Là-dessus il leur est venu dans l'esprit la plus étrange pensée du monde : ils ont mis dans la bouche d'Admète les paroles qu'Alceste dit à Admète, et celles qu'elle se fait dire par Caron. Ainsi ils supposent qu'Admète, quoiqu'il soit en parfaite santé, pense voir déjà Caron qui le vient prendre et, au lieu que, dans ce passage d'Euripide, Caron impatient presse Alceste de le venir trouver; selon ces messieurs, c'est Admète effrayé qui est l'impatient, et qui presse Alceste d'expirer, de peur que Caron ne le prenne. « Il << l'exhorte (ce sont leurs termes) à avoir courage, à ne pas faire une «<lâcheté, et à mourir de bonne grâce; il interrompt les adieux d'Alceste « pour lui dire de se dépêcher de mourir. » Peu s'en faut, à les entendre, qu'il ne la fasse mourir lui-même.

Ce sentiment leur a paru fort vilain. Et ils ont raison: il n'y-a personne qui n'en fût très-scandalisé. Mais comment l'ont-ils pu attribuer à Euripide? En vérité, quand toutes les autres éditions où cet AL. n'a point été oublié ne donneraient pas un démenti au malheureux imprimeur qui les a trompés, la suite de ces quatre vers, et tous les discours qu'A'dmète tient dans la même scène, étaient plus que suffisants pour les empêcher de tomber dans une erreur si déraisonnable. Car Admète, bien éloigné de presser Alceste de mourir, s'écrie «< que toutes les morts <<< ensemble lui seraient moins cruelles que de la voir dans l'état où il «la voit: il la conjure de l'entraîner avec elle; il ne peut plus vivre « si elle meurt: il vit cn elle; il ne respire que pour elle. »

Ils ne sont pas plus heureux dans les autres objections. Ils disent, par exemple, qu'Euripide a fait deux époux surannés d'Admète et d'Alceste; que l'un est un vieux mari, et l'autre une princesse déjà sur l'âge. Euripide a pris soin de leur répondre en un seul vers, où il fait dire par le chœur qu'Alceste toute jeune, et dans la première fleur de son âge, expire pour son jeune époux.

Ils reprochent encore à Alceste qu'elle a deux grands enfants à marier. Comment n'ont-ils point lu le contraire en cent autres endroits, et surtout dans ce beau récit où l'on dépeint Alceste mourante au milieu de ses deux petits enfants qui la tirent, en pleurant, par la robe, et qu'elle prend sur ses bras l'un après l'autre pour les baiser ?

Tout le reste de leurs critiques est à peu près de la force de celles-ci. Mais je crois qu'en voilà assez pour la défense de mon auteur. Je conseille à ces messieurs de ne plus décider si légèrement sur les ouvrages des anciens. Un homme tel qu'Euripide méritait au moins qu'ils l'examinassent, puisqu'ils avaient envie de le condamner. Ils devaient se souvenir de ces sages paroles de Quintilien : « Il faut être extrêmement circons«pect et très-retenu à prononcer sur les ouvrages de ces grands hommes, << de peur qu'il ne nous arrive, comme à plusieurs, de condamner ce << que nous n'entendons pas. Et, s'il faut tomber dans quelques excès, << encore vaut-il mieux pécher en admirant tout dans leurs écrits, << qu'en y blamant beaucoup de choses (1). »

(1) Modeste tamen et circumspecto judicio de tantis viris pronunciandum est, ne, quod plerisque accidit, damnent quæ non intelligunt. Ac si necesse est in alteram errare partem, omnia eorum legentibus placere, quam multa displicere, maluerim.

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La scène est en Aulide, dans la tente d'Agamemnon.

ACTE PREMIER.

SCÈNE I.

AGAMEMNON, ARCAS.

AGAMEMNON.

Oui, c'est Agamemnon, c'est ton roi qui t'éveille.
Viens, reconnais la voix qui frappe ton oreille.

ARCAS.

C'est vous-même, seigneur! Quel important besoin
Vous a fait devancer l'aurore de si loin?

A peine un faible jour vous éclaire et me guide,

Vos yeux seuls et les miens sont ouverts dans l'Aulide. Avez-vous dans les airs entendu quelque bruit?

Les vents nous auraient-ils exaucés cette nuit? Mais tout dort, et l'armée, et les vents, et Neptune.

AGAMEMNON.

Heureux qui, satisfait de son humble fortune,
Libre du joug superbe où je suis attaché,
Vit dans l'état obscur où les dieux l'ont caché!

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