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son favori faisait profession d'athéisme. Cette tentative ne pouvait convenir au caractère de Lorenzana les deux conjurés s'en étant aperçus, il fut convenu que Despuig presserait le cardinal Vincenti, son ami, ancien nonce à Madrid, et fameux intrigant, d'engager Pic VI à écrire à Lorenzana, pour lui reprocher l'indifférence avec laquelle il voyait un scandale aussi nuisible à la pureté de la religion que professait la nation espagnole. Vincenti obtint du pape la lettre qu'on lui avait demandée; car il paraît que Lorenzana promit, si le pape décidait que la mesure était obligatoire, de faire ce qu'on désirait. Napoléon Bonaparte, alors général de la république française, intercepta, à Gênes, un courrier d'Italie. On trouva, parmi ses dépêches, la lettre que le cardinal Vincenti écrivait à Despuig et qui contenait celle du pape à l'archevêque de Tolède : Bonaparte crut utile à la bonne intelligence qui venait de s'établir entre la république française et le gouvernement espagnol, d'informer le prince de la Paix de l'intrigue dont il était l'objet, et il chargea le général Pérignon (aujourd'hui maréchal de France ), 'qui était alors ambassadeur à Madrid, de remettre cette correspondance au prince de la Paix. On peut juger du prix que le favori attacha à cette révélation; ce fut en opposant une autre intrigue à celle de ses ennemis qu'il réussit à rompre leurs desseins, et qu'il parvint à éloigner de l'Espagne Lorenzana, Despuig et Muzquiz, qui furent envoyés à Rome pour faire au pape des condoléances, au nom de leur maître, sur l'entrée de l'armée française dans les États romains. Leur commission est du 14 mars 1797.

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IX. L'époque dont je viens de parler est celle

où l'Inquisition courut le danger imminent de ne pouvoir plus faire arrêter personne sans la permission du roi, comme la chose avait été déjà sur le point d'arriver à la suite du procès de D. Ramon de Salas, dont l'histoire est dans le vingt-cinquième chapitre de cet ouvrage.

X. Don Gaspard Melchior de Jovellanos, ministre secrétaire d'état, entreprit de réformer le mode de procédure du Saint-Office, surtout à l'égard de la prohibition des livres; cet homme éclairé cessa d'être ministre en 1798; et, comme il suffit de tomber dans la disgrâce pour réveiller la haine de ses ennemis, il se trouva des hommes qui le dénoncèrent comme faux philosophe, ennemi de la pureté de la religion catholique et du tribunal qui veille sur sa conservation. On ne peut trouver dans l'instruction secrette aucune proposition particulière propre à motiver la censure théologique, et le procès ne fut point continué; cependant Jovellanos resta noté comme suspect; et si le tribunal échoua dans la tentative qu'il venait de faire pour le punir de l'aversion qu'il lui portait, il y parvint d'une autre manière. Ses intrigues le firent exiler de la cour, et il fut relégué, en 1801, dans l'île de Majorque, où il emporta les regrets et l'estime de tous les bons Espagnols. Son exil a duré plusieurs années.

XI. La même année 1799, les inquisiteurs de Valladolid condamnèrent, avec l'approbation du conseil, D. Mariano et D. Raymond de Santander, tous deux libraires de cette ville, à deux mois de réclusion dans un couvent; à la suspension de leur commerce pour deux ans, et au bannissement, avec défense de s'approcher de huit lieues de Valladolid,

de Madrid et des autres résidences royales. Les condamnés furent aussi obligés de payer des amendes pécuniaires pour les frais de l'Inquisition : après avoir été long-temps détenu dans les prisons secrettes, D. Mariano ne put jamais obtenir d'être transféré dans une autre maison, quoiqu'il éprouvât de fréquentes attaques d'épilepsie. Leur crime se bornait à avoir reçu et vendu quelques livres prohibés; car, quoique des hommes fanatiques ou mal-intentionnés les eussent déférés comme hérétiques, il leur fut impossible d'établir la preuve de leur dénonciation. Le 10 novembre, D. Marino et D. Raymond sollicitèrent auprès de l'inquisiteur général la permission de résider à Valladolid, en exposant que si cette grâce leur était refusée, leurs familles seraient exposées à mourir dans l'indigence, et ils offrirent de racheter leur exil par une seconde amende. Je ne puis découvrir ici aucune proportion entre la peine et le délit, surtout en comparant le traitement qu'on fait subir aux condamnés avec celui des coupables que l'on punit comme hypocrites, quels que soient le nombre et la gravité des crimes moraux que ce vice leur a fait commettre, pour surprendre la bonne foi des hommes, et con server la réputation d'une incomparable sainteté.

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Procès qui font honneur au Saint-Office.

I. L'affaire d'une béate de Cuença fit beaucoup de bruit. Elle était femme d'un laboureur du lieu de Villar de l'Aguila : entr'autres fictions qu'elle imagina pour se faire la réputation d'une sainte, elle dit que Jésus-Christ lui avait révélé qu'il avait consacré son

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corps, en changeant sa chair et son sang dans la substance même de son corps, afin d'être plus intimement uni en amour avec elle. Le délire de cette femme excita de vives discussions théologiques entre des prêtres et des moines. Les uns soutenaient que la chose était impossible, d'après la conduite ordinaire de Dieu, puisqu'il aurait failu supposer dans la béate des prérogatives plus excellentes que dans la Vierge Marie elle-même, et parce que ce changement aurait prouvé que le pain et le vin ne sont pas seuls la matière du sacrement de l'Eucharistie; les autres s'efforçaient de prouver que la chose n'était pas impossible, si l'on avait égard à la puissance infinie de Dieu : cependant ils n'osaient croire à ce grand miracle, parce que les preuves qu'on en donnait ne les satisfaisaient pas entièrement; quelques-uns croyaient tout, en s'appuyant sur la sainteté de la Béate, et ils s'étonnaient que son histoire eût fait des incrédules: car ils soutenaient qu'ils ne connaissaient rien de plus solide que la vertu de cette prédestinée, qui ne pouvait avoir, suivant leur manière de penser, aucun intérêt à mentir. Enfin, il y avait des témoins de la vie de cette femme, complices, dès l'origine, de sa fourberie, ou dupes de leur confiance et de leur crédulité, qui continuèrent de croire, au moins en apparence, à son état surnaturel, parce qu'ils s'étaient beaucoup trop avancés pour revenir sur leurs pas sans rougir. Ils poussèrent la folie jusqu'à adorer cette femme et à l'honorer d'un culte de latrie; ils la conduisirent processionnellement dans les rues et dans l'église avec des cierges allumés; ils l'encensèrent comme la sainte hostie sur l'autel; enfin on se prosterna devant elle, et l'on fit une infinité d'autres choses non moins sa

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crilèges. C'en était trop pour que l'Inquisition ne se chargeât pas de la dernière scène de ce drame scandaleux. Elle fit donc enfermer dans ses prisons secrettes cette prétendue sainte, et plusieurs personnes désignées comme ses complices. La béate y finit ses jours. Un des articles du jugement ordonnait que sa statue serait portée dans l'auto-da-fé sur un traîneau et ensuite brûlée; que le curé de Villar, et deux moines coupables de complicité, suivraient, nu-pieds, l'effigie, vêtus d'une tunique courte, la corde de genêt au cou; qu'ils seraient dégradés, et exilés à perpétuité dans les îles Philippines; que le curé de Casasimarro serait suspendu de ses fonctions pour six ans ; que deux hommes du peuple qui avaient prodigué les adorations à cette femme, recevraient chacun deux cents coups de fouet, seraient enfermés pour toujours dans un des présides, et que sa domestique serait envoyée dans la maison des Recogidas, pour y rester dix ans. Je ne connais pas de jugement de l'Inquisition plus équitable que celui-ci.

II. Cette histoire fut un exemple dont ne profita point une autre béate de Madrid: Claire était son nom. Son délire ne fut pas poussé aussi loin que celui de la précédente; mais ses miracles et sa sainteté firent beaucoup plus de bruit: elle fit croire qu'elle était paralysée, et qu'il lui était impossible de sortir du lit. Lorsqu'on en fut informé on s'empressa d'aller la voir dans sa chambre.: les dames les plus distinguées de Madrid se rendaient auprès d'elle; on se croyait heureux d'être admis à la voir, à l'entendre, à lui parler; on la priait de se rendre médiatrice auprès de Dieu pour obtenir la guérison d'une maladie, la fin d'une affligeante stérilité dans le mariage, des lu→

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