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remarquable, depuis la réunion du Portugal à cette monarchie. Cependant jusqu'à la mort de ce monarque tous les tribunaux firent célébrer chaque année un auto-da-fé public; il y en eut même qui en ordonnèrent deux, et l'on en vit jusqu'à trois à Séville en 1722, et autant à Grenade en 1723. Ainsi, sans parler des exécutions qui eurent lieu en Amérique, en Sicile et en Sardaigne, on compte sous ce règne jusqu'à 782 auto-da-fé dans les tribunaux de Madrid, Barcelonne, Canarie, Cordoue, Cuença, Grenade, Jaen, Llerena, Logrogno, Majorque, Murcie, Santiago, Séville, Tolède, Valence, Valladolid et Saragosse.

VII. J'ai sous les yeux les notices de cinquantequatre de ces cérémonies, dont le résultat présente soixante-dix neuf individus brûlés en personne, soixante-treize en effigie, et huit cent vingt-neuf qui furent pénitenciés; en tout, neuf cent quatre-vingt-un condamnés. Sur cette base on peut établir pour chaque année le calcul de trois victimes brûlées, dont deux en personne et une en effigie, et de quinze autres qui subirent des pénitences, dans chaque tribunal de l'Inquisition d'Espagne, sous le règne de Philippe V.

VIII. Le total des victimes pour tous les tribunaux réunis fut, chaque année, de trente-quatre individus brûlés en personne, de dix-sept brûlés en effigie, et de deux cent cinquante - cinq pénitenciés, ce qui porte à trois cent six par an le nombre des punies par l'Inquisition.

personnes

IX. Les quarante-six ans du règne de Philippe V offrent donc quinze cent soixante – quatre individus de la première classe, sept cent quatre-vingt-deux de la seconde, onze mille sept cent trente de la troi

sième, et pour total des victimes quatorze mille soixante-seize individus.

X. C'est une opinion assez générale que l'Inquisition commença à sévir avec moins de rigueur contre les hérétiques, lorsque les princes de la maison de Bourbon furent montés sur le trône d'Espagne. Je ne puis admettre ce sentiment, parce qu'il me paraît incontestable que d'autres causes ont fait diminuer sous cette dynastie le nombre des victimes, qui fut considérable sous le règne de Philippe V. J'en parlerai dans les chapitres suivans.

XI. La presque totalité des individus que l'Inquisition fit brûler, et les neuf dixièmes de ses pénitenciés, furent condamnés pour cause de judaïsme ; les autres étaient des blasphémateurs, des bigames, des superstitieux et de prétendus sorciers. Parmi ces derniers, on trouve Jean Perez de Espejo, qui fut puni à Madrid, en 1743, comme hypocrite blasphémateur et adonné aux sortilèges. Cet Espagnol mérite d'être cité, parce qu'après avoir pris le nom de Jean du Saint-Esprit, il devint, dit-on, le fondateur de la Congrégation des Hospitaliers, dite du Divin pasteur, laquelle existe encore. Il fut condamné à recevoir deux cents coups de fouet, et à dix années de détention dans un fort.

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I. Parmi les condamnés on compte aussi quelques molinosistes; parce que Molinos, avant d'aller se fixer à Rome, avait formé en Espagne un certain nombre de disciples qui y répandaient sa doctrine. Les

apparences d'une perfection spirituelle, associées à un système qui laissait un libre essor aux désordres de l'ame, séduisirent des personnes qui n'auraient jamais embrassé l'erreur sans le prestige dont son auteur l'avait entourée. Cette mauvaise doctrine fit arrêter D. Joseph Fernandez de Toro, évêque d'Oviédo, qui fut conduit à Rome, enfermé dans le château Saint-Ange, et condamné à la déposition en 1721. Ce fut aussi pour l'avoir embrassée que l'Inquisition de Logrogno fit brûler D. Jean de Causadas, prêtre prébendé de Tudèle, le disciple le plus intime de Molinos, et qui avait prêché avec le plus de zèle et d'enthousiasme les dogmes de sa mysticité. Celui qui soutint les erreurs de Molinos, après Jean de Causadas, fut le neveu de ce dernier, Jean de Longas, frère lai parmi les carmes déchaussés, connu encore aujourd'hui sous le nom de frère Jean dans les pays de Navarre, Rioxa, Burgos et Soria, où il fit beaucoup de mal.

II. Sa mauvaise doctrine ne tarda pas à s'étendre, et à faire des progrès dans plusieurs autres parties de l'Espagne. Les inquisiteurs de Logrogno lui firent subir la peine de deux cents coups de fouet en 1729, et l'envoyèrent pour dix ans aux galères, d'où il ne devait sortir que pour être enfermé dans une prison perpétuelle. Malheureusement quelques religieux de son ordre avaient embrassẻ ses sentimens, et les avaient déjà communiqués à plusieurs religieuses des couvens de Lerma et de Corella, ce qui causa un grand mouvement dans les Inquisitions de Valladolid et de Logrogno.

III. Les procès que ce dernier tribunal fit lire dans différens petits auto-da-fé, depuis le 20 octobre

juqu'au 22 novembre 1743, ont donné lieu à plusieurs relations manuscrites qui circulent en Espagne, et qui m'imposent, comme historien, le devoir de rappeler les faits avec impartialité. Je dois commencer par la femme qui figura le plus dans cette horrible tragédie. Elle s'appelait Dona Agueda de Luna, née à Corella, en Navarre. Ses parens étaient des nobles de cette ville; elle entra religieuse carmélite dans le couvent de Lerma en 1712, avec une si grande réputation de', vertu qu'on la regardait comme une sainte. En 1713, elle avait déjà embrassé l'hérésie de Molinos, et elle en suivait les principes avec tout le dévouement du sectaire le plus décidé. Elle passa plus de vingt ans dans le couvent, et sa renommée ne fit que s'accroître par les récits de ses extases et de ses miracles, adroitement répandus par le frère Jean de Longas, le prieur de Lerma, le provincial et d'autres religieux du premier rang, qui tous étaient complices de la fourberie de la mère Agueda, et intéressés à faire croire à sa sainteté.

IV. Il fut question de fonder un couvent dans le lieu de sa naissance, et les supérieurs dont je viens de parler l'en nommèrent fondatrice et prieure. Elle y continua sa mauvaise vie, sans perdre la bonne réputation dont elle jouissait, laquelle devenait au contraire tous les jours plus grande; en sorte qu'on accourait de tous les pays voisins implorer sa protection auprès de Dieu pour les secours dont on avait besoin. Comme le bourg de Rincon del Soto (ma patrie) n'est éloigné de Corella que de deux lieues et demie, mes parens se décidèrent à se rendre auprès d'elle pour lui recommander un de leurs enfans qui était malade, et qu'elle promit de guérir en lui appli

quant une de ses pierres, et avec le secours de quelques autres remèdes. Cependant l'évènement prouva la vanité de sa promesse, puisque l'enfant mourut peu de temps après.

V. Un des prodiges simulés de la mère Agueda, qui excitait la plus grande surprise, et qu'on regardait comme la cause de beaucoup d'autres merveilles, était la faculté qu'avait cette prétendue sainte d'évácuer certaines pierres qu'une de ses complices composait avec de la brique réduite en poudre, et mêlée avec d'autres substances aromatiques, et sur lesquelles on voyait d'un côté l'empreinte d'une croix, et de l'autre celle d'une étoile, l'une et l'autre couleur de sang. On disait dans le monde que, pour récompenser la vertu admirable de la mère Agueda, Dieu lui avait accordé la faveur singulière de rendre ces pierres, miraculeuses pour la guérison des maladies, par la voie des urines, en éprouvant des douleurs pareilles à celles qui accompagnent l'enfantement. Ces douleurs, en effet, n'étaient pas inconnues à Dona Agueda, qui les avait ressenties plusieurs fois à Lérma et å Corella, soit au milieu des avortemens qu'elle s'était procurés, soit dans les accouchemens naturels, où elle avait été assistée par les moines ses complices, et par des religieuses qui avaient été séduites.

VI. Comme un abîme entraîne ordinairement dans un autre abîme, la mère Agueda (qui avait envie de faire de nouveaux miracles pour rendre sa réputation encore plus brillante) invoqua le démon; et, s'il faut s'en rapporter aux informations qui furent faites pendant le procès, ellé fit un pacté avec lui, en lui donnant son ame, par un acte en forme, écrit de sa

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