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du travail de mon illustre devancier, observations que je soumets d'ailleurs à son jugement impartial et éclairé.

Je terminerai cet écrit par quelques réflexions qui ont pour objet l'ensemble de l'inscription, et qui résultent du sens général qu'elle présente.

Deux faits nous sont révélés par son contenu le premier, c'est qu'un vase à libations avait été consacré à un des dieux adorés à Memphis, et probablement au dieu Apis, puisque l'inscription a été découverte dans le voisinage de son tombeau; l'autre, c'est que cette consécration avait été faite par des personnes étrangères au pays ou du moins d'une origine non égyptienne, ce qui ressort non seulement de la nature des caractères épigraphiques qui sont phéniciens, mais aussi de la lecture des noms qui appartiennent tous aux langues sémitiques, et dont deux même ( alienigena et Gesuraeus) expriment positivement cette origine étrangère. La présence des Phéniciens en Égypte, attestée par Hérodote, qui nous apprend qu'ils habitaient, à Memphis, un quartier appelé Tuρíwv olрaτóπedov, le camp des Tyriens (Livre II, ch. 112), est prouvée également par la découverte, en Egypte, de manuscrits phéniciens sur papyrus, dont l'un, provenant de la collection Drovetti, est conservé au musée du Louvre, et par une autre inscription phénicienne gravée sur l'un des sphinx que M. Mariette a rapportés récemment de l'Egypte et qui sont également au musée du Louvre. Il est possible que les personnages dont l'inscription nous a conservé les noms, appartinssent à des familles établies depuis longtemps dans le pays et y formant des colonies; cependant je suis tenté de croire que leur séjour n'y était qu'accidentel, ou que, du moins, leur établissement dans la ville de Memphis ne remontait pas à une époque bien ancienne, car autrement on s'expliquerait difficilement le titre d'étranger ajouté au nom de Bentel, et le surnom de Gessurien, donné à Ebedkedem; il me semble que si ces deux Phéniciens avaient fait partie de quelque

ancienne colonie, ils n'auraient pas permis que l'on consignât dans l'inscription des surnoms qui auraient rappelé leur origine étrangère et les premiers temps de leur établissement sur la terre d'Égypte.

Mais à quel âge appartient le monument qui nous occupe? M. le duc de Luynes, jugeant de l'époque de l'inscription par la forme des caractères, pense, avec M. Mariette, qu'on peut la faire remonter au règne de Nectanebo II, c'est-à-dire à trois cent quarante ans environ avant l'ère chrétienne. Je suis loin de vouloir, sur ce point, contredire l'opinion de ces deux illustres savants, mais il me semble que cet âge est beaucoup trop reculé; la forme grossière et extraordinaire de certaines lettres, notamment du hé, du vav, de l'iod, du teth, du koph et du schin, que l'on retrouve sur des inscriptions numidiques évidemment plus modernes, indique une époque de décadence, et je ne crois pas m'éloigner beaucoup de la vérité en affirmant que notre épigraphe appartient à la fin du règne des Ptolémées et au commencement de la domination romaine. Cette date ne paraîtra pas trop récente si l'on veut bien se rappeler que les dieux de l'Egypte ont eu des temples et des adorateurs jusqu'au milieu du quatrième siècle de notre ère et que la langue phénicienne se parlait encore en Afrique et probablement aussi sur les côtes de la Syrie, son premier berceau, du temps de saint Augustin; l'écriture de ce peuple, quoique altérée par le temps ou modifiée par l'usage, a dû se conserver aussi longtemps que sa langue; je dirai même plus elle lui a survécu, puisque les Samaritains ne l'ont jamais abandonnée, et qu'ils s'en servent encore de nos jours pour écrire leur Pentateuque, leurs livres de prières, et même leurs correspondances.

J.-L. BARGÈS,

Professeur d'hébreu à la Sorbonne.

Paris, janvier 1856.

EZNIG DE GOG'PH

évêque de Pakrévant,

AUTEUR ARMÉNIEN DU CINQUIÈME SIÈCLE

ET SON TRADUCTEUR FRANÇAIS.

[On nous adresse de Constantinople un travail sur la traduction d'Eznig, qui a paru à Paris (in-8°, 1853, de VII, -213 pages, typographie Hennuyer). Nous reproduisons cet article, comme contenant des observations qui méritent d'être lues, mais en faisant nos réserves contre ce qu'il peut y avoir, dans la forme, de contraire au ton de critique grave que le sujet comporte. ] (Note de la rédaction.)

Si jamais le proverbe italien traduttore, traditore a pu être appliqué avec raison, c'est à coup sûr à l'auteur qui, sous le prétexte de traduction, nous a donné un calque aussi inexact que possible, nous allions dire une caricature, de l'un des livres les plus intéressants que nous ait légués l'antiquité arménienne. La littérature dont ce livre émane étant encore fort peu connue en Europe, il importe de ne pas la laisser sous le coup des préventions que peut suggérer contre elle le travail dont nous proposons de rendre compte; et comme d'ailleurs, dans l'apparition d'un ouvrage, si imparfait et si indigeste qu'il soit, il y a souvent un fait littéraire intéressant à constater, un souvenir historique utile à noter, celui-ci nous servira du moins à connaître les phases par lesquelles est passée en France, dans le siècle où nous vivons, l'étude de l'une des branches de la littérature orientale. Ces considérations seules nous font surmonter la répugnance que nous éprouvons à nous occuper d'une production que nous laisserions s'éteindre dans l'obscurité dont elle n'est pas sortie, et mourir de sa belle mort, et nous l'abandonnerions sans regret à la verve facétieuse du Charivari, si l'article que ce journal lui a consacré

ne pouvait porter à croire que l'auteur original est peut-être solidaire du traducteur.

Commençons par remarquer que ce dernier avait pour se guider un texte suffisamment correct, celui de l'édition donnée par les RR. PP. Mekhitharistes de Venise, en 1826, édition bien préférable à celle qui parut à Smyrne en 1762. Toutes les personnes qui ont l'habitude des manuscrits, et surtout des manuscrits orientaux, savent quel secours trouve un traducteur dans un texte établi avec critique, qui est pour lui, à vrai dire, besogne à moitié faite. L'auteur de la version d'Eznig s'est borné à suivre purement et simplement l'édition de Venise, et l'on pourra juger, par les observations que son livre va nous fournir, que la discussion des leçons vicieuses ou incertaines que cette édition laisse encore soupçonner et que l'instinct philologique y fait découvrir, est un soin qui a dû lui paraître tout à fait superflu. Cependant le Nouveau Dictionnaire arménien des Mekhitharistes, auquel il est si facile de recourir, renferme un certain nombre de passages où le texte d'Esnig est quelquefois amélioré.

Le titre de l'ouvrage arménien : Ieg'hdz aghantotz, ou Réfutation des doctrines hétérodoxes, beaucoup trop simple au goût de notre traducteur, a été remplacé par le suivant: « Réfutation des différentes sectes des païens, de la religion des Perses, de la religion des sages de la Grèce et de la secte de Marcion. » Il est juste de reconnaître que le mérite de cette paraphrase lui appartient tout entier; car Eznig, dans son premier livre consacré à discuter la question de l'origine du mal, n'a pu parler des différentes sectes des païens, ni intituler ce livre en conséquence, par la raison bien simple et connue de tout le monde que le polythéisme, institution non moins politique que religieuse, conserva son unité à l'abri de ces déchirements multipliés qui se sont produits au sein du christianisme et du mahométisme. Dans son second livre, Eznig s'occupe, non point de la religion des sages de la Grèce, mais des divers systèmes de philosophie,

qu'il caractérise par le mot Gronk, ou doctrines, écoles, inscrit d'ailleurs en tête de ce livre.

L'arméniste français, après avoir, dès le début de son introduction, présenté avec tout le savoir- vivre d'un homme bien appris son auteur favori« aux membres du clergé, aux orateurs chrétiens, aux penseurs profonds, aux amis de la science archéologique, enfin aux savants de tout genre,» après leur avoir vanté les avantages qu'ils auront à lire dans sa version « le philosophe arménien du cinquième siècle, qui semble dire à chaque ligne : philosophons pour une vie meilleure, en démontrant ici-bas la vérité des grandes vérités éternelles, » l'arméniste français définit l'idéal d'un parfait traducteur. C'est celui, nous assure-t-il, qui pousse la fidélité jusqu'à la servilité judaïque Mais si cette servilité consiste à rendre un texte, en interprétant un mot l'un après l'autre, sans se préoccuper du sens de la phrase et de la liaison des idées, sans s'inquiéter si une expression est susceptible des acceptions les plus diverses, si elle est propre ou figurée, noble ou triviale, consacrée par l'usage ou insolite dans la langue de l'original et dans celle où on le transporte, il est évident qu'une version n'est plus qu'un travail mécanique pour lequel l'intelligence de l'original n'est pas même nécessaire, encore moins une notion quelconque du sujet, et qu'il suffit, pour passer maître dans le métier de traducteur, d'avoir une teinture superficielle des règles les plus élémentaires de la grammaire, et d'être en état, tant bien que mal, de feuilleter le dictionnaire. Que sera-ce de cette servilité si elle prétend courber sous son niveau ces locutions tropiques, ces idiotismes qui constituent le caractère particulier et le génie d'une langue, et dont l'arménien est si riche? Ne serait-ce pas le procédé de l'écolier qui, rencontrant dans son thème cette tournure: faire bon marché de la gloire, écrirait : facere bonum mercatum de gloria, ou, dans sa version, cette élégante locution res angusta domi, mettrait: la chose étroite de la maison? Nous conviendrons volontiers qu'un pareil latiniste

III.

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