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LES

PRINCESSES DE PORTUGAL

A GENÈVE

Plus d'une fois, déjà, j'ai entretenu la Société des relations qui existèrent entre les Provinces-Unies des Pays-Bas et la république de Genève. J'y reviens encore, me proposant de faire connaître les documents relatifs au séjour que fit dans notre pays Emilie de Nassau, épouse d'un prince portugais. Les renseignements, en petit nombre, dont je puis disposer, montreront qu'une suite d'événements assez extraordinaires ne troubla en aucune façon la bonne entente entre les deux Etats.

Guillaume le Taciturne laissa une nombreuse postérité. Anne d'Egmont, sa première femme, lui avait donné FrédéricGuillaume, qui resta catholique et dans le parti espagnol, et Marie, qui épousa le comte de Hohenlohe. De la deuxième, Anne de Saxe, il eut Maurice, qui succéda à son père, Anne, qui épousa son cousin Guillaume-Louis de Nassau, et Emilie qui va nous occuper. La troisième femme de Guillaume, Char

1 Voir Mém. de la Soc. d'Hist. de Genève, t. XI et XIII.

T. XV, 1re part.

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lotte de Bourbon, lui donna six filles, et la quatrième, Louise de Coligny, fut mère de Frédéric-Henri.

Emilie, née vers 1569, avait déjà vu plusieurs de ses sœurs recherchées en mariage, lorsqu'elle fit connaissance avec dom Emmanuel, fils de dom Antonio, prieur de Crato, qui avait été proclamé roi de Portugal à Lisbonne, lorsque Philippe II envoya le duc d'Albe conquérir ce royaume en 1580. Dom Antonio mourut à Paris en 1595. Son fils, qui pouvait faire valoir des droits à un trône, s'était rendu en Angleterre puis à La Haye. Il intéressait par ses malheurs, il plaisait par sa jeunesse et les charmes de sa personne. Il sut se faire aimer d'Emilie qui consentit à lui donner son cœur et sa main. Maurice, prince d'Orange, aurait voulu détourner sa sœur de cette union; il lui représenta la différence des religions, l'indigence d'Emmanuel et les doutes qu'on répandait sur la légitimité de la naissance du jeune prince. Ces objections n'arrêtèrent point Emilie: le mariage fut secrètement célébré par un prêtre catholique, le 7 novembre 1597. Les Etats-Généraux, qui n'approuvaient pas une telle alliance, ordonnèrent à Emmanuel de quitter La Haye. La malheureuse princesse tomba dans un tel désespoir, que sa raison en fut altérée; elle refusa pendant plusieurs jours toute espèce de nourriture. A force de soins, on parvint à dissiper le trouble de l'esprit, mais non à guérir le cœur. Emilie redemanda hautement son mari, réclamant les droits d'un pays libre et ceux que lui donnait sa majorité. Maurice la menaça d'une complète disgrâce; mais ayant découvert la retraite de son époux, elle le rejoignit et le ramena publiquement. Elle dut se résoudre à vivre avec beaucoup plus de simplicité que ses sœurs, qui avaient été mariées d'une manière brillante et richement dotées par les Etats '.

Ici, les détails me manquent et bien des renseignements paraissent fautifs. Des historiens prétendent que le prince de

1 Cerisier. Tableau de l'hist. gen. des Provinces-Unies, t. IV, p. 353-357.

Portugal s'établit à Genève avec sa femme et qu'ils y eurent de nombreux enfants. D'autres disent que la princesse s'y rendit étant veuve. Je ne crois pas qu'elle y arrivât avant l'année 1626; elle n'était pas veuve, mais elle vint sans son mari et accompagnée de six filles.

C'est dans la séance du 30 juin 1626, que les registres de notre Petit Conseil mentionnent pour la première fois la princesse de Portugal, et l'on peut présumer que son arrivée à Genève était fort récente. Quatre conseillers rapportent qu'ils ont été lui faire une visite. « Elle a, disent-ils, prié Messeigneurs de l'excuser de ce qu'elle estoit entrée dans ceste ville sans demander congé, et leur a tesmoigné beaucoup de bonne volonté et affection envers cest État; » puis ils ajoutent « qu'ils lui ont aussi offert, de la part de la Seigneurie, tous honneurs et services 1. >>

Les mêmes registres s'occupent encore de cette princesse, d'abord à l'occasion d'une somme d'argent qu'elle avait l'intention de prêter à l'Etat, à raison de 5% par année2; mais on ne voit pas que la proposition ait eu un résultat. Ensuite, il y eut quelques discussions de peu d'importance avec le sieur Demont, maître d'hôtel de la princesse 3; et comme on avait craint d'avoir indisposé cette dernière, on lui envoya des membres du Conseil, auxquels elle répondit « qu'elle n'avoit aucun subjet de mescontentement, sinon de ne pouvoir pas tesmoigner à cest Estat sa bonne volonté et affection comme elle désireroit, veu qu'elle n'y reçoit que toute courtoisie et honneur de la part du général et des particuliers'. >>

La tradition rapporte que la femme de dom Emmanuel, à son arrivée à Genève, se logea au haut de la rue de Coutance, dans

Registres du Conseil, année 1626, fo 88.

Ibid. fo 109, 16 août.

5 Ibid. fo 185, 25 déc., et année 1627, fo 27, 21 févr.

4 lbid. 1627, fo 29, 27 févr.

une maison appartenant alors à la famille Gallatin et qui a pris et conservé depuis le nom de Château-Royal. Ce qu'il y a de certain, c'est que la princesse fit, peu après, l'acquisition d'une maison située dans un autre quartier, c'est-à-dire à la rue Verdaine, là où dans le siècle actuel ont longtemps logé les consuls sardes. Emilie devint aussi propriétaire du château de Prangins, et elle eut ainsi deux résidences à quelques lieues l'une de l'autre.

Les chefs de notre Etat et de notre Eglise furent peut-être, au premier moment, embarrassés sur la conduite qu'ils devaient tenir envers la princesse. Elle appartenait, par sa naissance, à une république et à une famille qui s'étaient acquis toute leur gratitude, mais on devait savoir aussi que, par son mariage, elle avait indisposé la maison de Nassau ainsi que les Etats. Cependant, on eut d'emblée beaucoup d'égards pour la sœur du prince d'Orange, et sa conduite, comme ses sentiments, lui gagnèrent l'estime des personnes les plus respectables de la ville. Nous apprenons, en effet, qu'elle se vit entourée d'hommes tels que les professeurs Jean Diodati, Théodore Tronchin et Bénédict Turrettini, qui reportèrent ensuite leurs bonnes intentions sur ses filles. Les magistrats, également, eurent pour elles des soins presque paternels.

La princesse Emilie était depuis deux ans et neuf mois dans nos contrées, où elle était venue, semble-t-il, chercher le calme et la tranquillité, lorsqu'elle succomba à la maladie. Les registres de décès contiennent sur ce fait l'article suivant, à la date du lundi 16 mars 1629:

« Très-illustre et sérénissime princesse Emilia de Nassau, née princesse d'Orange, femme de puissant et sérénissime prince Emmanuel de Portugal, aagée de 60 ans, morte de longue maladie comme febvre hectique et comme d'hydropisie, à neuf heures du matin; sa demeure en son hôtel rue Verdaine 1. »

Reg. des décès (chancellerie).

Ce décès fut officiellement annoncé par le Petit Conseil au prince d'Orange, Frédéric-Henri et aux Etats-Généraux :

Lettre adressée à Monsieur le Prince d'Orange.
Genève, 19 mars 1629.

Très haut et sérénissime Prince. Comme nous avons receu un singulier contentement pendant le séjour que Madame la Princesse de Portugal, sœur de Votre Altesse, a fait dans nostre ville, aussi avons nous esté touchés d'un indiscible regret lorsqu'il a pleu à Dieu nous en priver, l'ayant retirée et appelée à soy le 16 de ce mois, après avoir démonstré jusques au dernier soupir des marques et signes de vraye piété et de toutes vertus chrestiennes. Nostre desplaisir a esté d'autant plus grand, que nous ne luy avons peu rendre les devoirs auxquels nous luy estions obligé, tant à cause de sa personne que pour la considération des bienfaits que nous avons receus de V. A. Nous avons veu par l'ouverture de son testament, qui était clos et secret, le désir qu'elle a d'estre ensevelie avec honneur nous luy en rendrons selon nostre portée les plus grands qu'il nous sera possible, non pas à l'égal de nostre affection et bonne volonté. Nous attendrons l'ordre qu'il plaira à V. A. de donner au regard de Mesdemoiselles les Princesses ses filles, pendant qu'elles demeureront icy; nous leur départirons toutes sortes de faveurs et les assisterons de conseils et advis en tout ce qu'elles auront de besoin, priant Dieu qu'il les consolle en leurs afflictions et qu'il maintienne V. A. en sa sainte garde, comme ceux qui n'ont d'autre dessein que d'estre réputés, Très haut et sérénissime...... vos très humbles serviteurs'.

Une lettre analogue fut adressée aux États. Voici les réponses envoyées au Conseil :

Lettre du Prince d'Orange.

Archives de Genève. Portefeuilles des pièces historiques, dossier no 2859.

Messieurs. Dans le regret que m'a donné la soudaine nouvelle du trespas de feu Madame la Princesse de Portugal, ma sœur, dont je viens d'estre adverti par vos lettres du 17 de mars, ce m'a esté un contentement sin

1 Brouillards de lettres du Petit Conseil.

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