D. Fr. Benoît de Feijoo fut dénoncé au Saint - Office comme suspect d'impiété, ainsi que je l'ai rapporté chapitre XXV, à l'article de cet illustre Espagnol. VII. Mais l'effet des nouvelles idées et des changemens qui s'opéraient se fit surtout remarquer par la réduction du nombre des procès pour cause de judaïsme, et, par conséquent, par celle des auto-da-fé; puisque non-seulement il n'y en eut pas de généraux pendant tout le règne de Ferdinand VI, mais encore parce que les exécutions particulières de ce genre étaient aussi devenues plus rares. Le grand nombre de Juifs qui avaient été relaxés ou pénitenciés sous Philippe V, après les châtimens qu'on avait exercés sur cette nation pendant les règnes de Philippe III, de Philippe IV, de Charles II et de Philippe V, fut cause qu'on n'en découvrit presqu'aucun dans la suite : à peine célébrait-on, dans l'espace de cinq ou six ans, un seul auto-da-fé public, et lorsqu'il avait lieu on n'y voyait paraître que des blasphémateurs, des bigames, et de prétendus magiciens. VIII. Les faits dont je viens de parler, la révolution qui s'était opérée dans les idées, laquelle acquit successivement de nouvelles forces, et les lumières que les hommes qui étaient appelés aux fonctions d'inquisiteurs acquéraient par l'effet des circonstances que j'ai indiquées, eurent un résultat si intéressant que le nombre des victimes sous Ferdinand VI n'eut aucune proportion avec celui des hommes qui avaient été condamnés pendant le règne précédent. Je ne crois pas qu'il y ait eu sous ce prince plus de trentequatre auto-da-fé, ni plus de dix relaxés, et de cent soixante-dix pénitenciés, les premiers comme judaïsans relaps, et les autres pour des délits de la nature de ceux dont j'ai parlé un peu plus haut; et parmi ces victimes, je n'en trouve aucune dont l'histoire soit propre à intéresser, IX. Le jansénisme et la franc-maçonnerie donnèrent beaucoup d'occupation aux inquisiteurs sous le règne de Ferdinand VI. Les jésuites désignaient sous le nom de jansénistes ceux qui ne suivaient pas l'opinion de Molina sur la grâce et le libre arbitre, et même les canonistes qui mettaient les canons et les conciles des huit premiers siècles de l'Église audessus des bulles des papes; tandis que leurs adversaires leur donnaient, ainsi qu'à leurs adhérens, le nom de Pélagiens. La haine que ces deux partis avaient l'ún pour l'autre les portait à s'accuser réciproquement de défendre des propositions erronées, fausses, mal sonnantes, conduisant à l'erreur, favorisant l'hérésie, et même hérétiques. Mais la faction jésuitique triomphait en Espagne, parce que les confesseurs de Philippe V et de Ferdinand VI furent des jésuites, et que leur crédit fut immense auprès de ces deux inonarques peu d'Espagnols auraient eu le courage d'embrasser une doctrine opposée à celle du parti dominant, parce qu'il aurait fallu, en quelque sorte, renoncer à tout emploi public, et aux dignités ecclésiastiques; c'est ce qui rendit les dénonciations contre les molinistes extrêmement rares, pendant qu'il était plus facile de persécuter leurs ennemis; cependant le petit nombre de ces derniers et leur conduite irréprochable éloignèrent la persécution. Il était naturel que les jésuites fissent condamner tous les livres dont la doctrine était contraire à celle de Molina; de-là les évènemens scandaleux qui se passèrent en 1748 et dans les années suivantes, entre les frères dominicains et le conseil de la Suprême. Il s'agissait, 1° de l'insertion que les jésuites Carrasco et Casani avaient faite furtivement, et de leur propre autorité, de plusieurs ouvrages catholiques (comme notés de jansénisme), dans l'index publié par l'inquisiteur général Prado en 1747, en abusant de la commission qu'on leur avait donnée de rédiger le catalogue des ouvrages prohibés dans les édits précédens; 2o de la prohibition des œuvres du cardinal Noris, dont les religieux augustins se p'aignirent au pape Benoît XIV; démarche dont on peut voir les suites au chap. XIII; 3° de la même mesure employée contre les écrits du vénérable Palafox, que les inquisiteurs furent obligés de révoquer lorsque le pape eut déclaré qu'ils étaient catholiques, et qu'ils pe devaient point être un obstacle à la canonisation de leur auteur. ARTICLE II. De la franc-maçonnerie. 1. La franc-maçonnerie fut un objet entièrement nouveau pour l'Inquisition. Le pape Clément XII avait expédié, le 4 des Calendes de mai, c'est-à-dire, le 28 avril de l'année 1738, la bulle in Eminenti, dans laquelle il excommuniait les francs-maçons; à la suite de cette mesure, Philippe V fit publier, en 1740, une ordonnance royale contre les mêmes hommes, dont un assez grand nombre furent arrêtés et condamnés aux galères. Les inquisiteurs profitèrent de cet exemple pour traiter aussi sévèrement les membres d'une loge qu'ils découvrirent à Madrid. C'est sans doute une peine terrible de servir sous les chaînes, dans les galères ; d'y faire le service de rameurs, sans aucune espèce de rétribution ; d'y être réduit à la plus mauvaise nourriture, et d'y recevoir fréquemment des coups de bâton et d'autres châtimens aussi durs : cependant, cette condition est moins terrible que la peine de mort qui fut décrétée dans l'édit de 1739, par le cardinal vicaire de Rome, au nom du grand prêtre du Dieu de paix et de miséricorde. Benoît XIV renouvela la bulle de Clément XII, le 5 des Calendes de juin ( 18 mai ) 1751, par une autre qui commence par les mots Providas romanorum pontificum. F. Joseph Torrubia, examinateur des livres pour le SaintOffice, dénonça l'existence des francs-maçons; et le roi Ferdinand VI fit publier contr'eux une nouvelle ordonnance', le 2 juillet de la même année; il y était dit que tous ceux qui ne se confermeraient pas à ses dispositions, seraient punis comme des criminels d'état au premier chef. Le frère de ce prince, Charles III d'Espagne, qui était alors roi de Naples, défendit le même jour les réunions maçonniques, en les qualifiant de dangereuses et de suspectes. Je vais présenter la notice d'un procès de ce genre jugé à Madrid en 1757. II. M. Tournon, Français, né à Paris, vint s'établir à Madrid. Il avait été appelé en Espagne et pensionné par le gouvernement, pour y monter une fabrique de boucles de cuivre, et former des ouvriers espagnols. Il fut dénoncé au Saint-Office, en 1757, comme suspect d'hérésie, par un de ses élèves qui ne fit qu'obéir dans cette circonstance à l'obligation que son confesseur lui avait imposée, à l'époque de la communion pascale, III. La dénonciation, faite le 30 avril, portait: 1° que M. Tournon avait engagé ses élèves à se faire recevoir francs-maçons, en leur promettant que le Grand-Orient de Paris lui enverrait une commission pour les recevoir frères de l'ordre, s'ils voulaient se soumettre aux épreuves qu'il leur ferait subir, pour s'assurer du courage et de la tranquillité de leur ame; et que leurs titres de réception leur seraient expédiés de Paris; 2° que quelques-uns de ces jeunes ouvriers parurent disposés à se faire recevoir, mais seulement après que M. Tournon les aurait instruits de l'objet de cet institut: ce fut pour les satisfaire que M. Tournon les entretint de plusieurs choses extraordinaires, et leur montra un titre ou espèce de tableau où étaient figurés des instrumens d'architecture et d'astronomie; ils s'imaginèrent que ces représentations avaient rapport à la magie, et ce qui les confirma dans cette idée, ce fut d'entendre les imprécations qui, suivant M. Tournon, devaient accompagner le serment qu'ils prêteraient de garder le plus profond secret sur tout ce qu'ils verraient ou entendraient, lorsqu'ils viendraient dans les loges de leurs frères les francs-maçons. IV. A la suite de l'information secrette, il résulta des déclarations uniformes de trois témoins que le dénoncé était franc-maçon. Il fut traduit dans les prisons secrettes le 20 mai: on trouve dans le procèsverbal de la première des trois audiences de monitions, qui eut lieu au moment même de la réclusion du prévenu, un dialogue qu'on ne sera peut-être pas fâché de trouver ici. L'inquisiteur. Jurez-vous à Dieu et à cette sainte croix de dire la vérité? M. Tournon. Oui, je le jure. L'inquisiteur. Comment vous appelez-vous ? M. Tournon. Pierre Tournon. Demande. De quel pays êtes-vous? |