Imágenes de páginas
PDF
EPUB

LES

ARMOIRIES DES CANTONS SUISSES

ESSAI

SUR

LEURS ORIGINES ET LEUR SIGNIFICATION

PAR

ADOLPHE GAUTIER

Lu à la Société d'Histoire et d'Archéologie de Genève,
le 14 Janvier 1864.

Les armoiries ont pour but de servir d'emblèmes et de signes de reconnaissance. Si ce but est atteint d'une manière satisfaisante par les blasons des familles, il le sera encore davantage par ceux des États et des villes, parce qu'ils serviront à un bien plus grand nombre de personnes, que chaque citoyen les aimera, les vénérera, qu'ils seront pour lui le symbole saisissant de la patrie. Chacun se plaira à les voir représentés sur les drapeaux, sur les monuments, sur les publications officielles, sur les monnaies. Et cela surtout si, comme pour toutes les républiques composant le Corps helvétique, ces signes ne sont pas les apanages particuliers d'une famille souveraine, mais bien ceux de tout un peuple. Si, en outre, ces emblèmes sont bien choisis et suffisamment originaux, ils caractériseront l'Etat qui les porte, non-seulement aux yeux des citoyens, mais même Tome XV, 1re part.

1

aux yeux des étrangers, et pourront exercer une certaine influence sur le caractère et sur l'histoire d'une nation; qui voudrait nier celle de l'Ours et du Taureau sur les peuples de Berne et d'Uri?

Si chacun connaît les armes de sa patrie et y est attaché, presque tous en ignorent l'histoire et la signification; cependant cette étude offrirait un grand intérêt, si on pouvait la faire d'une manière complète; mais les origines se perdent bien souvent dans la nuit des temps, elles sont ordinairement antérieures à l'histoire écrite et rentrent dans la légende ou la tradition.

Ayant recueilli peu à peu et depuis longtemps un certain nombre de traits se rapportant aux armoiries des vingt-deux Cantons, je me suis appliqué à les coordonner et à les développer dans cet Essai; mais je me hâte de confesser que mon travail est loin d'être complet et qu'il est destiné à rester toujours inachevé, parce qu'une grande partie des détails sont des conjectures et des légendes qu'aucune charte et aucun document authentiques ne confirment, d'autres sont contestés et donnent lieu à plusieurs interprétations. Toutefois, ce qui m'a encouragé, c'est que mon sujet n'a pas encore été traité dans le sein de la Société d'Histoire et d'Archéologie et qu'ensuite je me suis trouvé ordinairement d'accord avec les auteurs qui ont concouru à faire le bel ouvrage sur les Sceaux des Cantons suisses, publié par la Société des Antiquaires de Zurich, ouvrage plein de faits et de résumés historiques d'un grand intérêt.

Les armoiries des villes et des États ont plusieurs origines:

Elles proviennent des blasons des familles souveraines qui les ont fondés ou gouvernés; de concessions accordées par ces mêmes souverains, en particulier par les empereurs et les papes; des bannières sous lesquelles les citoyens et les guer

riers se rassemblaient pour marcher au combat ou aux assemblées pacifiques; elles peuvent même tirer leur origine de la couleur des vêtements des habitants; elles dérivent souvent des sceaux de l'État, de légendes relatives à leur fondation, à leurs patrons spirituels, à quelque trait de leur histoire, etc. Nous trouverons dans l'examen des armes des Cantons suisses des exemples d'origines très-diverses, mais ce qui doit nous frapper et ce que je signale d'emblée, c'est l'incertitude qui régnait sur le blason d'un certain nombre d'entre elles, et cela non-seulement pour des écussons modernes, comme ceux des cantons d'Argovie ou de Thurgovie, mais même pour des armoiries anciennes comme celles des Ligues de la HauteRhétie.

Les incertitudes ont cessé par suite de la décision qui a été prise d'orner la salle du Conseil des États, au Palais fédéral, de vitraux peints aux armes des Cantons. Ce travail a été confié à M. le Dr Stanz, de Berne, l'habile et savant héraldiste, directeur d'un atelier de peinture sur verre. A la suite d'études raisonnées et approfondies, appuyées sur de volumineux renseignements, il a fixé les points indéterminés, et les vitraux du Palais fédéral doivent être les types exacts et officiels que nous devons suivre; aussi avons-nous dessiné les figures de notre Planche I d'une manière conforme à ces types. Néanmoins, une foule de monuments, de peintures et même de sceaux représentent des armoiries mal blasonnées, sans parler des innombrables gravures et lithographies livrées au commerce et dont pas une n'est exempte d'erreurs.

Outre les armoiries proprement dites, nous devons encore nous occuper des couleurs, car si elles sont ordinairement celles de l'écu, elles en diffèrent quelquefois; nous n'avons qu'à signaler comme exemple la Savoie, dont la couleur est le bleu, tandis que les armes sont de gueules à la croix d'argent ; la France, qui portait les fleurs de lys en champ d'azur et dont le drapeau était blanc. En Suisse, les couleurs ont autant d'im

portance que les armoiries, elles figurent sur les drapeaux, sur les cocardes; peintes sur les boiseries, elles sont le signe de la propriété de l'État; enfin elles sont portées par les messad'État et les huissiers, fonctions si importantes dans certains cantons.

gers

Nous commencerons notre revue par les armes de la Confédération Suisse.

Le lien fédéral était très-lâche avant la révolution; l'ancienne Suisse ne formait point un corps compacte; on disait les XIII Cantons et non la Confédération, il n'y avait pas de pouvoir central et par conséquent pas d'armoiries communes à tous les Cantons. Quand la violence imposa à la Suisse un gouvernement unitaire, les oppresseurs étrangers introduisirent aussi un drapeau analogue au leur, c'est-à-dire rouge, jaune et vert; les armoiries n'étant pas en faveur parmi eux, il n'en fut pas question et tous les sceaux de l'époque sont gravés à l'image de Guillaume Tell recevant dans ses bras son fils, lequel tient la célèbre pomme, tandis que les monnaies portent un guerrier agitant un drapeau aux couleurs imposées.

Ces couleurs détestées furent abolies avec la constitution unitaire, et sous l'Acte de médiation le pouvoir directeur, alternant entre les gouvernements de plusieurs cantons, portait le sceau et les armes de son État. En 1815, la Confédération restaurée prit un emblème qui devait figurer sur les drapeaux, les sceaux et les actes du pouvoir fédéral. On fut tout naturellement conduit à choisir la croix d'argent alezée en champ de gueules. Le rouge était en effet dès les temps les plus reculés, à ce que dit la légende, la couleur nationale des Scandinaves, premiers colons qui soient venus habiter les hautes vallées des Alpes; leurs bannières et leurs vêtements étaient de cette nuance qui est demeurée populaire à travers les siècles parmi leurs descendants, en Suisse aussi bien qu'en Danemark; l'antique Danebrog à l'ombre duquel combattent encore

les Danois, est rouge avec une croix blanche comme notre drapeau fédéral, et les soldats danois ont été vêtus de rouge jusqu'à nos jours comme les régiments suisses capitulés au service étranger.

Quant à la croix blanche, elle a été très-anciennement portée sur la poitrine et sur le dos des guerriers, ensuite elle passa sur les drapeaux, lesquels aux couleurs cantonales, étaient traversés par elle. Cette croix était donc le signe de ralliement des Suisses, le seul qui fût commun à tous les cantons; étant déjà généralement connu parmi nos pères, il est naturel qui 'ils l'aient adopté sur leur écusson. Ajoutons que ces belles armes ont rapidement conquis la faveur populaire et qu'il en est peu d'aussi universellement aimées et respectées.

Après l'écusson de la Suisse viennent ceux des Cantons. Nous commencerons par les trois Waldstætten, Uri, Schwytz et Unterwalden. Nous avons vu que le rouge était la couleur caractéristique des premiers habitants de la Suisse et en particulier des cantons primitifs. Des bannières et des vêtements il a passé aux armoiries; Schwytz a toujours gardé sa bannière toute rouge, celle d'Uri portait autrefois, dit la légende, une tête d'aurochs blanche en champ rouge, celle d'Unterwalden était rouge et blanche. La bannière de Schwytz a été prise sans modifications comme écusson cantonal, lequel fut, pendant des siècles, de gueules plein (Pl. II, fig. 2). L'usage, confirmé par des concessions impériales ou papales, était que les bannières portassent à leur angle supérieur une broderie ou une peinture représentant des scènes de la passion ou des figures de saints; les cantons catholiques suivirent longtemps cette coutume, et la bannière de Schwytz fut ainsi ornée de la croix et des autres attributs de la crucifixion par concession de l'empereur Rodolphe de Habsbourg. Toutefois, l'écusson resta sans aucune charge jusqu'à la fin du XVIIe siècle, époque où cette croix brodée ou peinte passa dans les armoiries sous la

« AnteriorContinuar »