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dans une audience qu'il avait sollicitée de Louis XIII, sur le mandat que lui avait donné en 1623 le synode de Charenton. Le cardinal de Richelieu y assistait, et c'était lui qui avait suggéré au roi les questions que celui-ci adressa au pasteur réformé et dont Mestrezat se tira fort honorablement.

1re D. Pourquoi vous servez-vous de la liturgie de Genève? R. Faisant profession d'une même religion avec Genève, il pas surprenant que nous nous servions de la même liturgie.

n'est

2me D. Pourquoi, dans vos prières, joignez-vous les papistes avec les turcs et les païens?

R. On ne doit pas être étonné que, dans le temps où la communion de Rome traite les Protestants comme les turcs et les païens les traiteraient, on ait joint les papistes avec ces infidèles; mais on a ôté le mot de Papistes dans les nouvelles éditions, même sous le règne de Henri IV, et si cela est demeuré dans quelques-unes, elles n'ont pas été faites en France. 3me D. Pourquoi souffrez-vous les ministres non français? R. Il serait à souhaiter que tant de moines italiens qui sont en France eussent autant de zèle pour Sa Majesté qu'en ont les ministres étrangers qui ne reconnaissent dans le royaume aucun autre souverain que le roi.

A ces mots, le cardinal de Richelieu, lui touchant l'épaule, s'écria « Voilà le plus hardi ministre de France! » Eloge d'autant plus précieux qu'il sortait de la bouche d'un haut dignitaire de l'Eglise romaine1.

Enfin, nous trouvons dans les Mémoires du cardinal de Retz le récit de conférences que ce dernier eut avec Mestrezat vers l'an 1639 ou 1640, et qui font bien apprécier ce que devaient être l'érudition, la dialectique et la facilité, en même temps que la puissance de parole de ce dernier.

« Je trouvai par hasard Mestrezat, fameux ministre de Cha«renton, dit le cardinal, chez Mme de Rambure, huguenote

1 Mémoire communiqué par M. Pictet. Bayle, Dict. hist. art. Mestrezat.

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précieuse et savante. Elle me mit aux mains avec lui par cu<«<riosité la dispute s'engagea et au point qu'elle eut neuf « conférences de suite en neuf jours différents. M. le Maréchal

« de la Force et M. de Turenne se trouvèrent à trois ou

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« quatre...... J'avais eu quelques avantages sur Mestrezat dans << la cinquième; la question de la vocation y fut traitée. Il m'em<< barrassa dans la sixième, où l'on traitait de l'autorité du « pape, parce que, ne me voulant pas brouiller avec Rome, je lui répondais sur des principes qui ne sont pas si aisés à défendre que ceux de Sorbonne. Le ministre s'aperçut de << ma peine; il m'épargna les endroits qui eussent pu m'obli<< ger à m'expliquer d'une manière qui eût pu choquer le nonce. << Je remarquai son procédé, je l'en remerciai au sortir de la « conférence, en présence de M. de Turenne, et il me répondit : « Il n'est pas juste d'empêcher M. l'abbé de Retz d'être car« dinal.» « Cette délicatesse, comme vous voyez, » ajoute l'historien, devenu effectivement cardinal en 1651, « n'est pas « d'un pédant de Genève1. »

On voit par ces paroles, comme par tout ce que nous venons de raconter, que Mestrezat était réellement spirituel, et comme il était en même temps fort instruit et qu'il avait eu des discussions théologiques avec des personnages célèbres, on comprend qu'il se fût fait un nom dans la controverse. Il avait d'ailleurs, outre les écrits destinés à réfuter Véron et Regourd, publié aussi un Advis au Sieur Gabriel Martin, abbé de Clausone, par un personnage équitable et amateur de vérité, ouvrage connu seulement par la réponse de Martin, qui avait pour titre : La poursuite du Sieur Mestrezat, ministre de Charenton, depuis sa banqueroute sur l'Advis donné, etc., Paris, 1632, in-8°; et il avait aussi fait paraître, en réplique à La Milletière, un Discours de la grâce contre les prétendus mérites et la justification par les œuvres (Charenton, 1638, in-12). Comme nous n'avons

1 Mémoires du cardinal de Retz (Collection Petitot), Paris 1825, t. XLIV, p. 130 et s.

pu nous procurer ces deux ouvrages, nous devons nous borner à en indiquer le titre; mais il n'en est pas de même du Traité de l'Eglise que Mestrezat publia à Genève et à Charenton en 1639, avec l'approbation des pasteurs que le synode de la province avait chargés de l'examiner. Dans ce traité, qui est divisé en trois livres, l'auteur examine successivement l'Eglise : 1o dans son état intérieur en tant qu'Eglise invisible, au point de vue de la foi qui la constitue et des caractères qu'elle doit offrir; 2o dans son état extérieur en tant qu'Eglise visible, au point de vue du chef auquel elle obéit, du caractère de ses pasteurs, de leur ordination, de leur succession, de leur union et de la prospérité de l'Eglise; 3° dans l'autorité qui lui appartient, article où l'auteur recherche si c'est l'Eglise qui est constituée comme tribunal au-dessus de l'Ecriture pour en trancher les difficultés, ou si ce n'est pas plutôt l'Ecriture qui est le tribunal auquel l'Eglise même est subordonnée. Il y a dans cet ouvrage de 700 pages in-4° une grande érudition, une grande connaissance de l'Ecriture et des Pères de l'Eglise, et une véritable force de raisonnement. Quelquefois pourtant l'argumentation devient moins serrée et la dialectique un peu, subtile. Puis, malheureusement, avec le besoin de tout dire et de répondre à tout, une certaine lourdeur dans la marche, une certaine pesanteur d'allure, qui ôte à la lecture de ces pages toute espèce d'attrait. On dirait un général qui, pour livrer bataille, ferait également porter l'effort de ses armes sur tous les points des corps ennemis qu'il a devant lui.

Un dernier ouvrage de controverse reste à mentionner, qui prouve quelles étaient d'ailleurs les connaissances scripturaires, l'érudition patristique et la force d'argumentation de Mestrezat. Cet ouvrage a pour titre De la communion à Jésus-Christ, au sacrement de l'Eucharistie, contre les cardinaux Bellarmin et Du Perron. Il est divisé en trois livres, dans le Ier desquels l'auteur établit la nécessité et la véritable nature de notre communion avec Jésus-Christ. « La chose à laquelle nous

sommes joincts, c'est Jésus-Christ, mesme quant à sa nature humaine; mais le lien qui nous joinct à cet object, c'est le SainctEsprit et la foy du pécheur repentant (1. Ier, ch. 4), union substantielle et corporelle au regard des choses qui sont conjoinctes, et spirituelle au regard du lien qui conjoinct ces choses. Sainct Paul en effet nous montre que, comme nous sommes incorporez à J.-C. au baptesme, pour ce que nous y recevons son Esprit, aussi nous recevons le corps de J.-C. en l'Eucharistie et sommes joincts à lui en tant que nous sommes abbreuvez de son Esprit » (1 Cor. XII, 13). C'est par cette thèse, puis par un long examen du VIme chapitre de saint Jean, où notre controversiste voit la demeure de Jésus-Christ en nous enseignée sous la même forme que notre demeure en Christ, c'est-à-dire sous une forme spirituelle; c'est par là, disons-nous, que Mestrezat s'élève contre l'introduction matérielle de la chair de Christ en nos corps.

Dans son IIme livre, il s'élève, contre la transsubstantiation et montre qu'en l'Eucharistie nous ne sommes unis que spirituellement au corps de Christ. Il le prouve: 1o par la nature des sacrements où il ne saurait voir autre chose que des signes, des mémoriaux, des figures de certaines choses; d'où résulte que, quand on parle d'un signe, on lui impose le nom de la chose signifiée, et qu'ainsi les sept épis et les sept vaches, par métaphore, des songes de Pharaon, sont sept années; la pierre est Christ, par métaphore, quoique le mot signifie ne soit pas employé; d'où résulte encore, qu'afin qu'un attribut substantiel soit énoncé relativement à un signe, il n'est pas besoin que la substance de ce dernier soit convertie ou qu'à cette substance une autre soit jointe par union hypostatique ; il suffit qu'une autre y soit jointe par union de signification. Il le prouve : 2o par les textes où est rapportée l'institution de l'Eucharistie. Car, si la coupe y est représentée comme une alliance, quoiqu'elle ne soit pas convertie en alliance ou testament, il en est de même du pain dont Jésus peut dire Ceci

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est mon corps, sans que ce pain soit converti en corps de Christ. Si Jésus, après avoir dit: Ceci est mon sang, nomme fruit de la vigne ce qui est dans la coupe, c'est donc encore du vin. Si Jésus dit: Ceci est mon sang, ce n'est toutefois qu'après que les apôtres l'ont bu, comme si ce que la coupe contenait eût été jusque-là pour eux du vin. Il le prouve : 3o par l'analogie des articles de foi, et d'abord relativement à la vérité de la nature humaine de Christ. L'Ecriture sainte enseigne que le corps de Jésus-Christ est né de la bienheureuse Vierge et a esté formé de la semence; or, par la transsubstantiation, dit Mestrezat, on nous baille un corps de Jésus-Christ formé de pain par des paroles, qui est ce que les articles de foy ne permettent point. Ensuite il est dit (Hébr. 11, 17), qu'il a fallu que Jésus-Christ fust semblable en toutes choses à ses frères ; comment est-il semblable à nous, s'il a un corps qui est tout entier en une oublie, et tout entier en des millions d'oublies en divers lieux (liv. II, chap. 15)? Enfin, après sa résurrection (Luc, XXIV, 36-39), Jésus renvoie ses disciples au témoignage de leur sens pour s'assurer de son identité: Voyez mes mains et mes pieds, leur dit-il, c'est moi-même. Touchez-moi et regardezmoi. Un esprit n'a ni chair ni os comme vous voyez que j'ai, et un corps se trouve toujours en un lieu déterminé et limité. Or, selon Bellarmin (De l'Eucharistie, I, ch. 2), Christ n'aurait pas, dans l'Eucharistie, le mode d'existence des corps, mais celui des esprits, vu qu'il serait tout entier partout à la fois, et de plus, nos sens ne nous font pourtant apercevoir que du pain et du vin et nullement la nature du corps humain. Si donc, dans le premier cas, il faut admettre la vérité du témoignage des sens et la réalité du corps de Christ, dans le second cas, on devrait admettre la réalité du corps de Christ, mais la fausseté du témoignage des sens; ce qui est inadmissible. Mestrezat arrive à la mêine conséquence, en consultant l'analogie de la foi relativement à l'Ascension de Christ. Jésus a dit (Jean, xvi, 28): Maintenant je laisse le monde et je m'en

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