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doit ouvrir les yeux aux apologistes de l'Inquisition;. si ce changement s'opère dans leurs idées, ils n'oublieront plus dans leur conduite ce précepte de JésusChrist puisé dans la loi naturelle Nous ne devons pas faire à autrui ce que nous ne voudrions pas qu'on nous fit à nous-mêmes. Fiat!

CHAPITRE XLVI.

Dénombrement des victimes de l'Inquisition, et tableau chronologique des inquisiteurs généraux sous lesquels les exécutions ont eu lieu.

APRÈS avoir prouvé dans le chapitre précédent combien l'établissement du Saint-Office est opposé à l'esprit de Jésus-Christ, de son Evangile et de la religion, il m'a paru convenable de confirmer cette doctrine en offrant à mes lecteurs un tableau fort triste, à la vérité, mais qui ne peut manquer d'être extrêmement utile, par les réflexions qu'il fera naître dans l'esprit des philosophes chrétiens.

Calculer le nombre des victimes de l'Inquisition, c'est établir matériellement une des causes les plus puissantes et les plus actives de la dépopulation de l'Espagne en effet, si à plusieurs millions d'habitans que le système inquisitorial a enlevés à ce royaume par l'expulsion totale des Juifs, des Maures soumis, et des Mauresques baptisés, nous ajoutons environ cinq cent mille familles entièrement détruites par les exécutions du Saint-Office, il en résultera incontestablement que sans l'existence de ce tribunal et l'influence de ses maximes, on compterait en Espagne douze millions d'ames de plus que sa population actuelle, qu'on suppose de onze millions.

Il est certain que le territoire de la France n'est guère plus étendu que celui de la Péninsule, dont le sol offre d'ailleurs des terres plus productives et

jouit d'un climat plus favorable à la végétation, comme le prouvent la qualité et l'abondance de ses vins, de ses huiles et de ses fruits; d'où l'on peut conclure que ce pays pouvait nourrir vingt-huit millions d'habitans, nombre égal à la population de la France, et qui existaient réellement en Espagne lorsque son territoire était divisé en six royaumes chrétiens, la Castille, Léon, la Galice, le Portugal, l'Aragon et la Navarre; et en huit états mahometans, Tolede, Seville, Cordoue, Jaen, Grénade, Murcie, Valence et Badajoz.

Il serait impossible de déterminer d'une manière exacte et précise le nombre des victimes que le Saint-Office fit périr dans les premières années de son établissement. Ses bûchers commencèrent à s'allumer en 1481 : mais le conseil de la Suprême ne fut créé qu'en 1483. Les registres de ses archives et ceux des tribunaux subalternes datent d'une époque encore moins ancienne : et comme l'inquisiteur général accompagnait la cour, qui n'eut jamais de résidence fixe jusqu'au règne de Philippe II, il dut nécessairement s'égarer un grand nombre de procès pendant ces voyages; en sorte que ce ne fut qu'au bout d'un certain temps que l'ordre put s'établir. Ces circonstances réunies m'obligent de fonder mon calcul sur la combinaison de certaines données que je trouve dans les registres et les autres écritures du Saint-Office.

Mariana, dans son Histoire d'Espagne, nous apprend qu'en l'année 1481 les inquisiteurs de Séville condamnèrent à la relaxation, c'est-à-dire, à la peine du feu en personne, deux mille coupables; qu'il y en eut autant de brûlés en effigie, comme morts ou en fuite; et que le nombre des réconciliés

fut de dix-sept mille. Il est prouvé que la condam nation de ces derniers était accompagnée de pénitences et de peines extrêmement dures, parmi lesquelles il faut compter comme inévitables l'infamie et la prison plus ou moins prolongée, et presque toujours, à cette époque, la confiscation totale des biens des condamnés.

Les auto-da-fé de ces temps-là, que j'ai remarqués à Saragosse et à Tolède, me portent à croire que chaque tribunal de l'Inquisition en faisait célébrer au moins quatre tous les ans, parce que le nombre des dénoncés augmentant d'une manière incroyable, les juges se voyaient forcés de terminer promptement les procès afin de recevoir les nouveaux prisonniers qu'on amenait en foule dans leurs prisons, et d'en rendre la surveillance et la nourriture plus faciles et moins onéreuses.

Les tribunaux de province s'organisèrent successivement; celui de Séville fut fondé le premier; et en 1483 ceux de Cordoue, Jaen et Tolède existaient déjà; en 1485, l'Inquisition fut établie en Estremadure, à Valladolid, Calahorra, Murcie, Cuença, Saragosse et Valence. Elle pénétra en 1487 à Barcelonne et à Majorque, à Grenade sous Charles V, et en Galice sous Philippe II. Elle ne fut reçue à Madrid que sous Philippe V, quoiqu'il y eût depuis longtemps dans cette ville un inquisiteur du tribunal de Tolède. Je ne parle pas ici des tribunaux de Mexique, de Lima, de Carthagène d'Amérique, de Sicile ni de Sardaigne, parce que, quoiqu'ils fussent soumis à l'inquisiteur général d'Espagne et au conseil Suprême de l'Inquisition; je ne suis en état d'établir

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mon calcul que pour les tribunaux de la Péninsule et des îles qui n'en sont que peu éloignées.

André Bernaldez, historien contemporain et trèsaffectionné au nouvel établissement en qualité d'aumônier du second inquisiteur général, rapporte, dans son histoire inédite des rois catholiques, que depuis 1482 jusqu'en 1489 inclusivement il y eut à Séville plus de sept cents individus brûlés et plus de cinq mille pénitenciés. Il ne parle pas des condamnés dont les effigies furent livrées aux flammes.

En 1481, le nombre en fut égal à celui des victimes qui avaient péri au milieu du feu. Je n'en supposerai cependant que la moitié, afin de mériter plus de confiance en évitant toute exagération, quoique le nombre en ait été ordinairement plus considérable; je puis donc assurer que, dans chaque année de cette période, il y eut à Séville quatre-vingt-huit individus brûlés en pensonne, quarante-quatre en effigie, et six cent vingtcinq condamnés à des pénitences; ee qui offre un total de sept cent cinquante-sept victimes. On peut appliquer le même calcul à chacun des tribunaux de province qui avaient été déjà fondés.

Dans le château de Triana à Séville, que l'on avait affecté au logement du tribunal de l'Inquisition, il fut mis, en 1524; une inscription qui prouve que depuis 1492 ( époque de l'expulsion des Juifs du royaume d'Espagne) jusqu'à cette année, il y avait eu dans ce tribunal environ mille personnes brûlées, et plus de vingt mille pénitenciées. Je supposerai que mille individus seulement furent brûlés en personne et cinq cents en effigie sur cette base, le calcul pour chaque année de la période de trentedeux ans marquée sur l'inscription, donne pour cha

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