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HISTOIRE CRITIQUE

DE

L'INQUISITION

D'ESPAGNE.

CHAPITRE XXXIX.

De l'Inquisition sous le règne de Charles II.

I.

ARTICLE PREMIER.

Procès fait au confesseur du roi.

CHARLES

LES II succéda à son père le 17 septembre 1665, à l'âge de quatre ans, sous la tutelle et la régence de sa mère, Marie-Anne d'Autriche. Ce prince mourutle i novembre 1700, après un règne d'environ trente-cinq ans. Les inquisiteurs généraux, sous ce gouvernement, depuis D. Diégue de Arce, furent le cardinal D. Pascal d'Aragon, archevêque de Tolède, que la reine 'avait nommé, mais qui ne fut pas longtemps en place, cette princesse lui ayant retiré ses pouvoirs pour les confier au P. Jean Everard de Nitardo, jésuite allemand, son confesseur. Celui-ci prit possession en 1666, et quitta ce ministère au bout de trois ans, d'après un ordre de la régente. Il fut remplacé par D. Diègue de Sarmiento de Valladares,

évêque d'Oviedo et de Plasencia, qui gouverna l'faquisition jusqu'à sa mort, arrivée le 29 janvier 1695. La même année, D. Jean Thomas de Rocaberti lui succéda il était archevêque de Valence et général des moines dominicains; il mourut le 13 juin 1699, et la reine mit à la tête de l'Inquisition le cardinal D. Alphonse Fernandez de Cordova y Aguilar, qui n'exerça point le ministère auquel il venait d'être appelé, å cause de sa mort, arrivée peu de temps après sa nomination; les fonctions d'inquisiteur général furent déléguées à D. Balthasar de Mendoza - Sandoval, évêque de Ségovie, qui entra en exercice le 3 du mois de décembre de cette même année 1699.

II. L'enfance du roi Charles II, l'ambition de son frère, D. Jean d'Autriche, le caractère impérieux de la reine mère, Marie-Anne d'Autriche, et le machiavélisme du jésuite Nitardo (qui fut depuis archevêque d'Edesse et cardinal), donnèrent lieu, pendant ce règne, à plusieurs évènemens scandaleux : ce qu'il importe surtout de remarquer, c'est que le système des moyens secrets, toujours fidèlement suivi par l'Inquisition, et qui favorisait toutes les entreprises de la calomnie, inspira à Nitardo l'audace d'abuser de son ministère, jusqu'au point d'attaquer comme hérétique le frère de son roi, sans autre motif que de tirer vengeance de quelques offenses personnelles que ce prince lui avait faites, et que le jésuite avait méritéeș. J'ai donné dans le chap. XXVII la notice de ce procès, qui aurait eu des suites très-sérieuses si Nitardo avait été plus long-temps inquisiteur général. La faiblesse de ce gouvernement fut le principe de la conduite insolente que j'ai fait remarquer dans les inquisiteurs de Cordoue, Grenade, Valence, Lima, et Carthagène

des Indes, et d'un grand nombre d'autres attentats du même genre dont ils se rendirent coupables, et que je passe ici sous silence comme moins importans, et pour ne pas sortir des limites de mon sujet.

III. Lorsque Charles II épousa, en 1680, Marie-Louise de Bourbon, fille du duc d'Orléans et nièce de Louis XIV, la dureté des inquisiteurs était si grande, et le goût de la nation si dépravé, qu'on s'imagina flatter la nouvelle reine et lui rendre un hommage digne d'elle, en associant aux réjouissances de son mariage le spectacle d'un grand auto-da-fé composé de cent dixhuit victimes, dont un nombre considérable devait périr dans les flammes et éclairer les derniers momens de cette solennité. Malheureusement, on ne manquait pas d'exemples pour autoriser ces épouvantables scènes. En 1560, la ville de Tolède avait vu donner une fête semblable à la reine Élisabeth de Valois, et la capitale de l'Espagne en avait célébré une autre, en 1632, à la naissance d'un prince, fils de la reine Elisabeth de Bourbon. Il paraît que, pour amuser les princesses de France, on ne croyait pas pouvoir mieux faire que de leur offrir ces spectacles horribles, qu'on disait commandés par le zèle pour la religion: mais je suis loin de croire que ces augustes Françaises assistassent avec plaisir à des exécutions qui devaient révolter leur sensibilité, incapable de supporter ce qui convenait depuis long-temps aux mœurs des Espagnols.

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IV. Sur cent dix-huit condamnés qui parurent dans cet auto-da-fé, il y en eut dix qui abjurèrent l'hérésie comme légèrement suspects: on voyait dans ce nombre deux hypocrites qui, sous le voile d'une régularité affectée, avaient commis des délits très-graves;

deux sorcières, quatre bigames, un prêtre marié, un homme' qui, sans être prêtre, avait dit la messe, et 'un autre condamné qui abjura comme violemment suspect. On y compta cinquante - deux hérétiqués judaïsans, tous Portugais où enfans de Portugais ; dix-neuf relaxés à la justice séculière, dont dix-huit judaïsaus, impénitens ou relaps, et un apostat qui avait embrassé le mahométisme : on y brûla trente'quatre effigies, dont deux avec le san-benito des réconciliés, parce que les condamnés étaient morts repentans dans leur prison; parmi les trente-deux autres, huit 'représentaient des Juifs; et deux, un luthérien, et un hérétique illuminé; ces deux condamnés étaient morts impénitens; il y en avait vingt-deux de Juifs 'absens fugitifs.

V. Parmi ces victimes, je n'en trouve aucune qui "mérite d'être citée par son rang ou ses qualités; et je dois en dire autant de celles d'un autre auto-da-fé particulier, qui fut célébré dans l'église du couvent des religieuses de Saint-Dominique' te royal, le 28 octobre de la même année, et où l'on voit paraître quinze judaïsans réconciliés; deux avaient été condamnés à la relaxation, en vertu de sentences définitives prononcées avant l'auto-da-fé général; mais leur exécution avait été suspendue, parce que dans la nuit du 29 'ils avaient témoigné du repentir, et demandé leur réconciliation. Quelques notes manuscrites indiquent que plusieurs autres condamnés évitèrent le sort qui les attendait en achetant leur grâce au poids de l'or auprès des ministres subalternes du tribunal. Je suis persuadé que cette dernière assertion n'a aucun fondement, parce que les employés dont il s'agit n'out que très-peu d'influence après

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l'arrestation des prévenus, pour empêcher leur jugement définitif.

VI. Le procès le plus fameux que l'Inquisition ait jugé sous le règne de Charles II est celui du confesseur de ce prince, F. Froilan Diaz, religieux dominicain, évêque élu d'Avila. La faiblesse habituelle de la santé du monarque, et le défaut d'enfant, malgré le désir qu'il témoignait d'en avoir, et qui était partagé par la reine Marie-Anne de Newbourg, sa seconde femme, et par toute la nation, firent naître le soupçon que Charles II était malade, et hors d'état d'user du mariage, par l'effet surnaturel de quelque maléfice. Le cardinal Portocarrero, l'inquisiteur général Rocaberti, et le confesseur, crurent au sortilège; et, après avoir persuadé au roi qu'il était maléficié, ils le prièrent de permettre qu'on l'exorcisât suivant le formulaire de l'Eglise. Charles consentit à ce qu'on lui proposait, et se soumit aux exorcismes de son confesseur. La nouveauté de ce moyen fut, dans toute la monarchie espagnole, l'occasion d'une multitude de propos, et Froilan parvint à savoir qu'un autre moine dominicain exorcisait alors à Cangas de Tineo, bourg des Asturies, une religieuse, avec l'intention de la délivrer des démons dont elle se disait obsédée. Le confesseur du roi, d'accord avec l'inquisiteur général, chargea l'exorciste de l'énergumène de commander au démon, en employant les formules du rituel, de déclarer s'il était vrai que Charles II fût maléficié, et, s'il répondait affirmativement, de lui faire découvrir la nature du sortilège; s'il était permanent; s'il avait été attaché aux choses que le roi mangeait et buvait, à des images et à d'autres objets; dans quels lieux on pourrait les trouver; et, enfin, s'il y avait quelque

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