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NOUVELLE INTERPRÉTATION

DE

L'INSCRIPTION PHÉNICIENNE

découverte par M. Mariette,

DANS LE SERAPÉUM DE MEMPHIS.

[Inscription phénicienne sur une pierre à libation du Sérapéum, par M. le duc de LUYNES. Bulletin de l'Athenæum fr., nos 8 et 9, août et sept. 1855.]

Parmi les monuments précieux que M. Mariette a rapportés de l'Égypte et qui sont maintenant au musée du Louvre, il en est un qui a attiré de bonne heure mon attention et est devenu pour moi l'objet d'une étude particulière. C'est une table en pierre calcaire, grossièrement taillée, de 0,295 de haut, de 0,586 de long, et de 0,325 de large; sa surface, qui est creusée, présente deux cuvettes de 0,14 de profondeur, et séparées l'une de l'autre par une cloison. Cette cloison est ornée, sur sa face horizontale, d'un vase à libations surmonté d'un disque, le tout en bas-relief, et derrière le disque ou globe est creusé un petit canal qui se termine par un bec en forme de gouttière.

Le monument a été trouvé par M. Mariette, à Memphis, autour de Sérapéum ou tombeau d'Apis, et parmi cinq cents autres pierres carrées, ayant également la forme de tables d'autel, étant plus ou moins creusées à leur surface supérieure, mais ornées toutes d'un vase à libations. Sur le côté antérieur, il présente une inscription phénicienne, disposée sur quatre lignes et renfermée dans un encadrement irrégulier. (Voyez la planche.) La première ligne se compose de seize caractères, la seconde de quinze, la troisième également de quinze, mais la quatrième n'en contient que sept.

Depuis qu'il est exposé au musée du Louvre, c'est-àdire depuis environ un an, plusieurs savants et amateurs d'antiquités ont obtenu soit des copies, soit des estampages de l'inscription phénicienne, et moi-même, outre qu'il m'a été permis, comme à tout le monde, d'aller l'étudier sur place, j'en possède un dessin fidèle que j'ai fait reproduire à la fin de cet écrit.

Lorsque, vers la fin du mois de juillet dernier, je quittai Paris pour aller prendre mes vacances dans mon pays natal, je savais que des travaux se préparaient, ayant pour objet le déchiffrement de notre inscription, et j'étais même sûr que ces travaux ne tarderaient pas de voir le jour; c'est ce qui est arrivé. A mon retour, on m'a communiqué deux cahiers du Bulletin archéologique de l'Athenæum français, qui contiennent un long article signé de M. le duc d'Albert de Luynes, et commençant par ces mots : Inscription phénicienne sur une pierre à libation du Sérapéum de Memphis.

J'avais moi-même formé le dessein de publier un mémoire sur cette épigraphe; tous les matériaux de mon travail étaient déjà préparés; ils n'avaient besoin que d'être mis en ordre et attendaient seulement la dernière main pour être livrés à l'impression; mais en lisant, au bas de l'article du Bulletin archéologique, le nom d'un savant aussi distingué que M. le duc de Luynes, ma première pensée fut d'abandonner mon projet, et dès l'abord, sans autre examen, je considérai mon travail comme devenu inutile et superflu. C'est dans cette disposition d'esprit que je me mis à lire l'article dont il s'agit; je le trouvai bien écrit, rempli d'idées ingénieuses, de rapprochements curieux, d'observations historiques qui témoignent d'une connaissance approfondie des antiquités de l'Orient; mais je ne crains pas de le dire, la valeur assignée aux caractères de l'inscription, et le sens qui en résulte pour l'explication des mots, ne me satisfirent que médiocrement, et quand je vins à comparer son interprétation avec celle qui était le fruit

de mes études et de mon propre examen, je dus reconnaître que, sur presque tous les points, nous différions essentiellement.

Malgré la grande autorité dont jouit M. le duc de Luynes, ou plutôt à cause même de la grande autorité de cet illustre académicien, j'ose proposer ici une nouvelle interprétation de l'inscription phénicienne, interprétation que je soumets d'ailleurs à l'appréciation des orientalistes et de M. le duc de Luynes lui-même.

Avant de transcrire l'inscription phénicienne en lettres hébraïques et d'aborder l'explication des mots, je dois déterminer certains caractères qui s'éloignent des formes ordinaires et dont mon devancier ne me semble pas avoir reconnu la véritable valeur.

Ces caractères sont au nombre de trois, savoir: 4° le premier de la première ligne, qui reparaît à la seconde, après les deux premiers et les trois premiers de la quatrième ligne; 2o le troisième de la première ligne, qui est le même que l'avant-dernier de la même ligne, l'avant-dernier de la troisième et de la quatrième; 3° le dernier de la première et de la troisième ligne.

Le premier caractère de l'inscription est indubitablement un schin, car il offre beaucoup de ressemblance, pour ne pas dire une similitude parfaite, avec cette lettre, telle qu'elle se trouve figurée dans plusieurs autres inscriptions phéniciennes déjà connues et expliquées; nous citerons entre autres la treizième numidique où elle est l'avantdernière de la première ligne, la cinquième de la seconde, et la seconde de la troisième (Voyez Etude démonstrative de la langue phénicienne, etc., par M. Judas, page 75 et planche 14); la quatorzième numidique (planche 15), où elle occupe la septième place de la seconde ligne, et la quinzième numidique, où elle est la septième de la première ligne. M. le duc de Luynes, qui prend ce caractère pour un heth, ne donne aucune preuve de son opinion et ne l'appuie d'aucun exemple; il a été sans doute trompé par la res

semblance que cette lettre présente avec la figure de l'H des Latins et des Grecs.

Passons au troisième caractère de la première ligne, qui est un ghimel. On le trouve avec cette valeur dans les alphabets phéniciens publiés par Gesenius dans ses Monumenta linguæ phoniciæ, etc., et par M. Judas, dans l'ouvrage précité. Il ne diffère de sa forme ordinaire qu'en ce que son crochet, au lieu d'être incliné comme cela se voi dans la plupart des inscriptions, est tracé horizontalement et forme un angle droit avec le jambage de la lettre. Dans le dessin de l'inscription, donné par M. le duc de Luynes, la figure de ce caractère n'est pas tout à fait exacte; le crochet s'y termine, à gauche, par un petit trait qui remonte et peut faire prendre la lettre pour un noun. Ce trait appendice a été, sans doute, ajouté par la personne qui a été chargée de copier l'inscription, car, après un examen attentif et plusieurs fois répété du monument luimême, que je suis allé étudier au musée du Louvre, il m'a été impossible de reconnaître la présence de ce trait dans le caractère en question; seulement j'ai remarqué, un peu au-dessus de l'extrémité du crochet, un petit creux de forme arrondie et séparé du reste de la lettre, qui est évidemment un défaut de la pierre. En effet, la surface sur laquelle l'inscription a été gravée est grossièrement taillée et offre çà et là des creux, des aspérités et des traces de coups de marteau. Le caractère dont nous examinons ici la valeur n'est donc pas un noun, comme le veut le savant académicien, mais bien un ghimel, et remarquons en passant la parfaite ressemblance de la lettre phénicienne ainsi figurée avec le gamma des Grecs, écrit de droite à gauche selon la manière appelée Boustrophédon.

A la fin de la première et de la troisième ligne, M. le duc de Luynes lit le nom d'Apis. L'inscription ayant été découverte sur le terrain qui entourait le tombeau de cette divinité égyptienne, il était tout naturel de croire que le nom d'Apis devait s'y rencontrer, et de tâcher en consé14

III.

quence de l'y découvrir. Le succès de la découverte dépendait en grande partie de la valeur assignée à l'avant-dernière lettre de la ligne, celle qui précède étant un aleph, et celle qui suit pouvant être regardée à volonté comme un tsadé ou un samech. Si l'on parvenait à établir que celle du milieu était un phé, l'on avait en toutes lettres le nom si connu du dieu Apis. M. le duc de Luynes s'est prononcé en faveur de cette lecture et de cette lettre, mais non sans quelque hésitation « Cette lettre, dit-il, nous devons le reconnaître, ne s'est jamais encore rencontrée sous la forme rectangulaire dans aucun monument d'épigraphie sémitique publié jusqu'à présent; son crochet est toujours plus ou moins. incliné, et, selon les alphabets du temps et des pays divers, le phé est tantôt semi-lunaire, tantôt vertical avec un crochet retombant, tantôt comme sur les monuments palmyréniens, presque semblable à notre C cursif majuscule, mais rétrograde. » Quant à moi, ces raisons me paraissent plus que suffisantes pour faire rejeter la valeur assignée ici à ce caractère. Comme il ne diffère en rien de celui qui occupe la troisième place au commencement de l'inscription, je lui donne la même valeur, c'est-à-dire que je le considère comme un ghimel dans cet endroit aussi bien qu'à la fin de la troisième ligne.

La dernière lettre de la première et de la troisième ligne présente une forme tout à fait insolite, mais il me paraît difficile d'y reconnaître, avec M. le duc de Luynes, soit un tsadé soit un samech, lettres qui, dans l'écriture phénicienne, se composent ordinairement de deux parties, l'une supérieure, ayant la figure d'un harpon ou d'un hameçon, et l'autre, inférieure, ressemblant à un hast ou à une perche. Dans les alphabets publiés jusqu'ici, le caractère qui offre le plus d'analogie, soit par son exiguité, soit par sa structure, avec la lettre que nous examinons, c'est l'iod, dont la forme varie d'ailleurs beaucoup dans les inscriptions phéniciennes ; je considère donc celle qu'affecte ici notre caractère comme une de ces variétés, et lui reconnais la valeur de l'iod.

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