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toast à Ménandre et au Céphise, les deux divinités tutélaires de ces lieux fortunés.

On enlève la nappe et on nous sert le café dans des tasses de la dimension d'une moitié de coquille d'œufs. Cette boisson, telle qu'on la fait en Europe, n'est qu'une lavasse insipide; on jette le résidu de la fève aromatique et on ne boit que l'eau infusée. Les Grecs se gardent bien de rien jeter; la poudre broyée extrêmement fin reste avec l'eau. qui ne sert qu'à la délayer. Après nous être parfumé la bouche de ce délicieux moka, nous allons visiter les curiosités de l'endroit, la source du Céphise et la grotte des Nymphes. La source n'a rien de bien extraordinaire, mais c'est la source du Céphise! Un toit voûté et une colonne cannelée gisante à terre, voilà tout ce qui reste de l'élégante construction qui ornait autrefois ce lieu sacré. La grotte des Nymphes n'est pas loin de là; c'est une caverne fraîche ombragée d'arbousiers, des myrtes, de lauriers roses, où serpente, au travers des cailloux couverts de lichen, un filet d'argent qui forme un bassin tapissé de mousse et encadré de capillaires et de renoncules. C'est ici plutôt qu'au bord l'Ilissus qu'on placerait la scène de la délicieuse ballade :

Sara belle d'indolence

Se balance

Dans un hamac, au-dessus
Du bassin d'une fontaine

Toute pleine

D'eau puisée à l'Ilissus.

L'Ilissus n'est plus qu'un nom, qu'un mythe; son lit existe à peine encore et on le passe en tout temps à pied sec. Assis sur un banc de gazon, à l'ombre des térébinthes, nous tirons de notre poche le Florilége de Stobée et nous respirons quelques-unes des fleurs du bouquet de Ménandre.

<< -Si quelqu'un des dieux m'abordant me disait : Craton, après ta mort tu reviendras au monde sous une autre forme; tu seras, à ton gré, chien, brebis, bouc, homme ou

cheval, car tu dois vivre deux fois, tel est l'arrêt du sort; choisis ce que tu aimes le mieux. Je répondrais : je consens à être tout ce que tu voudras, excepté un homme; car l'homme est le seul animal qui soit heureux ou malheureux saus mériter ni l'un ni l'autre. Parmi les chevaux, c'est le plus fort qui est le mieux traité; parmi les chiens, c'est le plus agile; ce coq courageux est nourri avec soin et le lâche redoutera le plus brave. Qu'un homme soit honnête, noble, généreux; à quoi bon, dans la génération présente? - Le flatteur parvient au premier degré de la prospérité; après lui c'est le délateur, et troisièmement le méchant. Il vaut mieux être changé en baudet que de voir ceux qui ne nous valent pas élevés au-dessus de nous. >>

« Tu me parles d'argent, chose si incertaine! Si tu crois que le tien doive toujours être à toi, garde-le tout pour toi, sois-en le seul possesseur; mais s'il ne t'appartient pas, s'il appartient à la Fortune, pourquoi donc, ô mon père! n'en veux-tu faire part à personne? Qui sait? peut-être que la Fortune te l'enlèvera un beau jour pour le distribuer à un autre qui en sera indigne. Aussi, je te conseille d'en faire un noble usage pendant que tu en es le maître; de venir en aide aux misérables, et d'enrichir, autan tque possible, tes amis. Une pareille conduite est une chose immortelle; et si jamais tu tombes dans l'infortune, tu pourras espérer d'être secouru à ton tour. Les sommes qu'on dépense utilement sont bien mieux placées que celles qu'on enfouit dans sa cave comme tu fais. »

<< -Si tu veux te connaître toi-même, regarde, quand tu voyages, les tombeaux qui bordent la route. Là reposent les ossements et les cendres légères des rois, des tyrans et des sages, de tous ceux qui étaient fiers de leur naissance, de leur richesse, de leur gloire et de leur beauté. Aucun de tous ces avantages ne les a sauvés de la mort tous partagent la même sépulture. »

<-Épicharme dit que les vents, l'eau, la terre, le soleil, le feu, les étoiles, sont des dieux. Moi, je crois que

les véritables dieux sont l'argent et l'or... Vouez un culte assidu à ces deux divinités, et vous obtiendrez tout ce que vous désirerez, des terres, des palais, des domestiques, de la vaisselle précieuse, des amis, des juges, des témoins; seulement, sachez donner à propos, et tous les dieux seront vos serviteurs. »

Les sentences qui nous restent de Ménandre sont dignes d'être gravées en lettres d'or. Tel était le cas qu'on en faisait dans l'antiquité, que saint Paul lui-même en a cité une dans son Epître aux Corinthiens (11, 5) :

Φθείρουσιν θη ἠχρησθ' ομιλίαι κακαί.

L'histoire nous apprend qu'Hérode Atticus possédait, à peu de distance de Céphisia, une maison de campagne qu'il avait ornée de toutes les merveilles de la nature et de l'art. Le père de cet illustre richard ayant déterré dans son jardin un trésor considérable, et craignant les réclamations du fisc, écrivit à l'empereur Nerva pour lui demander ce qu'il en devait faire. L'empereur lui répondit: Uses-en. Comme cette réponse ne lui parut pas suffisamment rassurante, il écrivit de nouveau à Nerva pour lui dire que son trésor était trop considérable pour un simple particulier tel que lui. Abuses-en, répondit César. Hérode n'en abusa pas ni son fils non plus. Ils employèrent les richesses que le hasard leur avait départies à créer des institutions utiles, à embellir les villes de la Grèce, à soulager les indigents de tous les pays. On aimerait à voir quelque relique de la ville de ces financiers généreux : Rara avis! Mais le temps cruel n'en a pas laissé la moindre trace.

Après Céphisia, le désert : point d'habitation, point d'animaux, point d'hommes, point de culture; la terre n'est couverte que de broussailles, de lentisques, d'agnus-castus, de bruyères et de fougères; mais tout à coup le sol s'exhausse, une végétation plus vigoureuse paraît à nos yeux, l'horizon s'élargit; encore quelques pas, et nous nous trouvons sur une cime élevée d'où nous dominons un pa

norama immense et enchanteur. Une vaste plaine unie s'étend à nos pieds, encaissée au nord et au sud de hautes montagnes, et terminée à l'est par la mer. Où cesse la plaine verte commence la plaine bleue, du sein de laquelle surgissent avec grâce les mamelons arrondis des îles d'Eubée, de Céos et d'Andros.

Près de nous, les montagnes brillent d'une belle teinte verte qui va toujours en s'affaiblissant avec la distance, et qui, de dégradation en dégradation, finit par se transformer en un violet foncé, puis en un bleu clair qui se confond presque avec l'azur du ciel. Ce bassin, qui a toute l'apparence d'un golfe que la mer a abandonné après en avoir aplani le fond, est entrecoupé de champs de blé, de marécages, de prairies et de fondrières. On remarque, vers le sud-est, au milieu de cette grande surface rase, un tertre conique de sable aride et sans verdure. C'est le tumulus où furent enterrés les cent quatre-vingt-douze Athéniens qui eurent la gloire de succomber en défendant le sol de la patrie.

Nous avons devant nous le théâtre de la mémorable bataille de Marathon. L'imagination se plaît à recomposer cette lutte gigantesque; elle ressuscite les deux armées ennemies; elle les remet aux prises. Il semble qu'on entend siffler les flèches, craquer les cuirasses et les boucliers hennir les chevaux, gémir ou rugir les hommes. On voit les glaives étinceler, la poussière tourbillonner, les cohortes s'attaquer, s'écraser, se poursuivre, les coursiers ondoyer comme des vagues écumantes.....

Enivrés de ces héroïques souvenirs, nous descendons lentement vers la plaine par un sentier étroit pavé de grosses pierres inégales et bordé d'une double haie d'arbousiers et de lentisques. Parvenus aux derniers escarpements de la montagne, nous apercevons à notre droite une maisonnette entourée d'un petit jardin et d'un mur d'enceinte. Notre guide Thémistocle nous apprend que c'est un couvent, et que c'est là que nous devons passer la nuit.

Fort bien! nous allons savoir ce que c'est que des moines grecs.

Nous arrêtons nos montures devant la porte du jardin ; nous frappons; point de réponse. Nous frappons encore; même silence. Le couvent est abandonné; les bons caloyers ont plié bagage. Cependant, nous ne pouvons rester là sans abri. Un de nos agoïates saute par-dessus le mur et nous ouvre la porte. Nous entrons dans le jardin et de là dans la maison dont nous prenons possession au nom de l'hospitalité et de la nécessité. Les chambres, au nombre de quatre, sont complétement nues, mais propres et logeables. Pendant qu'on les meuble et qu'on prépare le dîner, nous remontons à cheval pour visiter la plaine. Nous nous précipitons au grand galop à travers les fougères, les joncs, les éteules, les haies et les ravins. Nous nous élançons triomphalement au sommet du tertre funèbre, et de là, nous saluons la mer, les rochers, les îles et ce sol sacré baptisé du sang des héros, et nous crions aux échos. des montagnes Miltiade! Aristide! Puis nous nous asseyons sur le sable du tertre pour lire le récit de la bataille de Marathon dans Hérodote et la description de la plaine dans Pausanias.

« Le dème de Marathon, dit Pausanias, est à une égale distance de la ville des Athéniens et de celle de Karyote, en Eubée. C'est dans cette partie de l'Attique que les barbares s'arrêtèrent, qu'ils furent vaincus en bataille rangée et qu'ils perdirent quelques-uns de leurs navires, comme ils les faisaient sortir du port. Dans la plaine on voit deux tumulus; celui des Athéniens avec des stèles, contenant les noms des morts classés par ordre de tribus ; et celui qu'on éleva aux Platéens et aux esclaves des Béotiens, car des esclaves combattirent alors pour la première fois. Il y a aussi un monument particulier pour le fils de Cimon, Miltiade, qui mourut plus tard après avoir échoué dans l'expédition de Paros et avoir été pour ce fait mis en jugement par les Athéniens. Dans cet endroit, on entend cha

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