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Mais la maladie ne s'arrête pas là. La description qui va compléter ce triste tableau s'applique aussi bien à la lèpre tuberculeuse qu'on observe encore de nos jours qu'à celle du moyen âge.

Après la face, ce sont les membres supérieurs, les avant-bras et les mains qui sont envahis. Les tubercules s'y groupent vers les coudes, les poignets et le dos des mains. Les doigts, épaissis et déformés, sont raides; les ongles secs et décolorés. Le tronc est atteint à son tour, ainsi que les organes sexuels externes. Peu à peu, les tubercules groupés se pressent les uns contre les autres, grossissent et, réunis en énormes bosselures assez régulièrement symétriques, déforment complètement les parties atteintes, notamment le visage. C'est dans cet état que la lèpre a reçu le nom de léonine, parce qu'elle donne au visage l'aspect du lion en fureur.

Mais les tubercules ne sont jamais stationnaires. Dans quelques cas rares, ils disparaissent au bout de peu de temps; dans le plus grand nombre de cas, ils continuent leur marche envahissante pour arriver à la période de ramollissement. Ils forment des ulcérations d'abord petites, superficielles, d'un rouge foncé, à bords aplatis, qui sécrètent une sérosité roussâtre, quelquefois une sanie sanguinolente, fétide, qui forme d'épaisses croûtes d'un vert noirâtre. Plus tard, l'ulcération s'agrandit en surface et en profondeur; elle envahit graduellement les tissus souscutanés, détruit des tendons, des ligaments, amène la nécrose des os et déforme ou mutile ainsi les doigts, les orteils et même les membres. Pendant ce temps, les paupières continuent de gonfler et d'épaissir, au point que leurs mouvements sont devenus impossibles; l'œil est clos et la vue perdue.

Quand l'ulcération atteint les tubercules situés à l'entrée des narines, la position du malade devient affreuse. Les ulcérations se transforment en larges ulcères qui perforent les cartilages du nez, en font carier les os; alors la charpente nasale s'effondre et le nez n'est plus qu'une plaie profonde, horrible, d'où s'écoule une sanie fétide. Si on ajoute à cela qu'en même temps le voile du palais, la luette, l'épiglotte et les cordes vocales s'infiltrent, on comprendra comment, à l'aspect hideux de la face, vient se joindre une voix sépulcrale et comment le malheureux semble n'avoir plus rien d'humain.

Ce triste tableau se déroule en plusieurs années : c'est un supplice dont la durée moyenne est de huit à dix ans. Vers la fin,

le mal, après avoir atteint presque toute la surface du corps, s'attaque aux organes internes, sources de la vie; le sang change de composition et le malade succombe dans le marasme.

Dans le siècle et dans la contrée où nous sommes, la lèpre ne doit pas nous effrayer, quant à présent; car, depuis plus de quarante ans que j'exerce la médecine et depuis plus de trente-sept ans que je suis médecin des hospices du chef-lieu de notre département, je n'ai pas eu occasion de soigner un seul lépreux. Pour en voir un, il m'a fallu, comme je l'ai dit plus haut, aller tout exprès à l'hôpital Saint-Louis, à Paris.

D'après les mesures prises dans le moyen àge, on voit que la contagion et l'hérédité de la lèpre étaient alors admises sans conteste. Mais, après la disparition de cette cruelle et horrible maladie du centre de l'Europe, les médecins, se rappelant qu'elle avait été souvent confondue avec d'autres affections et notamment avec la syphilis, en sont arrivés à en nier l'hérédité et même la contagion. Cette opinion a été soutenue avec assez de talent pour avoir prévalu jusqu'à nos jours.

Mais, vers la moitié du siècle actuel, des faits concluants ont été recueillis et enfin la démonstration scientifique a été faite. Voici d'abord, entre autres, un fait de contagion indéniable.

La lèpre était absolument inconnue aux îles Sandwich jusqu'en 1848. A cette époque, un Chinois, atteint de la lèpre tuberculeuse, y débarqua et y fut vu, en 1853, par le docteur Hildebrand. En douze ans, six indigènes avaient déjà été atteints et se disséminaient, çà et là, dans l'archipel. Ils créèrent des centres de lèpre dans les villages où ils se rendirent. La maladie s'étendit ensuite avec une telle rapidité qu'en quatre ans le nombre des lépreux, dans ces îles, s'éleva à deux cent cinquante. Douze ans plus tard, en 1876, il y en avait quatre à cinq mille sur une population de cinquante mille àmes. Dès cette époque, une léproserie en séquestra quinze cent soixante-dix.

La contagion et l'hérédité peuvent seules expliquer pourquoi, dans les contrées où on n'a pas pris de mesures radicales, la lèpre sévit encore. En effet, cette maladie est susceptible de se développer dans les climats les plus opposés. Elle s'observe encore, de nos jours, en Norwège, aux Indes Orientales et même dans le midi de la France, dans les environs de Nice et tout le long de la Corniche. Elle est endémique sur presque toutes les côtes de la mer Noire, de la Méditerranée, sur les côtes d'Afrique

jusqu'au cap de Bonne-Espérance, en Asie mineure, en Chine, en Amérique, en Irlande et en Suède.

Partout on reconnaît que l'enfant d'un lépreux naît prédisposé à la lèpre, parce que, dans la plupart des cas, son enfance ne s'écoule pas entièrement sans qu'il soit lui-même atteint. De là à proclamer l'hérédité il n'y a qu'un pas.

Mais, avant d'aller plus loin dans l'examen de ces questions d'hérédité et de contagion, voyons quels sont non plus les symptômes extérieurs, mais les caractères anatomiques intimes de la maladie.

On ne connaissait encore de la lèpre que ses manifestations extérieures, lorsque l'attention fut attirée sur un autre ordre de lésions par deux savants français M. Davaine, qui découvrit, en 1863, la bactéridie charbonneuse, et Pasteur, qui démontra, à cette époque, la nature parasitaire de la maladie des vers à soie. L'élan était donné; les savants de toutes les nations se mirent à l'œuvre.

Dès 1869, Kansen, médecin suédois, annonça avoir trouvé dans le tubercule lépreux un micro-organisme parasitaire, un bacille. Cette découverte fut bientôt confirmée, notamment en Allemagne et en France, par la constatation de la présence du bacille, non seulement dans le tubercule mais dans le sang.

Voici comment ont procédé, en France, MM. Cornil et Suchard, pour cette vérification. On enlève, sur le vivant, un fragment de tubercule dermique; on le dilacère, à l'état frais, dans de l'eau, avec des aiguilles, et on voit, dans le liquide, des grains sphériques et des bâtonnets agités de mouvements spontanés. Ces bâtonnets se plient et se retournent de façon à se présenter en long ou de face, et ils offrent des mouvements de torsion.

Pour obtenir des coupes sur lesquelles les bâtonnets soient bien visibles, MM. Cornil et Suchard ont pris de petits fragments de la peau, enlevés sur le vivant et placés immédiatement dans l'alcool à 40° d'abord, puis dans l'alcool absolu. Les coupes ont été ensuite colorées par le séjour dans une solution de violet de méthyaniline 5 B de la fabrique de M. Poirier, de 1 à 5 %, puis lavées successivement dans le carbonate de soude de 1 à 4% dans l'alcool absolu, traitées ensuite par l'essence de girofle et conservées dans le baume de Canada.

Pour bien voir les bâtonnets, il est nécessaire de se servir d'objectifs à immersion. Lorsqu'avec ces objectifs on emploie la

lumière intense du concentrateur, la lumière diffuse qui noie les cellules fait admirablement ressortir les bâtonnets colorés en bleu.

Une particularité remarquable, signalée par MM. Cornil et Suchard, c'est que les diverses couches de l'épiderme ne contiennent aucun microbe. Le revêtement épidermique forme donc un vernis imperméable, dans son état sain, aux parasites spéciaux de la lèpre. Mais il ne faut pas oublier que les parasites pullulent dans les liquides des surfaces ulcérées. Il s'en suit que toute personne atteinte d'une solution quelconque de continuité des téguments sera exposée à gagner la lèpre, si une parcelle du liquide des surfaces ulcérées arrive en ce point.

Les connaissances aujourd'hui acquises sur ces parasites infiniment petits vont plus loin encore. Robert Koch, de Berlin, en étudiant l'évolution du mycélium charbonneux, dans les liquides de culture découverts par M. Pasteur, est parvenu à démontrer la sporification des germes de ces parasites et leur puissante résistance, sous cette forme, à tous les agents de destruc tion. Cette connaissance a permis d'expliquer, par la conservation indéfinie des germes, l'apparente spontanéité de certaines épidémies.

Si nous rapprochons de ce fait le suivant, savoir que le docteur Thin a trouvé que les bacilles lépreux présentent un certain aspect moniliforme, indiquant qu'il s'y produit une formation sporulaire, comme dans le bacille de la tuberculose; si, en outre, nous rappelons que celle-ci est, dans certain cas, directement héréditaire, comme la syphilis, nous n'hésiterons pas à admettre l'hérédité de la lèpre.

De même que certains enfants trouvent la fortune dans leur berceau, tandis que d'autres n'y trouvent que l'aptitude à s'enrichir; de même les enfants d'un lépreux peuvent naître lépreux ou seulement disposés à le devenir.

En résumé, si la question du parasite qui constitue la lèpre est encore à l'étude pour les détails, l'existence du parasite lui-même n'est pas contestée. La découverte de la vitalité des contages ou germes a substitué la démonstration aux conjectures la lèpre est contagieuse et héréditaire par le passage du parasite d'un individu sur un autre, ou seulement des spores qui constitueront plus tard le parasite.

Dr BOURGEOIS.

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