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réforme et de législation qui pût soulager la misère du peuple. Louis XIV surprit ce projet entre les mains de madame de Maintenon, et blâma hautement le zèle inconsidéré de Racine. «< Parcequ'il sait « faire parfaitement des vers, dit le roi, croit-il tout « savoir? et parce qu'il est grand poète, veut-il être ministre? » Racine aurait mieux fait sans doute, pour sa gloire et pour son repos, de donner au public une bonne tragédie de plus, que de s'occuper à écrire des lieux communs plus ou moins éloquents, sur des matières qu'il n'avait pas étudiées, et sur lesquelles, avec beaucoup de connaissances, et une longue expérience, il est si facile et si ordinaire de se tromper; mais la vanité lui fit un moment illusion: son amour-propre fut flatté que madame de Maintenon l'eût choisi pour porter la vérité, ou ce qu'il prenait pour elle, aux pieds du trône ; et l'espoir si séduisant et si doux de devenir l'instrument du bonheur du peuple, après avoir été si longtemps celui de ses plaisirs, lui ferma les yeux sur les dangers de sa complaisance.

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Cependant madame de Maintenon lui fit dire de ne pas paraître à la cour jusqu'à nouvel ordre: dès ce moment Racine ne douta plus de sa disgrace. Accablé de mélancolie, et portant partout le trait mortel dont il était atteint, il retourna quelque temps après à Versailles : mais tout était changé pour lui, ou du moins il le crut ainsi ; et Louis XIV un jour ayant passé dans la galerie sans le regarder,

Racine qui n'était pas, dit Voltaire, aussi philosophe que bon poète, en mourut de chagrin 3, après avoir traîné pendant un an une vie languissante et pénible.

On ne peut assez regretter que Racine, trop indifférent pour ses tragédies profanes, qu'il aurait même voulu pouvoir anéantir, s'il en faut croire son fils, ait toujours négligé de donner une édition correcte de ses œuvres. Toutes celles qui ont paru de son vivant et depuis sa mort sont si fautives, et le texte en est si corrompu, que je ne connais aucun ouvrage qui ait plus souffert de l'incapacité des éditeurs et de la négligence des imprimeurs. L'édition publiée avec des commentaires est plus belle, mais non plus exacte que les précédentes; et l'on doit surtout reprocher aux éditeurs de n'avoir porté dans l'examen et le choix des diverses leçons, ni une critique assez éclairée, ni un goût assez sévère. A l'égard de leurs notes, il me semble qu'à l'exception des remarques de Louis Racine et de l'abbé d'Olivet, dont ils ont profité, mais qu'ils n'ont pas toujours entendues, elles n'offrent rien d'utile et d'instructif. Peut-être aussi Voltaire était-il seul capable de faire un bon commentaire sur Racine, et d'apprécier avec justesse ses beautés et ses défauts; mais on ne trouve dans ses ouvrages que des réflexions générales sur cet auteur, et quelques observations particulières sur Bérénice, qui sont un modèle de

3 Le 21 avril 1699.

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PRÉFA C E.

Le lecteur me permettra de lui demander un peu plus d'indulgence pour cette pièce que pour les autres qui la suivent. J'étais fort jeune quand je la fis. Quelques vers que j'avais faits alors tombèrent par hasard entre les mains de quelques personnes d'esprit elles m'excitèrent à faire une tragédie, et me proposèrent le sujet de la Thébaïde. Ce sujet avait été autrefois traité par Rotrou, sous le nom d'Antigone : mais il fesait mourir les deux frères dès le commencement de son troisième acte; le reste était en quelque sorte le commencement d'une autre tragédie, où l'on entrait dans des intérêts tout nouveaux ; et il avait réuni en une seule pièce deux actions différentes, dont l'une sert de matière aux Phéniciennes d'Euripide, et l'autre à l'Antigone de Sophocle. Je compris que cette duplicité d'ac

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tion avait pu nuire à sa pièce, qui d'ailleurs était remplie de quantité de beaux endroits. Je dressai à peu près mon plan sur les Pheniciennes d'Euripide: car, pour la Thébaïde qui est dans Sénèque, je suis un peu de l'opinion de Heinsius, et je tiens, comme lui, que non-seulement ce n'est point une tragédie de Sénèque, mais que c'est plutôt l'ouvrage d'un déclamateur qui ne savait ce que c'était que tragédie.

La catastrophe de ma pièce est peut-être un peu trop sanglante; en effet, il n'y paraît presque pas un acteur qui ne meure à la fin: mais aussi c'est la Thébaïde, c'est-à-dire, le sujet le plus tragique de l'antiquité.

L'amour, qui a d'ordinaire tant de part dans les tragédies, n'en a presque point ici; et je doute que je lui en donnasse davantage si c'était à recommencer; car il faudrait ou que l'un des deux frères fût amoureux, ou tous les deux ensemble. Et quelle

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