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d'avril, deux espèces de blé (barbu et non barbu); le millet ne faisait que commencer à pousser; les rizières avaient belle apparence, aussi bien que les plantations de cannes à sucre. Les patates (dont j'ai reconnu trois espèces) et le tabac sont d'une grande importance dans l'île. Les légumes sont beaux et très-variés : ce sont des choux, navets, carottes, bettes, épinards, laitues, fèves, haricots, petits pois, soucis (qui se mange en salade), porreaux, petits ognons, Gombo (espèce de Lappa ou Bardane dont on mange la racine), bambous, etc. Je ne dois pas passer sous silence une plante qui joue un grand rôle dans les disettes, et dont on ne mange beaucoup que dans ces époques. Je ne me rappelle pas malheureusement son nom, et je n'ai pas de livre, ici, pour le chercher. C'est une espèce de petit palmier sans tige, à feuilles raides et à divisions fines et pointues. Ce végétal existe en France comme plante d'ornement. Les habitants de Lou-tchou réduisent sa racine en petits morceaux minces pour les faire sécher au soleil; ils vont ensuite les laver à une eau courante et en font une espèce de fécule. On cultive aussi le Papaver album. Un Lou-tchouan m'a dit qu'on ne s'en sert pas pour faire de l'huile, mais seulement pour faire des cataplasmes.

La campagne, ordinairement remplie de travailleurs (hommes et femmes) et de gens qui vont au marché ou qui en reviennent, est aussi animée par la présence de quelques chevaux, vaches et chèvres. Les chevaux sont petits et servent de montures et de bêtes de somme; mais on ne les emploie ni à labourer, ni à traîner les voitures, attendu que, pour ce qui concerne le labour, tout se fait par les mains de l'homme, et que les voitures sont inconnues dans le pays. Les mandarins se servent de chaises à porteurs grossières et si incommodes que ceux qui s'y tiennent longtemps accroupis ont une espèce de mal de mer, ou plutôt de mal de chaise, appelé djibounaie par les habitants.

Le porc de petite taille et la volaille sont communs et de

bonne qualité. Le gibier, au contraire, est assez rare; néanmoins j'ai vu des cailles plus petites que celles de France, une perdrix, des tourterelles, des merles et des sansonnets, dont le mâle a un plumage riche et brillant. Je ne dois pas passer sous silence les deux, cents cerfs et antilopes qui habitent les deux plus petites îles du groupe. d'Amakirrima. Des Américains, occupés dans le mois d'avril dernier à faire l'hydrographie de ces îles, s'étant permis d'aller à la chasse, avaient déjà tué plus d'une demi-douzaine de ces cerfs, lorsqu'un mandarin vint les prier de ne pas continuer à faire la guerre aux Cerfs du roi.

J'ai retrouvé à Lou-tchou l'oiseau que l'on pourrait appeler cosmopolite, le moineau, avec sa familiarité et son chant monotone. Un autre cri sinistre m'a rappelé plusieurs fois notre belle France : c'était celui de la corneille. Il est inutile de vous parler de plusieurs autres passereaux, Palmipèdes, Echassiers, dépendant de la faune de Loutchou, car je me propose de les envoyer quelque jour à Paris dans l'intérêt de l'ornithologie.

Je n'ai rencontré que peu de reptiles à Lou-tchou; il paraît cependant que les serpents venimeux (trigonocéphales) y sont assez communs. J'ai vu la tête d'un de ces derniers tué par les Américains.

Les coquillages et les débris de coquillages que j'ai examinés sur le bord de la mer annoncent une grande richesse dans ce genre; et, à ce propos, je dois vous dire que j'ai découvert des fossiles avant mon départ. Je n'ai pas eu le temps d'étudier le terrain, aussi je n'ose pas me prononcer sur son âge; néanmoins, je regrette de n'avoir pas maintenant à ma disposition les fossiles que j'avais recueillis. C'étaient des térébrotules (une espèce), des peignes, des kemnitzia, des moules d'area, je crois; des hemo-cedaris très-volumineux conservant encore les traces de leurs ornements. J'avais trouvé ces fossiles dans des pierres calcaires de la colline qui se trouve sur le bord de la mer, au nord d'Amikou ou Missions - Françaises, à une hauteur de

trente à quarante mètres au-dessus du niveau de la mer. En partant de là pour aller à Choui, en passant au Nordest de Tumaï, on trouve plusieurs collines argileuses, et l'on rencontre, plus loin et inférieurement, des mamelons de sable ferrugineux au milieu desquels j'ai pu ramasser des morceaux de bois renfermés dans des espèces de géodes ferrugineuses.

Je vous envoie, cher monsieur, ces observations, quoique bien incomplètes et écrites à la hâte; puissent-elles vous faire plaisir et être utiles à la science. Si quelques-unes des personnes auxquelles vous pourrez les communiquer avaient à faire des observations qui puissent venir en aide, à l'avenir, à ma bonne volonté et à mon insuffisance, je suis prêt à les recevoir avec plaisir et reconnaissance. »>

L. FURET,

Misssionnaire apostolique, supérieur de la mission au Japon et aux îles Lou-tchou; membre honoraire de la Société zoologique d'acclimatation et de la Société orientale de France.

LES SANDALES MAUDITES

D'ABOU'LKACEM TANBOURY.

Il y avait, dit-on, à Baghdad un personnage nommé Abou'lkâcem Tanboùry, qui portait depuis sept ans les mêmes sandales. Toutes les fois qu'il s'en détachait quelque partie, il y mettait une pièce, de sorte qu'elles devinrent d'une lourdeur excessive, et que l'on disait proverbialement « Tel objet est plus pesant que la chaussure d'Abou❜lkâcem Tanboûry. » Un jour qu'il se trouvait dans le marché aux verres, un courtier lui dit : « Il vient d'arriver aujourd'hui d'Alep un marchand avec une grande quantité de verres dorés qu'il n'a pu encore placer; achète-les-lui; quant à moi, je me charge de les revendre à ton profit et assez largement pour qu'ils te rapportent deux fois le prix de ton acquisition. » Notre homme alla les acheter soixante dinars; et, lorsqu'il entra dans le marché des parfumeurs, un autre commissionnaire vint à sa rencontre, en lui disant: «Il est arrivé au

jourd'hui de Nisibe un négociant qui a d'excellente eau de rose; comme il est pressé de partir, tu pourrais peut-être la lui acheter à bas prix ; je la revendrais pour ton compte, de sorte que tu en retirerais au plus vite deux fois autant que tu l'aurais payée. » Abou❜lkâcem dépensa soixante autres dinars pour ce nouvel achat; il versa l'eau de rose dans les verres dorés et emporta le tout pour le déposer sur une planche au fond de sa chambre. De là il se rendit au bain, et l'un de ses amis lui dit : « Je voudrais bien te voir changer ces sandales, car elles sont extrêmement grossières; et, grâce à Dieu, tu es assez riche pour cela. » — « Tu as raison, répondit celui-ci, je suivrai ton conseil. »> Après avoir pris son bain et s'être habillé, il trouva des sandales neuves à côté des siennes, et s'imaginant que son ami, par générosité, les avait achetées à son intention, il les chaussa et regagna son domicile. Or, ces sandales neuves étaient celles' du cadi qui, le même jour, en venant au bain, les avait déposées en cet endroit avant d'entrer. Le cadi, en sortant, chercha ses sandales et ne les voyant plus, il s'écria: « Hé quoi! mes frères, celui qui a chaussé mes sandales ne m'a donc rien laissé en échange?» On se mit à chercher et l'on trouva les sandales d'Abou'lkâcem que l'on reconnut facilement. Aussitôt le cadi envoya ses gens pour cerner la maison de ce dernier, et ils découvrirent chez lui les sandales du cadi, qui le fit amener, lui infligea la bastonnade pour lui apprendre à vivre, et, l'ayant mis en prison pendant plusieurs jours, lui fit payer une forte amende, après quoi il le relâcha. Abou'lkâcem, une fois sorti de prison, saisit avec dépit ses sandales et alla les jeter dans le Tigre. Or, un pêcheur vint par hasard tendre son filet à l'endroit même où elles étaient plongées; il les retira de l'eau et s'écria en les voyant : « Ce sont les sandales d'Abou'lkâcem! Il paraît qu'il les aura laissées dans le fleuve. » Puis il les reporta chez Abou❜lkacem; mais, ne le trouvant pas à son domicile, il s'aperçut qu'une fenêtre donnant sur le fond de sa chambre était ouverte, et lança les sandales à travers la fenêtre. Elles tombèrent sur la planche où se trouvaient les verres et l'eau de rose; les verres furent brisés et l'eau de rose se répandit. A son retour, Abou'lkâcem vit ce dégât et devina l'aventure; il se frappa le visage, poussa des cris et versa des larmes. « Quel malheur ! s'écria-t-il; ces maudites sandales sont la cause de ma ruine! » Lorsque la nuit fut arrivée, il se mit à creuser un trou pour les y enfouir et s'en débarrasser ; mais les voisins, entendant fouiller, s'imaginèrent que quelqu'un tentait de les piller, et sur-lechamp ils allèrent porter plainte au gouverneur. Celui-ci envoya chercher Abou❜lkâcem, le fit garrotter et lui dit : « Pourquoi donc te permets-tu de ravager le mur de tes voisins? » Ensuite il le fit enfermer et ne lui rendit la liberté qu'après l'avoir condamné à une forte amende.

Abou❜lkâcem, à sa sortie de prison, conçut une violente colère au sujet de ses sandales, et alla les jeter dans les latrines du caravansérail ; mais elles en bouchèrent le conduit, et les matières se répandirent par-dessus les bords. Les gens du caravansérail, incommodés par l'o

deur infecte qui s'échappait des latrines, recherchèrent la cause de l'inconvénient; et trouvant les sandales, ils les examinèrent, les reconnurent et les portèrent au gouverneur, en l'informant de ce qui leur était arrivé. Celui-ci fit venir le propriétaire des sandales, le réprimanda et le mit en prison. « Tu auras soin, lui dit-il, de faire remettre les latrines en bon état. » Abou'lkâcem eut encore à payer pour ces réparations une somme considérable et, de plus, une amende égale à sa dépense: puis il fut relâché. Il sortit donc, emportant ces sandales, et s'écria tout en colère : « Grand Dieu ! je ne pourrai donc jamais me délivrer de ces sandales! » Ensuite il les lava et les mit sur la terrasse de sa maison pour les faire sécher; mais un chien les aperçut, et, croyant que c'étaient quelques morceaux de charogne, il les saisit pour les transporter sur une autre terrasse. Dans le trajet, les sandales échappèrent au chien et tombèrent sur une femme enceinte. La douleur et l'effroi que cette femme ressentit la firent avorter, et, par malheur, d'un enfant mâle. Après avoir bien examiné les sandales, on reconnut que c'étaient celles d'Abou'lkâcem, et l'on fit un rapport de l'aventure au cadi, qui força le pauvre homme à payer le prix de l'enfant et à subvenir à tous les besoins de la femme pendant sa maladie, ce qui épuisa toutes ses ressources et le plongea dans le plus affreux dénûment. Abou'lkâcem, prenant enfin ses sandales, alla trouver le cadi et lui dit : « Monsieur le cadi, je désire que vous dressiez un certificat en bonne forme, constatant qu'il n'y a plus rien de commun entre moi et ces sandales, que je n'en suis nullement le propriétaire, et que je n'aurai plus à répondre des accidents qu'elles pourraient occasionner. » Puis il lui raconta toutes ses tribulations et l'état de misère auquel il se trouvait réduit. Le cadi se mit à rire, lui fit un don et s'en alla.

Traduit de l'arabe, par A. P. PIHAN.

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