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Le très-cher frère, indocile et mutin,
Vous la rima très-richement en tain.

Un peu plus loin, Eznig énumère certains végétaux nuisibles ou bienfaisants pour l'homme, suivant le mode ou l'opportunité de leur application, et, dans le nombre, la plante appelée en arménien hazar. Le traducteur ayant à rendre ce mot, consulte son dictionnaire et trouve d'abord la signification de mille (nom de nombre); une analogie de son lui fait conclure aussitôt qu'il s'agit du mil ou millet, quoique le nom de cette plante, en arménien, soit goriag, et deux fois, dans la même page, il répète le mot mil. Mais s'il s'était donné la peine de remonter dans son dictionnaire une ligne plus haut, il aurait vu que le mot hazar, mille, est tout à fait distinct de hazar, laitue. Suivant l'opinion que rapporte Eznig, la semence, sermn, ou graine de laitue, broyée et mêlée avec de l'eau, est un anti-aphrodisiaque. Notre habile arméniste, sûr pour le coup de prendre son auteur en flagrant délit d'incontinence d'idées et de langage, se garde bien de rendre sermn par le sens de graine qu'il a dans ce passage; il n'hésite pas à y voir le sperma genitale viri, et de ce style qui lui est particulier il écrit tout au long : « et le sperme, délayé dans l'eau, si quelqu'un en boit, il le retire de la concupiscence (p. 43). » Quel est donc l'écolier qui, en consultant son dictionnaire arménien, n'aurait pas reconnu à l'instant que le participe passé ag'hatsial que porte le texte d'Eznig, ne signifie nul lement délayé, mais limé, broyé, trituré, et ne s'entend que des corps durs, réduits en poudre par l'action d'une force mécanique? Et, d'ailleurs, ne suffisait-il pas de faire attention que la mention de la graine de laitue au milieu d'une nomenclature composée d'un bout à l'autre de produits du règne végétal, exclut nécessairement toute idée d'une substance animale, pour éviter de tomber dans un aussi monstrueux contre-sens et de prêter à un pieux évêque ces pensées et ces expressions techniques et peu chastes auxquelles il ne songea jamais et à un peuple entier la pratique de

l'acte révoltant qu'implique cette absurde interprétation? Après les remarques que nous a suggérées la version française d'Eznig, on conclura sans doute avec nous que l'auteur arménien « malheureusement resté jusqu'ici inconnu de l'Europe, faute de traduction (Introd. p. 1) », ne le sera pas davantage, ou, pour parler plus exactement, le sera beaucoup moins, après la version fidèle jusqu'à la servilité judaïque dont l'Europe vient d'être gratifiée. Il est vrai qu'elle en sera dédommagée et pourra y suppléer par le commentaire qui nous est annoncé, et dans lequel Eznig sera comparé « avec le docteur d'Hippone, Tertullien, Origène et autres docteurs de l'Eglise, et avec les auteurs << grecs, persans et indous (Introd., p. 1 et 1). » Si l'Europe trouvait cet amalgame de noms tant soit peu disparate, qu'elle se rassure par la pensée que Messieurs du Charivari, en faisant leur premier article, doivent très-certainement avoir pris note sur leurs tablettes de cette promesse, et se chargeront de lui démontrer que ce n'est pas sans de très-savantes raisons que ces noms ont été ainsi réunis, et que le vers de Virgile

Et vitula tu dignus et hic....

convient au commentateur tout aussi bien qu'au traducteur. Que si le lecteur, après avoir pris une idée du livre dont nous venons de l'entretenir, se sent la velléité de connaître une autre production non moins importante de ce même traducteur, nous nous faisons un devoir de satisfaire ce désir, en lui rendant compte de la version de Moyse de Chorêne, revue sous les auspices des savants Mekhitharistes de Venise, et en comparant cet ouvrage dans sa rédaction avec ce qu'elle était avant les remaniements que des mains étrangères y ont apportés.

Péra, ce 24 janvier 1856.

ARMAND DE WICKERING,
Membre de plusieurs Sociétés savantes.

LA PORCELAINE CHEZ LES CHINOIS ET LES JAPONAIS

[Histoire et FABRICATION DE La porcelaine cHINOISE, ouvrage traduit du chinois par M. STANISLAS JULIEN, accompagné de notes et additions par M. ALPHONSE SALVÉTAT, et augmenté d'un Mémoire sur la porcelaine du Japon, traduit du japonais, par le Dr J. HOFFMANN. Paris, 1856, in-8o de 320+ CXXIII pp. avec cartes, frontisp. et 14 planches.]

Les premières porcelaines connues en Europe y furent importées par les Portugais, qui, dans le commencement du seizième siècle, sillonnaient déjà les mers de la Chine de leurs escadres aventureuses. Frappés de la transparence et de la beauté de ces poteries, comparables à la nacre, ils leur donnèrent le nom de PORCELLANA d'où est venu le mot Porcelaine. Comme il est important de ne pas confondre la Porcelaine proprement dite avec d'autres sortes de poteries, il paraît nécessaire, avant d'aller plus loin, d'en donner une définition aussi exacte que possible, et à cet effet nous consultons M. Brongniart, suivant lequel, << c'est une poterie dure, compacte, imperméable, dont la cassure, quoique un peu grenue, présente aussi, mais faiblement, le luisant du verre, et qui est essentiellement translucide, quelque faible que soit cette translucidité 1. »

L'art de la fabrication de la porcelaine paraît avoir été ignoré en Chine avant la dynastie des Han, empereurs chinois, qui commen cèrent à gouverner l'an 202 avant notre ère. Jusqu'à cette époque les Chinois, n'employaient que des vases en terre cuite, lesquels semblent remonter à une époque antérieure à l'avénement au trône de Chun (2255 avant J.-C.) qui, suivant le témoignage des écrivains chinois, avant de devenir empereur, fabriquait déjà de la poterie dans un lieu dépendant aujourd'hui de la province du Chan-tong.

Cependant une circonstance, assez bizarre du reste, est venue donner naissance à une conjecture tendant à faire 1 Traité des Arts céramiques. Paris, 1844, in-8°.

remonter l'antiquité de la porcelaine à dix-huit siècles avant notre ère. Un égyptologue, nommé Rosellini, a donné la description d'un petit vase de porcelaine chinoise « trouvé << par lui, dans un tombeau égyptien qui n'avait jamais été « ouvert auparavant, et dont la date remontait à une époque « pharaonique peu postérieure au dix-huitième siècle avant « Jésus-Christ 1. »

Comme on peut facilement le croire, cette fameuse découverte donna lieu à bien des hypothèses, à bien des rapprochements historiques. Les Chinois et les Egyptiens avaient eu des rapports dans la haute antiquité, et ces flacons (!) en étaient la preuve incontestable. Cette opinion commençait à se propager, et l'on se disposait à en faire le sujet de brillantes dissertations de toutes couleurs. La Bible, sans aucun doute, allait être mise en scène, et des considérations de poids allaient s'appuyer sur les fragiles flacons chinois découverts en Egypte, lorsque la voix de la critique est venue démolir les châteaux en Espagne des amis du merveilleux en fait de science.

On veut trouver un chaînon pour réunir, à une époque quelconque du domaine de l'histoire, des peuples qui semblent, aujourd'hui, former des types complétement distincts. Comme centre de grandes civilisations, les nations de l'Egypte, de la Chine et du Mexique, doivent avoir une communauté dans leurs origines nationales. Affaibli par un sentiment non encore défini et étiolé par un raisonnement avorté, poussé vers un but inconnu, on est porté à chercher, dans quelques faits épars, douteux et sans importance, la résolution des problèmes réservés aux esprits libres et profonds. On tire, à la légère, des conséquences puériles ou fabuleuses; et, pour défendre ses premières erreurs, on s'attaque aux progrès mêmes de la raison, en évoquant l'autorité d'un songe. On a émis la proposition de l'unité humaine, et, pour la prouver affirmativement, les fantasques

ROSELLINI, I monumenti dell Egitto, etc.; tom. 2, p. 337.

de la science moderne comparent machinalement des faces, des membres, des os, des mots, des lettres, des habits, des bouteilles ou autres choses analogues. L'esprit de l'homme seul est oublié; les arts ne rappellent plus à l'esprit l'immensité de son génie; le sublime qu'on y rencontre n'est plus une image, un reflet de son origine.

Mais revenons à nos petites bouteilles, qui ont causé de si grandes émotions parmi quelques savants. L'écriture avec laquelle sont tracés les caractères qui ornent ces flacons est connue en Chine sous le nom de thsao-chou (écriture cursive) et peut être assez heureusement comparée, avec le démotique des anciens Egyptiens, ou, si l'on considère son aspect confus et la difficulté de sa lecture, avec le chékesté des Persans. Suivant M. Stanislas Julien, elle a été inventée vers l'an 48 à 33 avant notre ère. Quant aux vers reproduits sur les bouteilles avec les caractères susnommés, ils ont été retrouvés dans les ouvrages de poètes vivant sous la dynastie des Thang (713 à 741). De là, il paraît naturel de conclure que ces bouteilles ne peuvent guère remonter à une époque quelque peu rapprochée du dix-huitième siècle avant Jésus-Christ. Cependant, on pourrait objecter qu'à une époque bien antérieure au premier siècle, il devait, vraisemblablement, exister une écriture cursive du genre du thsao; en outre, que les caractères tracés sur les flacons en question ne laissent pas que de différer de l'écriture thsao ordinaire; enfin, que les vers retrouvés par des Sien-seng chinois dans des poètes de la dynastie des Thang, peuvent bien avoir été extraits par ceux-ci de poëmes antérieurs à leur siècle, car l'on sait que ce genre de compilation n'est pas rare chez les écrivains chinois. Mais le meilleur argument contre l'antiquité des vases de porcelaine chinoise des tombeaux égyptiens, est l'aperçu historique que nous trouvons dans la préface que M. Stanislas Julien a mis en tête de son Histoire et fabrication de la porcelaine chinoise.

Il résulte des recherches de ce savant que la porcelaine

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