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parmi les aveugles ce que Massieu fut parmi les sourds-muets. Valentin, en l'interrogeant, resta frappé de son intelligence et lui fit concevoir l'idée d'un sort préférable; mais ce ne fut point sans peine qu'il put l'emmener dans sa maison pour l'instruire. Le pauvre hère faisait de bonnes recettes, et avant de briser la tirelire il s'assura de ses journées. Il les divisa en deux parts, l'une consacrée à sa subsistance, l'autre employée aux exercices intellectuels. Comme il était plein d'ardeur et doué d'une organisation exceptionnellement heureuse, six ou huit mois d'études lui suffirent pour apprendre à lire, à calculer avec ses doigts, à connaître un peu de géographie et les principes élémentaires de la musique.

Cette prompte réussite excita la curiosité de l'Académie des Sciences et des Arts, devant laquelle Valentin fut mis à même, par son frère, de présenter son élève et de lire un mémoire spécial. Une commission, composée de Desmarets, Demours, Vicq-d'Azir, avec La Rochefoucauld-Liancourt pour rapporteur, prit le soin d'apprécier le mémoire et la méthode. Le disciple et le maître partagèrent l'admiration de tous. « Il emploie (dit le « rapport élogieux de l'Académie, lu le 16 février 1785) des ca«ractères en relief que l'aveugle s'accoutume à reconnaître au << toucher (1). Ces caractères sont séparés et mobiles comme « ceux des imprimeurs; on en forme des lignes sur une planche « percée d'entailles où la queue des caractères s'engage. » Va

à soulager les aveugles dénués. (Mém de l'abbé Georgel; Paris, 1820, t. 1, p. 485.)

La Providence leur a donné le moyen d'occuper une place à l'intérieur de la maison de Dieu, depuis le jour où l'école fondée par V. Haûy s'est mise à former de véritables artistes, élevés pour l'orgue qu'ils savent si bien faire vibrer, car ils ont la passion de la musique.

(1) On conserve encore, aux Jeunes-Aveugles, à Paris, les premiers essais d'impression en relief tentés par V. Haûy avec son système d'abréviation, afin d'éviter la confusion que pourrait faire naître la similitude de certaines lettres entre elles. En voici une phrase comme exemple : « Un bon père donne toujours à ses enfants la nourriture et le désir du << bien en tout. » Elle est estampée ainsi : Ū bō père done tojors à ses efas la noriture et le désir du bie e tot. La lettre redoublée s'indiquait par un point souscrit, l'n par un tiret supérieur, l'u par un tiret inférieur.

lentin Hauy avait aussi des caractères pour les chiffres et des signes pour la musique, le rapport le constate. Enfin il avait des cartes géographiques avec les contours, les limites et les principales positions en relief. Au moyen de ces caractères et de ces cartes, Lesueur exécuta devant l'Académie différentes opérations avec célérité et facilité. «Non seulement ce jeune homme est instruit pour lui-même (continue le rapport), mais « il est encore l'instituteur d'autres aveugles à qui il transmet « ses connaissances par les mêmes procédés qui les lui ont fait acquérir. Nous avons vu cette école qui présente un spectacle « à la fois curieux et touchant plusieurs aveugles de l'un et « l'autre sexe, apprenant d'un maître aveugle aussi, reçoivent « avec joie une instruction qui leur est donnée avec intérêt, et << tous semblent s'applaudir de concert d'acquérir une existence • nouvelle »

«

En efle, Vergennes ministre des affaires étrangères, Calonne, ministre des finances, Breteuil, ministre de la maison de Louis XVI, Miromesnil, garde des sceaux, ayant assisté aux exercices de Lesueur, appelèrent l'attention du roi sur l'heureux auteur de cette méthode d'enseignement exceptionnel. Le monarque, reconnaissant que si Valentin aüy n'avait pas conçu l'idée première en ce genre, il était néanmoins exécuteur d'un système complet d'instruction, avait autorisé la fondation, pour douze aveugles, d'une Société philanthropique dont Bailly et le duc de La Rochefoucauld-Liancourt firent partie. Elle avait accordé à l'instituteur, pour l'encourager et le soutenir, une pension de 12 livres par élève et par mois. Les résultats obtenus justifièrent cette libéralité. Valentin Haüy ouvrit donc, rue Coquillière, une école qui ne tarda pas à ètre connue dans Paris. Aux études de la grammaire, de la géographie et de la musique, le fondateur ajouta l'apprentissage de quelques métiers faciles : le tricot, le filet, la corderie, la sparterie, l'empaillage des chaises, la fabrication des jouets au boisseau et même l'imprimerie, car il avait cherché longtemps le moyen de former des livres en relief à l'usage des aveugles. C'est, à proprement parler, en cela que consiste surtout son invention. D'autres avaient employé des caractères mobiles, nul n'avait encore songé à en faire faire en relief. « Nous observâmes, dit-il, qu'une feuille d'im<< pression sortant de la presse présentait au revers toutes les

lettres en relief, mais dans un ordre contraire à celui de la « lecture. Nous fimes fondre des caractères typographiques dans << le sens où leur empreinte frappe nos yeux, et nous parvinmes à tirer le premier exemplaire qui eût paru jusqu'alors, avec << des lettres dont le relief pût être distingué par le tact (1).

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L'école gratuite de V. Hauy donnait quelques séances publiques qui attiraient la foule. Le 19 février 1785, l'Académie royale de musique offrit aussi un concert au bénéfice des aveugles-nés. Ils étaient alors treize pauvres enfants, quatre filles et neuf garçons. « Pour ne point effrayer les dames, ils avaient tous sur « les yeux des bandeaux noirs, verts, etc. » Haüy leur fit exécuter plusieurs exercices qui enlevèrent les applaudisssements de la sympathique assemblée. La séance se termina par la lecture de cette pièce de vers, dans laquelle les élèves remerciaient le public et exaltaient la bienfaisance de Messieurs de l'Académie de musique :

O ciel pour combler tes bienfaits,
Ouvre un instant notre paupière.
Et nous n'aurons plus de regrets
D'être privés de la lumière.

Que notre œil contemple les traits

De ceux dont la main nous soulage,
Et referme-le pour jamais :

Nos cœurs en garderont l'image.

Mais pourquoi formons-nous des vœux ?
Livrons-nous au plaisir d'entendre
Célébrer des noms précieux (2)

Que nos doigts apprennent à rendre.
Ne sommes-nous pas trop heureux ?

Livrons-nous au plaisir d'entendre
Célébrer des noms précieux

Que nos doigts apprennent à rendre,
Nos doigts plus heureux que nos yeux !
Hélas! toujours les mêmes vœux,

Notre cœur ne peut s'en défendre.

(1) F. Buisson: Dict. de Pédagogie; Paris, Hachette, 1882, au mot Aveugles, d'aprés J. Guadet.

(2) Ceux du roi et de la reine, les premiers noms qu'on leur appril à écrire. 23

T. XII.

Le fondateur de l'école des sourds-muels assistait à la cérémonie. C'est pourquoi le poète Théveneau improvisa séance tenante la strophe suivante, à l'adresse de V. Haüy et de l'abbé de l'Epée :

Mais dans ce siècle ingénieux

Où l'homme enfante des merveilles,
Les yeux remplacent les oreilles,
Le toucher remplace les yeux (1).

La Cour elle-même voulut voir les laborieux aveugles. V. Haüy avec ses élèves, dont le nombre était alors de vingt-quatre, fut mandé à Versailles le 26 décembre 1786 (2). On les retint au château pendant quinze jours. Leurs exercices émerveillèrent toutes les notabilités de l'époque. L'admiration des courtisans ne fut pas stérile: Louis XVI prit l'établissement sous sa protection, arrêta qu'il serait fait des fonds pour porter à cent vingt le nombre des élèves du naissant institut. Dès ce moment, pour l'agrandir, V. Haüy transféra son établissement rue Notre-Dame des Victoires, no 18, dans l'espace qui s'étend aujourd'hui derrière la Bourse. Le monarque accorda au professeur le titre de secrétaire-interprète du roi et de l'Amirauté de France pour les langues anglaise, allemande et hollandaise, puis celui de membre de l'Académie des écritures. Enfin on l'appela au poste de confiance de secrétaire particulier du roi. Il fit hommage à Sa Majesté de son Essai sur l'Education des aveugles, imprimé par les aveugles, sous la direction de Clousier, et se vendant à leur profit (3).

L'écriture était aussi pour les aveugles de première nécessité.

(1) Mémoires secrets pour l'Hist. de la République des Lettres, t. xXVIII, p. 131 et 152.

(2) Mém. secrets, XI, t. XXXIII, p. 257.

(3) Dans ce curieux volume in-4°, Paris, 1786, où V. Haüy expose sa méthode, les lettres sont rendues sensibles au doigt par le relief de leurs contours, au lieu d'être simplement sensibles à l'œil par le tracé en noir de leurs lignes. Les pages imprimées se collaient deux à deux par le revers et formaient ainsi des feuillets saillants au recto et au verso, qui se réunissaient en volume. De cette manière, les exemplaires n'ayant point passé sous le marteau du relieur peuvent être lus par les aveugles qui

V. Hauy usa de tous les moyens, fit de louables efforts pour les mettre à mème d'écrire, à l'aide soit d'un crayon, soit d'un poinçon et d'un papier de couleur. il eut beau inventer un cadre qui contenait la feuille de papier, une règle mobile qui servait de point d'appui à la main, une encre très épaisse mêlée de gomme adragante et qu'on saupoudrait de grès porphyrisé : ces tentatives eurent peu de succès, car l'aveugle écrivait tout de travers et ne pouvait s'assurer qu'il avait réellement écrit, ni se relire lui-même. Ce qu'il fallait aux aveugles c'était une écriture qui eût pour eux les mêmes avantages que la nôtre pour nous. Le mérite de cette invention était réservé à Charles Barbier, ancien officier d'artillerie. C'est son système employé aujourd'hui qu'a perfectionné, en 1827, un professeur de l'Institution des Jeunes Aveugles, Louis Braille, aveugle lui-même. Toutefois l'initiative en revient encore à V. Haüy.

En 1790, le duc de La Rochefoucauld-Liancourt, oblint du Directoire du département de Paris que les jeunes aveugles avec les sourds-muets seraient placés dans l'ancien couvent des Célestins, près de l'Arsenal. Cette réunion fut une idée malheureuse. Bientôt entre l'esprit religieux de l'abbé Sicard, continuateur de l'abbé de l'Epée, et la métaphysique du philanthrope Valentin Haüy exista un antagonisme tel que la mésintelligence éclatant entre ces chefs faillit compromettre l'existence de ces établissements. L'année suivante, l'Assemblée nationale, par un décret du 2 juillet 1791, décida que les écoles des sourdsmuets et des aveugles seraient entretenues aux frais de l'Etat, et le nombre de bourses fut porté à quatre-vingt-trois, un pour chaque département. Un décret de la Convention sépara les deux institutions, après la révolution du 9 thermidor an II (27 juillet 1794). Celle des sourds-muets fut alors transférée au séminaire Saint-Magloire, rue Saint-Jacques; celle des aveugles occupa la

les parcourent du bout des doigts. Ce livre fut traduit en anglais par Blackloc, aveugle et poète, à la suite de ses poésies (1793).

Le second titre de l'ouvrage porte: « Exposé de différents moyens vé«rifiés par l'expérience pour les mettre en état de lire à l'aide du tact, « d'imprimer des livres, dans lesquels ils puissent prendre des connais«sances de langues, d'histoire, de géographie, de musique, etc., d'exé<< cuter différents travaux relatifs aux métiers. Dédié au Roi, etc. »

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