main, et en l'adorant comme son maître, véritablement Dieu tout-puissant, et en reniant Jésus-Christ, sa religion, et tout ce qu'elle enseigne. VII. Enfin, près avoir rempli sa vie de mille iniquités secrettes et cachées sous le voile du jeûne et des autres signes extérieurs de la sainteté, la mère Agueda fut dénoncée au Saint-Office de Logrogno, qui la fit enfermer dans ses prisons secrettes de cette ville; et elle y mourut des suites de la torture, avant que son procès fût en état d'être jugé. Elle confessa au milieu des tourmens qu'on lui fit souffrir, que sa prétendue sainteté n'avait été qu'une imposture, parut se repentir dans ses derniers momens, se confessa, et reçut l'absolution. VIII. Fr. Jean de la Vega, né à Lierganes, dans les montagnes de Santander, provincial des carmes déchaussés, parut dans un petit auto-da-fé du 30 octobre 1743. Il avait été, dès l'année 1715, le directeur spirituel, et l'un des complices de la mère Agueda, n'ayant alors que trente-cinq ans ; il en avait eu cinq enfans, d'après les preuves de son procès; et ses discours avaient perverti d'autres religieuses, en leur faisant croire que ce qu'il leur conseillait était la véritable vertu. Il avait écrit la vie de sa principale élève, et il en parlait comme du vrai modèle de la sainteté; il y racontait une multitude de miracles, et tout ce qui pouvait servir à ses vues. Il s'acquit lui-même une si grande réputation qu'on le nommait l'extatique; les moines qu'il avait pour complices publiaient partout que, depuis saint Jean-de-la-Croix, il n'y avait pas eu en Espagne de religieux plus ami de la pénitence que lui; il fit faire le portrait de la mère Agueda, qui fut exposé dans le chœur ; on y lisait quatre vers à double entente, dont voici la substance : O Jésus! que dans mon cœur ta main plante la fleur; IX. Plusieurs complices des religieuses innocentes, et d'autres personnes, déclarèrent que Fr. Jean de la Vega avait fait aussi un pacte avec le démon; mais l'accusé persista à nier le fait, même au milieu de la question, qu'il supporta avec courage malgré son àge avancé. Il confessa seulement qu'il avait reçu, en qualité de provincial, l'argent de onze mille huit cents messes, qui n'avaient pas été dites. Il fut déclaré suspect au plus haut degré, et envoyé au couvent désert de Duruelo, où il mourut peu de temps après. X. Le provincial, et le secrétaire de ce temps-là, nièrent les fails, ainsi que deux moines qui avaient rempli ces dernières fonctions dans l'ordre pendant les trois années précédentes; ils furent enveloppés dans les mêmes déclarations, arrêtés, mis à la question, et relégués dans des couvens de leur institut, à Majorque, Bilbao, Valladolid et Osma. L'annaliste de l'institut avoua cependant le crime, et il fut dispensé pour cela de porter le san-benito dans l'auto-da-fé. XI. Dona Vicenta de Loya, nièce de la mère Agueda, fut reçue à l'âge de neuf ans dans le couvent de Corella, lorsque sa tante y arriva pour en être prieure. Celle-ci lui enseigna sa mauvaise doctrine, aidée du provincial Fr. Jean de la Vega; et ses leçons eurent tant de succès qu'elle la tenait de ses propres mains lorsque le provincial fit le premier outrage à sa pudeur, afin (disait-elle) que l'œuvre fût plus méritoire aux yeux de Dieu. Dona Vicenta confessa, aussitôt qu'elle fut prise, sans qu'on eût recours à la question, toutes ses fautes, et déclara celles des personnes qu'elle connaissait pour coupables; elle assura seulement qu'elle n'avait jamais admis dans son ame aucune erreur hérétique qu'elle sût être condamnée par l'Eglise, quoiqu'elle regardât comme permis tout ce qu'elle faisait, parce que ses confesseurs et sa tante le lui avaient persuadé, et qu'elle avait la plus haute idée de la vertu de ces personnes, et particulièrement de sa tante, qui passait pour une sainte. La sincérité de dona Vicenta lui valut la grâce de paraître dans l'auto-da-fé sans le scapulaire du san-benito, dont furent revêtues quatre autres religieuses qui avaient nié, même dans la question, avoir commis les crimes. dont il s'agit, excepté une seule, qui avoua qu'elle avait appris la mauvaise doctrine dans son enfance de Fr. Jean de Longas. XII. Je ne m'arrêterai pas à rapporter tous les détails que je trouve dans mes notes sur les procès auxquels cette affaire donna lieu, parce qu'ils n'ont d'autres garans que les déclarations des religieuses innocentes du couvent, qui formaient un parti contraire, et étaient par conséquent disposées à croire un grand nombre de choses invraisemblables, et même incroyables. XIII. Cependant il n'est pas permis de révoquer en doute l'histoire des pierres dont la mère Agueda prétendait accoucher, puisque l'Inquisition en recuillit un très-grand nombre; je dois en dire autant de ses accouchemens, parce que dona Vicenta de Loya indiqua le lieu où les enfans étaient mis à mort et enterrés aussitôt après leur naissance; on y fit des per quisitions, et la découverte dé plusieurs ossemens prouva la vérité de cette déclaration. XIV. Les religieuses qu'on trouva coupables furent dispersées dans plusieurs couvens, et la communauté fut renouvelée par ordre du Saint-Office; on y fit venir une supérieure du couvent d'Ocagna et d'autres religieuses de différentes communautés de l'ordre. Il eût été à désirer que, pour prévenir de semblables scènes, l'inquisiteur général eût mis ce couvent sous la surveillance de l'ordinaire diocésain, comme on l'avait fait, pour un motif bien moins sérieux, à l'égard de celui des carmélites déchaussées du saint Joachim de Tarazona, lorsqu'on y fit passer plusieurs religieuses du couvent de Sainte-Anne, pour maintenir l'ordre et la paix dans la maison. Puisque l'Inquisition se mêle de ce qui se passe dans les couvens, il est surprenant qu'après tant de désordres de ce genre ( dont ses archives sont remplies, et dont l'indécence ne me permet pas de consigner ici l'histoire ), elle n'ait pas pris le parti d'ôter aux moines la direction des couvens de femmes. Les jésuites furent toujours assez prévoyans, dans leur politique, pour la craindre, et ils évitèrent de s'en charger. ARTICLE III. Procès contre l'inquisiteur général, et suite de celui qui avait été fait à Macanaz. I. Le procès intenté contre D. Balthasar de Mendoza Sandoval, évêque de Ségovie et inquisiteur général, ne fit pas moins de bruit, quoique pour un motif différent. Tel est l'excès d'aveuglement où les passions entraînent quelquefois les hommes, que le chemin où ils s'engagent pour les satisfaire les conduit à leur perte. Nous avons vu dans le chapitre précédent la conduite injuste de ce méchant prélat contre D. Fr. Froilan Diaz, évêque élu d'Avila, et confesseur de Charles II; mais, comme le conseil de la Suprême refusa, avec autant de justice que de vigueur, de sanctionner l'abus énorme qu'il voulait faire de son pouvoir, Mendoza ordonna l'arrestation de trois conseillers qui s'étaient distingués par leur opposition; il demanda au roi, sur un faux exposé, la retraite de D. Antoine Zambrana, de D. Jean Arzemendi, et de D. Jean Miguelez, et il envoya celui-ci chargé de fers, et au scandale de tout le monde, à Santiago de Galice, et forma le dessein téméraire d'ôter au conseil de l'Inquisition le droit d'intervenir dans les procès dont le jugement serait soumis à sa décision, et aux conseillers la faculté de voter en définitive. II. Il était impossible que ce coup de despotisme ne fût pas l'objet d'une résolution du roi. Philippe V pensa avec raison qu'il devait prendre l'avis du conseil de Castille, et le 24 décembre il soumit l'affaire à ses délibérations : le jugement que cette assembée en porta, le 21 janvier 1704, est remarquable par sa sagesse : elle proposait, comme mesure indispensable, de rétablir le conseil de la Suprême dans la possession des droits dont il avait joui depuis l'établissement de l'Inquisition, et de rappeler les trois conseillers qui avaient été exclus de leurs places. Le roi ordonna l'exécution de l'avis du conseil de Castille, et voulut que Mendoza renonçât à son emploi et s'éloignât de Madrid. III. Il convient, je crois, de ne pas oublier que ce prélat avait été, avant la mort du roi Charles II, |