Imágenes de páginas
PDF
EPUB

NOTICE

SUR

M. CHARLES DELACOUR

Juge honoraire,

ancien Vice-Président du Bureau de Bienfaisance,
Administrateur de la Caisse d'Epargne,

Président honoraire de la Société d'Horticulture de Beauvais,
Président honoraire de la Société Académique de l'Oise,
Chevalier de la Légion-d'Honneur.

Le onze février mil huit cent quatre-vingt-trois, la ville de Beauvais voyait s'éteindre une existence bien digne et bien méritante. Le trépas avait atteint un ancien magistrat aussi intègre qu'éclairé, un naturaliste distingué sachant admirablement allier la science la plus éminente avec une simplicité charmante. Cet homme de bien, cette intelligence d'élite, c'était l'ancien Président de la Société Académique de l'Oise, c'était le Président honoraire de la Société d'Horticulture de Beauvais, c'était le vénérable M. Charles Delacour. Il prenait son repos, après quatrevingt-sept ans d'activité. Qui ne se rappelle ce beau vieillard à la figure douce et sympathique? Qui ne l'a vu traversant lentement nos rues pour aller visiter ses amis nombreux ou pour se rendre à nos séances? Son éloge est sur toutes les lèvres. Des

voix autorisées (1) l'ont redit avec éloquence sur sa tombe, et un savant ami (2) a retracé sa vie de botaniste dans une fort intéressante Notice biographique (3). Une seconde biographie paraîtrait bien superflue après cela, si la Société Académique de l'Oise ne tenait pas à payer ce juste tribut d'hommage et de reconnaissance à l'homme honorable qui a été son Secrétaire pendant vingt-quatre ans (1847-1870), l'un de ses Vice-Présidents pendant huit ans (1871-1878), et son Président pendant quatre années (1879-1882). Chargé par elle de remplir cette mission délicate, je vais donc essayer de retracer, le moins imparfaitement possible, les différentes péripéties de la vie de M. Charles Delacour et de faire revivre les qualités qui le distinguaient et qui l'ont fait honorer du monde savant.

M. Charles Delacour appartenait à l'une des anciennes et des plus respectables familles de Beauvais. Il y naquit le 5 octobre 1795, comme la révolution commençait à s'apaiser. Il était le quatrième fils (4) de Germer Delacour et de Marie-Suzanne-Elisa

(1) M. Froment, Président du Tribunal civil de Beauvais, et M. d'Elbée Vice-Président de la Société d'Horticulture de Beauvais.

(2) M. Rodin Secrétaire de la Société d'Horticulture de Beauvais. (3) Notice biographique sur M. Ch. Delacour, publiée dans le Bulletin de la Société d'Horticulture de Beauvais, année 1883, fascicule du mois de mai, p. 70-80.

(4) Germer Delacour eut neuf enfants, cinq garçons et quatre filles. Les cinq garçons furent :

1° Stanislas, mort jeune;

2o Louis-Stanislas-Xavier, mort à Bresles;

3o Alexandre, né le 3 janvier 1793, qui fut longtemps conseiller municipal et adjoint de la ville de Beauvais ;

4o Charles, dont nous écrivons la vie ;

5° Germer-Edouard, né le 31 octobre 1805, qui fut secrétaire d'ambassade à Stockholm, ambassadeur à Naples, puis à Constantinople. Les quatre filles furent :

1° Marguerite-Victoire, mariée à Jacques-François Boufflers;

2o Marie-Elisabeth-Gabrielle, née le 3 août 1787, qui épousa, le 28 octobre 1808, Louis-Charles-Stanislas Richard;

3° Pauline-Rosalie-Justine, née le 27 décembre 1797, qui s'allia, le 14 janvier 1816, à Pierre-Victor Babinet de Rancogne;

4° Charlotte-Elise-Rosalie, née le 6 mars 1801, morte le 5 novembre 1808.

beth Ducancel. Son père, bon bourgeois et fidèle communier, exerçait alors une profession très productive et non moins estimée, il était maître teinturier; la fortune, du reste, avait secondé son travail.

Le jeune Charles Delacour commença ses premières études à Beauvais, et fit ses humanités au collège de cette ville, alors dirigé par le vénérable abbé Guénard. Sa mère, le destinant à la magistrature, l'envoya faire son droit à Paris. Son père était mort le 21 septembre 1808 et n'avait pu voir que les débuts de ses études et assister à ses premiers succès. A Paris, pour s'initier plus pratiquement aux connaissances dont il allait avoir besoin, Charles Delacour entra comme clerc dans l'étude de Me Fleury, avoué près du tribunal civil. Il y exerçait en 1815, et le 2 mai 1818 il était reçu licencié en droit. Cette distinction venant récompenser son travail ne l'empêcha pas de continuer ses soins à son étude d'avoué, et c'est là que naquit chez lui cet amour ardent des sciences naturelles, cette passion pour les plantes, qui ont fait de lui un botaniste de premier ordre. Je laisse son panégyriste et son ami, M. Rodin, raconter cette entrée dans le monde savant de notre jeune jurisconsulte :

« Un beau jour de printemps, avant de se rendre à son étude, où l'attendaient d'indigestes dossiers, il se promenait nonchalamment le long des quais de la Seine, inspectant les vitrines des bouquinistes, quand, tout à coup, ses regards tombèrent sur la Nouvelle Flore des environs de Paris, en deux volumes, par Mérat: il prit l'ouvrage dans le rayon où il reposait, y jeta les regards à droite et à gauche, puis par curiosité ou par conscience d'avoir écorné quelques pages, il le marchanda, l'acheta et l'emporta avec lui. Ce jour là, peu de papier timbré fut griffonné, le Code se reposa souvent, et la nouvelle emplette seule put captiver l'attention de l'étudiant en procédure.

« Ce langage scientifique et tout nouveau, ces descriptions sommaires et énigmatiques excitèrent au plus haut point sa curiosité, et, dès le lendemain, une innocente école buissonnière au bois de Boulogne lui donna une ample récolte de plantes. A son retour, il se mit à les étudier livre en main, cherchant à retrouver les caractères indiqués et oubliant les dossiers prosaïques de l'étude de son patron.

<< Son esprit d'observation, sa persévérance tenace, son intel

ligence prompte et l'attrait qu'il trouvait à soulever le voile de l'inconnu, lui firent rapidement déchiffrer ce nouveau langage; il en posséda bientôt la clef; il se familiarisa vite avec les termes techniques. Commençant par les plantes vulgaires dont il connaissait le nom, il comparaît les descriptions de l'auteur avec les organes vivants des sujets qu'il avait sous les yeux. Bientôt il découvrit lui-même les noms d'espèces, inconnues pour lui jusque-là. Il éprouva alors cette jouissance que l'on ressent à faire une découverte; il se passionna pour les plantes et pour les herborisations. Il était jeune, et à vingt-quatre ans l'imagination s'enflamme vivement. Des dossiers, des procédures, un cabinet garni de cartons sentant le tribunal, c'est si monotone et si peu poétique. Mais les fleurs, ces bijoux de la création, mais les herborisations en plein vent, sous un brillant soleil d'été, c'est bien autrement agréable. Aussi, par un beau jour du commencement de juillet de l'an 1819, son auteur favori en poche, au lieu et place du Code, le pied léger, l'esprit alerte, le cœur plein d'espérance, sans souci de l'étude, du droit, ni de son patron qu'il n'avait pas même prévenu, voilà M. Delacour parti loin de Paris. Il ne pensait pas aller bien loin, il voulait seulement explorer pendant quelques jours, dans un rayon d'une dizaine de lieues, les plaines, les vallons et les montagnes, qui devaient l'enrichir d'une flore différente de la flore du bois de Boulogne >>

Les quelques jours se prolongèrent, car les journées passaient pour lui, fécondes en richesses scientifiques, en nouvelles conquêtes, en jouissances que connaissent seuls les botanistes. Il butinait de ci et de là, à l'aventure, au caprice de ses fantaisies du moment, le plus souvent pédestrement, par hasard roulant dans les pataches de l'époque, ou gravissant, à dos de mulet, les sentiers abrupts des montagnes. De marche en marche, il fut bientôt loin des environs de Paris, et ne tarda pas à se voir aux frontières de la France. La Suisse se trouvait devant lui, il y pénétra, la parcourut, gravit ses montagnes, traversa les Alpes, avec leur flore si curieuse, et, enthousiasmé par les raretés scientifiques qu'il accumulait, il s'en fut en Italie pour compléter ses collections.

Les mois succédaient aux mois, et notre jeune et ardent explorateur marchait toujours, herborisait sans cesse. Les éti

quettes de son herbier, relevées avec soin par un honorable et savant collègue, par M. Copineau, nous permettent de le suivre étape par étape. En juillet 1819, les cotes des plantes indiquent son passage à Saint-Maurice (Vosges), à La Chaudefond (Jura), à Huningue (Haut-Rhin), à Bâle (Suisse), Winthertur, le Righi, Wasen, Andermath, le Grimsel, la Handaeck, le Saint-Gothard. En août 1819, il fait sa cueillette à Lauterbrunnen, au col de Balme, à Chamounix, au Brévent, Montanvert, les Charmettes, le Saint-Bernard, le Simplon, Domo d'Ossola (Italie) et Milan. Le mois de septembre le voit à Aoste et de nouveau au mont SaintBernard, et le mois d'octobre en Piémont, à Vérone, à Bergame, à Mortara et à Venise. En novembre, il herborise sur la route de Bologne à Florence, puis à Florence. Le mois de décembre nous offre une lacune, M. Delacour était alors probablement à Rome et visitait ses richesses monumentales et artistiques. En janvier 1820, il était à Gaëte et au tombeau de Virgile, au Pausilippe, près de Naples. Une lacune de trois mois nous donne à penser qu'il revint alors en France, car nous le retrouvons, en mai 1820, à Lyon, à Avignon et à Marseille, et en juin à Gênes; en juillet et août au mont Baldo, qui faillit lui être si fatal, à Sarravezza, où la fréquence des citations ferait supposer qu'il a passé sa convalescence après son accident du mont Baldo; en septembre à Turin, où il fit séjour, à Aoste, à Ferrare, et en novembre 1820 à Pérouse (1). »

J'ai parlé d'un accident arrivé au mont Baldo et j'y reviens, en m'aidant des détails fournis par M. Rodin. M. Delacour explorait les sommets de la montagne, une plante rare frappe ses regards et il désire la posséder. Elle est sur le bord d'un précipice, mais qu'est-ce pour un botaniste? Il veut l'avoir et il l'aura. Notre hardi compatriote s'avance, avec précaution toutefois, et tend la main pour la cueillir, malheureusement son pied glisse et il roule dans l'abîme. Il ne fut pas tué, mais il était grièvement blesssé à cette partie du corps que les pudiques Anglais n'oseraient nommer. La position était critique, M. Delacour ne pouvait se mouvoir, impossible donc de se tirer de là; personne ne l'avait vu tomber, et dans cette solitude, où ne s'aventuraient

(1) Note communiquée par M. Copineau.

« AnteriorContinuar »