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HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE ARABE

AU SOUDAN.

La région qui s'étend au-delà du Sahara, le pays de la soif, comme disent les Arabes, est enveloppée d'une sorte de mystère que ne peuvent expliquer les intrépides voyageurs qui s'y sont aventurés depuis un siècle. Tout ce qu'on en sait se rapporte au monde physique. Nous possédons par exemple des documents sur les productions du sol et sur le commerce; nous avons des renseignements sur les pratiques religieuses et sur les mœurs des indigènes : mais de leur vie morale et intellectuelle, quelques faibles notions nous sont à peine parvenues. Ibn-Batoutah est peut-être le seul écrivain connu qui nous ait transmis, dans son Itinéraire, une description où l'on suive la marche lointaine de l'islamisme et de sa littérature, à travers les solitudes de l'Afrique centrale. Il y a des sectateurs de Mahomet, par conséquent des écoles pour le Koran dans Tombouctou même ; c'est tout ce que nous avons appris. Et la science serait encore réduite, il faut bien le dire, à ces éléments médiocres, sans la découverte du livre précieux d'Ahmed-Baba, qui forme la galerie des docteurs les plus éminents de l'Afrique jusqu'au milieu du seizième siècle, sous le titre de Tekmilet-ed-dibadje. « complément du Dibadje d'Ibn-Ferhoun. » Ce recueil biographique, par la nature même de son objet, nécessite une étude particulière ; et ce qui en rend l'usage plus difficile, c'est qu'il n'est accompagné d'aucun index. Il a donc fallu le lire à fond et la plume à la main, pour noter les noms des missionnaires musulmans que l'esprit de prosélytisme a poussés vers les oasis perdues dans l'immensité du Soudan, à dater du treizième siècle.

Loin de nous la prétention de reconstituer l'histoire de la littérature arabe chez les nègres; nos ressources sont encore trop faibles, et surtout trop peu nombreuses, pour

arriver au but. Ce que nous entreprenons actuellement, sur la foi d'un docteur indigène, qui avait beaucoup lu et beaucoup voyagé, c'est d'esquisser les progrès du Koran parmi des populations languissant dans l'inertie de la simple nature, séparées, pour ainsi dire, du reste de l'univers, aussi ignorantes qu'ignorées; de constater l'influence exercée sur elles par l'islamisme, d'énumérer les médarsa (écoles), où l'on enseignait en même temps la langue de Mahomet, sa doctrine et son code, à des hommes abrutis par le fétichisme; enfin, d'expliquer la nomenclature des faits par la nomenclature des hommes et de leurs écrits; méthode défectueuse sans doute, mais conforme au modèle que nous avons sous les yeux, le Dictionnaire biographique d'Ahmed-Baba, le Tombouctien.

Le premier des vingt docteurs dont nous lui empruntons l'histoire, passa la plus grande partie de sa vie dans une des oasis les plus avancées du désert, avant d'aller au Soudan, L'on jugera de son ardeur pour la propagande par les excès qu'il avait commis auparavant au sein de la république de Touat.

I. Biographie de Mohammed-el-Mrili, missionnaire et professeur de droit musulman au Soudan pendant le quinzième siècle.

Mohammed, fils d'Abd-el-Krime et petit-fils de Mohammed-el-Mrili, était de Tlemcen. Il joignit à une intelligence peu commune la passion de l'étude appliquée au dogme, et se distingua autant par sa piété que par son érudition. Ce qui est vraiment digne de remarque, c'est que les efforts de sa raison n'ont jamais atténué son respect, je dirai même son amour, pour la Sounna, qui est la loi du prophète, ni modifié en rien sa haine contre les infidèles. Pendant son séjour dans le district de Touat, où l'autorité de sa parole lui avait acquis une influence énorme sur la Djema'a (assemblée des notables), il provoqua la persécution des Juifs. Bien plus, non content de les avoir réduits à l'avilissement en leur arrachant toute espèce de privilége,

il excita le peuple à les massacrer et à détruire leurs synagogues; mais Abd-Allah-el-Asnouni, alors cadi du chef-lieu de la république berbère, désapprouva hautement ces violences, qui ne pouvaient être justifiées que par un excès de fanatisme. Les oulémas de Fez, de Tunis et de Tlemcen furent consultés sur la question. Il y en eut deux qui donnèrent raison à El-Mrili. L'un d'eux, l'iman de Ténès, Mohammed-ben-Abd-el-Djelil, auquel nous devons l'histoire des Beni-Zian, rédigea sur la légitimité de l'intolérance un long mémoire, dont j'ai parlé dans une notice en forme de lettre (Journal asiatique, novembre-décembre 1854, p. 585); l'autre, Mohammed-ben-Chaïb-es-Senouci (Voir le Journal asiatique, février 1854), adressa au héros de Touat une épître commençant par ces mots : «< Honneur à notre frère et ami, Abou-Abd-Allah-el-Mrili, le zélé docteur, qui, dans ces temps de corruption, a trouvé le courage de faire éclater sa foi au grand jour, en s'élevant contre les abus et en ramenant les esprits attiédis au sentiment de la vraie religion. Ce sera une gloire pour lui de s'être opposé avec tant d'énergie aux entreprises de la nation juive (que Dieu l'écrase de son mépris!), et d'avoir détruit la synagogue qu'elle avait osé bâtir sur une terre musulmane, Lui seul a eu la constance de tenir tête aux gens que les intérêts mondains rendent sourds à l'appel du prophète (ehel el-hawa), et de les déférer au tribunal des oulémas. Or, je le déclare ici, personne parmi eux n'a mieux compris l'esprit de la question que l'iman de Ténès; personne n'a montré plus d'indépendance dans la controverse; personne, enfin, n'a puisé dans sa foi un mépris plus sincère des vaines considérations... >>

Mohammed-ben-Abd-el-Djelil et Senouci ne furent pas les seuls qui prirent part à cette querelle religieuse; il y eut encore Mohammed-er-Rossa'a, mufti de Tunis; Aïça-elMouâci, mufti de Fez; Ibn-Zakaria, mufti de Tlemcen, et deux autres docteurs de la même ville, qui sont le cadi Yahia-benabi-Barkat-el-Roumâri et Abd-Errahmane-ben-Sobo'ne.

Dès que la décision de l'iman de Ténès fut remise à Touat, entre les mains d'El-Mrili, celui-ci annonça le triomphe de son opinion à ses partisans, et leur ordonna de démolir le temple; mais ce qu'il faut déplorer, c'est que l'excès de son zèle l'entraîna à mettre à prix la vie des Juifs, et à payer de sa bourse une prime de sept nitkals par tête, environ cent francs de notre monnaie.

Après cet horrible massacre, à l'occasion duquel il avait composé contre les Juifs et leurs partisans un chant qui commence par les louanges du Prophète, El-Mrili quitta Touat pour s'enfoncer dans le cœur du Soudan. Il parcourut successivement Tekra, Kache'ne et Kanou. Dans les deux premières villes il enseigna publiquement la science du Koran; dans l'autre, il fit un cours de jurisprudence. De là il passa à Kar'ou ou Tchiar'ou, suivant la prononciation locale, et fut invité par El-Hadjj-Mohammed, qui en était le gouverneur, à rédiger une note sur différentes questions de droit. Il était depuis peu dans cette localité, lorsqu'on vint lui apprendre que son fils avait été assassiné par les Juifs de Touat. Il repartit, et mourut presque au moment de son arrivée. On a répandu le bruit qu'un Juif qui avait uriné sur sa tombe fut frappé de cécité.

Au rapport de ses contemporains, El-Mrili était d'une nature hardie et entreprenante. Animé d'un zèle outré pour la doctrine du Koran, il employait son éloquence à fanatiser les populations ignorantes du désert; et c'est peut-être à son époque qu'il faut placer l'origine de cet esprit d'intolérance qui a fermé l'Afrique centrale aux bienfaits de la civilisation, en repoussant les races plus éclairées et plus industrieuses.

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Le prédicateur de Touat eut pour maître le célèbre iman Abd-Errahmane-et-Tsaalebi, dont les cendres reposent à Alger, dans la mosquée de Bab-el-Oued, et pour élève, El-Aakib-el-Ansamani. Ses productions sont assez nombreuses. Voici le titre de celles qui étaient parvenues à la connaissance d'Ahmed-Baba, le Tombouctien :

1° Mesbah el-arouah fi ouçoul el-flah, « la Lampe des âmes ou Explication des principes du bien. » Deux cahiers. Cet opuscule fut l'objet d'une critique sévère de la part de Senouci et d'Ibn-Razi.

2° Mour'ni en-nebil fi charah mokhtaçar khelil, « Manuel suffisant pour le thaleb intelligent, ou Commentaire du Précis de jurisprudence de Sidi-Khelil. » Le texte y est expliqué mot par mot (memzoudje « amalgamé ») et d'une manière excessivement concise; mais le livre ne va pas plus loin que le chapitre intitulé: El-kasm beïn ez-zandjate, « Droits respectifs des femmes unies à un même mari. »

3o Ikhil mour'ni en-nebil, « Commentaire du manuel suffisant pour le thaleb intelligent... » Ce travail, qui est une simple glose, resta inachevé.

4° Commentaire du code des ventes à terme d'Ibn-elHâdjeb, avec des explications tirées d'Ibn-Abd-es-Slâme et de Sidi-Khelil.

5o Talif fi'l-menciate, « Sur la manière de réparer l'omission des prières satisfactoires. »

6 Abrégé du Telkhiss el-meftah de Kazouini; figures de rhétorique, etc.

7° Commentaire de ce même abrégé.

8° Meftah en-nadhar fi eulm el-hadits, « La clef de l'examen ou Science des traditions mohammédiennes. » Dans ce livre, El-Mrili critique certains passages du Takrib d'En-Nawawi.

9° Commentaire du traité de logique d'El-Khaunadji, intitulé: El-Djoumel « l'Ensemble. »>

10° Prolégomènes de la logique.

14° La science des faits de l'intelligence humaine, de ses lois, et des règles qui doivent en assurer l'exercice; petit poëme en vers du mètre redjez.

12o Trois commentaires du poëme précédent; le grand, le petit et le moyen.

13° Tenbih el-ráfeline an makar el-lebsine bido'ua mekâ mat el-sârefine, « Avis aux gens de bonne foi, qui se laissent duper par les prétendus marabouts. » Un seul cahier.

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