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gers. C'est lui qui soutient en tout et toujours la politique japonaise; c'est lui qui semble dire au régent lui-même ce qu'il a à faire, quoiqu'il ne paraisse être qu'un interprète. Aucun des mandarins n'ose dire un mot lorsqu'il parle, et je retrouve en lui les traits et toutes les manières des mandarins japonais que j'ai vus à Nanpazaki.

S'il faut en croire un Japonais que j'ai connu à Hong-Kong, le royaume de Lou-tchou serait une propriété du prince de Saxama et fournirait au Japon les plus belles cotonnades.

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Le désir de connaître les lois du royaume nous fit demander un jour à nos maîtres s'il serait possible de nous procurer leur Code. Une réponse négative ne se fit pas attendre longtemps. Cependant, disions-nous, pour que nous puissions nous conformer à vos lois et pour éviter de donner le mauvais exemple en ne les observant pas, il est nécessaire que nous les connaissions. -Oh! non, pas nécessaire, pas nécessaire, disait l'un d'eux; les étrangers n'ont pas besoin de connaître nos lois. Je ne connais donc rien des lois de Lou-tchou; je sais seulement que la police s'y fait avec une vigilance et une sévérité extrêmes, et que le pauvre peuple est l'esclave des nombreux mandarins qui passent le temps à fumer et à boire le thé. S'ils travaillent, c'est pour étudier la langue chinoise, qui paraît être la langue officielle. Le gouvernement tient tant à ce que les étrangers ne connaissent rien de ce qui concerne leur pays, que nos mandarins prétendent ne savoir ni parler, ni écrire le japonais. Nous dûmes mettre en jeu la vanité d'un jeune écolier de quinze à seize ans, pour lui faire écrire son nom et les nôtres en caractères kata-kana, et pour prouver ensuite à nos maîtres qu'ils étaient des menteurs, sans toutefois compromettre notre savant écolier.

La langue de Lou-tchou est un dialecte de la langue japonaise, caractérisé par des terminaisons et une prononciation différentes. Les verbes, du moins dans la langue parlée, se terminent en yong (ng est un son nasal), yiong, chong. Par exemple: tsoukouyong « faire »; nousyiong

<< faire monter »; ikouchong « prévenir ». Le futur a aussi une forme particulière; exemple: tsoukouroudi hong « je ferai » ; ikkoudi shung « j'irai » ; ami fouyong « il pleut ». J'ai toujours entendu nos maîtres employer waga comme pronom de la première personne, et yaga et yaya pour le pronom de la deuxième.

Je ne sais si les Lou-tchouans, dans leurs relations avec leurs compatriotes, font un grand usage du mensonge; mais on dirait (et je suis tenté de le croire) que le gouvernement a dit à ses sujets : « Trompez les étrangers, et, pour les tromper, mentez et mentez encore... » Aussi, croiriez-vous, cher monsieur, que je suis arrivé deux fois à l'improviste au milieu du marché de Napa, et qu'en y regardant de tous mes yeux, je ne pus apercevoir une seule pièce de monnaie. J'ignorerais complétement que ce peuple se servît de monnaies, si je n'avais pas trouvé une sapèque, semblable à celles de Chine, dans les salines qui séparent le gros village de Tumaï de la ville de Napa.

Un mandarin me soutenait qu'à Lou-tchou il n'y avait pas d'argent, pas même de sapèques.

-Tu es un menteur, lui dis-je, car en voici une que j'ai trouvée dans les salines.

Ah! oui..., répondit-il, nous en avons..., mais bien peu!

J'ignore s'ils ont des pièces d'argent. Les Japonais en ont qui sont triangulaires; j'en ai vu une du poids d'une demi-piastre environ.

Vous êtes peut-être étonné qu'un mandarin ne m'ait pas proposé un duel, lorsque je lui fis l'injure de l'appeler menteur? Ne craignez pas les Lou-tchouans, plus raisonnables sous ce rapport que bien des Européens qui n'ont pas le courage de supporter un mot, et qui sont assez fous pour trouver dans ce cas de l'honneur à tuer ou à se faire tuer, savent accepter le titre de menteur aussi facilement qu'ils savent le mériter. C'est ainsi que, plusieurs fois, il nous est arrivé de prouver honnêtement à des mandarins

qu'ils étaient des menteurs; alors, au lieu de se fàcher et de faire la mine, ils se regardaient en souriant et disaient : << Sont-ils habiles ces Français-là, ils devinent tout ! >>

Le caractère grave et pacifique des Lou-tchouans est vraiment remarquable; s'ils traitent une affaire difficile, dans laquelle ils auraient droit de parler en maîtres et de s'animer, ils ne sortent jamais des bornes de la plus grande convenance ni dans leurs paroles, ni dans le ton et les manières. Pendant deux mois et demi, je n'ai vu et en- tendu qu'un seul individu se fâcher et crier. D'ailleurs les bonnes et vénérables figures des habitants, surtout celles des vieillards qui sont nombreux, m'indiqueraient suffisamment que la passion de la colère qui défigure si souvent les traits de l'homme, leur est généralement inconnue, tandis que la bonté et la prévenance feraient, pour ainsi dire, le fond de leur nature. Si les étrangers ont à se plaindre de quelques petites taquineries, s'ils voient encore fuir devant eux les insulaires, surtout les femmes, il ne faut s'en prendre qu'au gouvernement.

Le costume de ce peuple diffère très-peu de celui des Japonais. Comme ces derniers les Lou- tchouans rasent une partie de leurs cheveux et ramènent les autres en toupet, fixé sur le sommet de la tête avec de grandes et fortes aiguilles à étoiles en or, en argent ou en alliage moins précieux, suivant la position sociale de chaque individu. Les Lou-tchouans rasent le haut de la tête en forme de tonsure, tandis que les Japonais rasent le sommet et le devant jusqu'au front. Si quelques dames françaises allaient à Lou-tchou, elles pourraient être mortifiées en voyant les hommes leur faire concurrence pour les soins accordés à la chevelure, tandis que les femmes (du moins celles du peuple), qui conservent tous leurs cheveux, se laissent aller à une négligence qui ne saurait relever leurs traits bien communs, pour en faire des beautés. Ajoutez, à cette chevelure trop négligée, une espèce de robe de chambre en coton, souvent sale, ouverte par-devant, descendant jus

qu'au mollet et vous pourrez dire, sans vous tromper, que bien des Lou-tchouannes doivent être dégoûtantes à voir.

Le pantalón, la chemise et les bas sont des objets de luxe que les mandarins même ne se permettent que dans de grandes circonstances. Les hommes n'ont ordinairement qu'une robe comme celles des femmes, mais plus longue et fermée par une ceinture, de sorte qu'ils ne sont pas obligés, comme ces dernières, d'avoir toujours les mains à la robe pour la faire croiser par devant et pour soustraire à la vue des passants le sale langouti qui recouvre leur nudité.

Les chaussures ne sont pas plus brillantes que les habits. Ce sont des espèces de sandales en paille seulement, ou bien en paille avec une semelle en bois plus ou moins épaisse. Ces souliers sont retenus par une espèce de corde également en paille, passant par-dessus le pied, et, par une cheville, fixée sur la semelle et supérieurement à la corde, de manière à se trouver entre le gros orteil et son voisin.

Au Japon, on voit un grand nombre d'hommes et de jeunes gens portant le sabre et le poignard, tandis qu'à Lou-tchou tous, sans exception, marchent sans armes. Il n'y en a pas dans l'île, si l'on en croit les mandarins. Je n'en ai jamais vu. Néanmoins, le fort de l'entrée de la petite rivière de Napa semble avoir été préparé pour en recevoir. Ce faible peuple, ne pouvant compter sur la force pour se défendre, a espéré que sa faiblesse et sa pauvreté, réelle ou supposée, lui serviraient d'armes contre les étrangers. »

L. FURET,

Missionnaire apostolique, supérieur de la mission au Japon et aux îles Lou-tchou; membre honoraire de la Société zoologique d'acclimatation et de la Société orientale de France.

(La fin au prochain numéro.)

COLONISATION EXTENSIVE

EN ASIE MINEURE.

Un voyageur sérieux, qui vient de visiter plusieurs parties de l'Anatolie, veut bien nous communiquer des notes intéressantes sur le plan d'une grande entreprise agricole à fonder dans l'Asie-Mineure.

M. G. Eug. Simon est un ancien élève de l'Institut agronomique de Versailles et membre de la Société de Botanique de France; il a pu, par ses connaissances spéciales, apprécier mûrement les difficultés d'un aussi vaste et utile projet. Cette étude, ainsi que nos lecteurs pourront en juger, atteste un esprit observateur et sagace, qui sait mettre en pratique les savantes théories des écoles. Ancien chancelier du consulat de France à Erzeroum, M. Simon n'est pas étranger non plus aux influences climatériques du pays, qui jouent un si grand rôle dans l'économie agricole.

En attendant le moment de réaliser le plan développé dans l'étude que nous allons publier, M. Simon s'est mis à l'œuvre dans une ferme appartenant à la nation arménienne, entre Iédi-Koullé et Balyqly.

Le gouvernement impérial se montre, nous assure-t-on, fort dispasé à aider ces utiles tentatives. Il serait question de mettre à la disposition de M. Simon les belles constructions de la ferme-école qui avait été fondée, il y a quelques années, à Zeïtoun-bournou. Ce serait le meilleur moyen d'utiliser ce bei établissement et de l'utiliser d'une façon productive pour l'Etat.

En Orient, au centre de l'ancien continent, se trouve une vaste contrée qui, à cause de toutes les heureuses conditions dont la nature l'a favorisée, me semble mériter quelqu'attention des peuples industriels et commerçants. C'est l'Asie-Mineure ou l'Anatolie proprement dite.

Adossée à la fois à l'Europe et à l'Asie, à l'Europe par les provinces du Caucase, à l'Asie par la Perse et la Syrie, en s'avançant entre la mer Noire au nord de la mer Méditerranée au sud, elle se relie encore à l'Europe par le Bosphore et Scutari et à l'Afrique par la Syrie et le canal ou l'isthme de Suez, dont elle n'est qu'à une petite distance.

Cependant, sans rien changer à sa position générale et essentielle, on peut la circonscrire dans des limites un peu plus étroites en abandonnant au sud la Syrie, à l'est, tout le pays au-delà de l'Euphrate et au nord les neigeux plateaux de la haute Arménie.

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