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Ainsi réduite, l'Asie-Mineure occupe encore une étendue de 150 lieues en largeur et de 250 en longueur susceptible de devenir en peu de temps le point de transit le plus important de l'Europe, de l'Asie et de l'Afrique.

Si maintenant nous l'examinons d'une manière plus intime, nous verrons qu'elle n'est pas moins heureusement douée sous le rapport industriel et agricole.

Sa situation astronomique, qui la place entre les 36° et 42o de latitude et entre les 24 et 39° de longitude, devrait en faire un des pays les plus chauds si son climat n'était tempéré à l'intérieur par de nombreuses montagnes couvertes d'épaisses forêts dépendant de la chaine du Taurus, qui contribuent à donner au pays un aspect et une végétation aussi pittoresques que variés.

Depuis le caféier, qui peut venir jusqu'à Tarsous, depuis le cotonnier, dont la culture s'étend jusqu'à Amasia, jusqu'au sapin qui croît dans les neiges, l'Asie-Mineure nous offre en effet toutes les productions agricoles.

D'ailleurs, berceau du genre humain, elle est aussi regardée par beaucoup de naturalistes comme celui du règne végétal. On y trouve à l'état, je ne dirai pas sauvage, mais inculte, le palmier, l'abricotier, le pêcher, la vigne, le figuier dont les excellents fruits forment avec le lin, le coton l'opium, la noix de galle, la thérébentine, le storax, d'excellentes matières d'exportation, bien que la culture de ces différents végétaux présente beaucoup d'imperfection.

Quant au règne animal, on peut dire que nulle part il n'offre une réunion d'animaux domestiques et une absence d'animaux malfaisants aussi complète qu'en Asie-Mineure. Le bœuf, le buffle, le cheval, l'âne, le mulet, le chameau et le dromadaire même, servent au transport des marchandises et ajoutent à l'exportation des soies de Brousse, de Smyrne et d'Amasia, des poils de chèvres d'Angora, des laines des immenses troupeaux de mouton, un considérable contingent de poils et de cuirs.

Les mines même fournissent le leur en cuivre et en soude,

quoiqu'en plus petite quantité. Mais il est certain qu'on en pourrait obtenir de nouveaux et bien plus importants produits, si celles qui sont déjà exploitées l'étaient d'une manière plus industrielle et plus économique, et si l'on exploitait d'autres mines déjà connues de fer, de bitume, de charbon de terre et d'argent.

La plupart de ces matières sont exportées brutes et à dos de mulets, ou bien, pendant l'été, au moyen d'arabas, la Turquie ne possédant ni une route carrossable en toutes saisons, ni aucune fabrique qui mérite la peine d'être citée, si ce n'est les filatures de soie de Brousse et la fabrique de poudre, fondées et dirigées par des Arméniens.

Les plaines, partout d'une fécondité extraordinaire telle, qu'elles rapportent, après un seul et mauvais labour, 15 à 20 hectolitres de blé par hectare, sont arrosées par une grande quantité de cours d'eau, dont quelques-uns sont flottables et pourraient être rendus navigables à peu de frais.

Enfin, la population s'élève à 6,000,000 d'âmes environ qui se répartissent dans les différentes villes et ses environs, telles que Trébisonde, Samsoun, Sinope, sur la mer Noire; Scutari, sur le Bosphore; les Dardanelles, Smyrne, Satalia, Tarsous, sur la Méditerranée; Malathia, Sivas, Tosca, Erzeroum, Marach, Kara-hissar, Angora, Amasia, Marsivan, Tokat et Césarée, dans l'intérieur.

EMPLACEMENT DE LA COLONIE.

Après ce coup d'œil général jeté sur l'ensemble du pays que je propose aux capitaux et à l'industrie de la France, il convient maintenant d'examiner quels seraient les endroits où il serait le plus avantageux de jeter les premiers fondements d'une colonie, si j'étais assez heureux pour que cette notice inspirât à quelque capitaliste ou à quelque société l'intention de former en Asie-Mineure un établissement agricole et industriel.

Mais auparavant je dois dire, ce à quoi l'on s'attend du reste, qu'il ne faudrait, pour le moment, compter sur au

cun indigène pour diriger des travaux d'aucune espèce. L'on devrait faire venir de France tous les directeurs, ingénieurs et contre-maîtres, ou profiter de ceux que les circonstances ont déjà amenés à proximités des lieux.

Je reviendrai sur ce sujet que je n'ai abordé que parce qu'il doit entrer dans les circonstances que nous allons avoir à passer en revue pour le choix du premier point de colonisation.

En effet, le défaut de voies de communications que j'ai signalé tout à l'heure porterait naturellement à choisir l'une des villes du littoral de la mer Noire ou de la Médi

terranée, si l'on ne réfléchissait que bien peu des points du littoral sont exempts de fièvres miasmatiques qui en interdisent le séjour aux étrangers, fièvres que les consuls européens qui habitent ces villes ont bien de la peine à éviter, malgré les conditions toutes spéciales dans lesquelles ils ont la faculté de se placer et qu'il n'est plus possible d'observer lorsqu'il s'agit d'un grand nombre d'individus.

Aussi Samsoun et Tarsous, foyers de fièvres mortelles pendant l'été, me semblent-ils devoir être exclus pour cette seule raison.

Bien que le climat de Smyrne soit moins dangereux, on sait cependant que c'est à son insalubrité qu'il faut attribuer, en grande partie, l'échec de la colonisation tentée près de cette ville par M. de Lamartine et de celle, tentée avant lui, par M. Delorches. D'ailleurs, Smyrne ne mérite plus son ancienne réputation; depuis quinze ans son commerce décline tous les jours. Sa population n'est plus aujourd'hui que de 70 à 80,000 âmes, au lieu de 120,000, et l'on assure qu'avant une vingtaine d'années, son port ne sera plus accessible qu'aux petits bâtiments, par suite des atterrissements produits par les alluvions de l'Hermus. L'attention du gouvernement devrait se porter sérieusement sur cette question.

Reste enfin, comme ville importante et digne d'attirer les regards, Scutari. Car, quant à Trébisonde, placée à l'extré

mité de la mer Noire, à quelques heures seulement des hautes et froides montagnes de l'Arménie, cette ville me paraît trop resserrée pour devenir, malgré son courant commercial, le siége de vastes établissements.

Sans contester à Scutari les avantages qui peuvent résulter de son voisinage de la capitale de la Turquie, je dois cependant faire remarquer que ce voisinage fait presque sa seule importance; qu'il est très-éloigné des principaux centres de production et qu'il n'y aurait par conséquent presque aucun avantage à transformer en produits fabriqués les matières premières venues de si longues distances. En outre, Scutari n'est, à proprement parler, qu'un quartier de Constantinople et la main-d'œuvre, ainsi que les denrées de première nécessité, y sont à un prix aussi élevé. Enfin, et pour ne rien nous dissimuler, la colonie ne perdrait-elle pas à un voisinage si immédiat, une certaine partie de sa liberté d'action? Scutari présente donc à la fois trop peu d'avantages et trop d'inconvénients pour que nous nous y arrêtions plus longtemps.

Par la critique que nous venons de faire des villes du littoral qui pouvaient de prime-abord attirer notre intérêt, nous nous sommes à peu près rendu compte des conditions principales qu'il serait désirable de rencontrer dans la ville près de laquelle il faudrait établir notre colonie, et qui sont: la salubrité du climat, la population nombreuse, le mouvement commercial important, la production abondante, les facilités de communications, et les chances d'avenir encourageantes.

Forcés que nous sommes d'abandonner les côtes et de nous retirer dans l'intérieur, la première ville qui s'offre à nos regards, comme étant à la fois le plus rapprochée des centres de productions, de la mer et de Constantinople, est Amasia, à 20 heures environ du port de Samsoun.

Amasia est située à l'extrémité d'une gorge très-resserrée, de deux lieues de longueur environ, fermée par d'immenses roches taillées à pic et qui donnent à la ville

avec le fleuve qui la traverse l'aspect le plus pittoresque. Dès qu'on est entré dans cette gorge, le regard est enchaîné par le panorama qui se déroule devant soi; à chaque pas, c'est un site nouveau; au fur et à mesure que l'on s'avance, la scène change et présente ici des vergers et des hameaux à la manière suisse, là des plantations de mûriers et des magnaneries; plus loin des filets d'eau tombent en cascade du haut des rochers, tout enfin semble réuni pour enchanter et séduire le voyageur. Tels étaient du moins les sentiments que nous éprouvions lorsque nous entrâmes le 2 mai 1854 dans la ville d'Amasia, qui paraît tout à coup assise ou plutôt accroupie sur les flancs d'une montagne au sommet de laquelle se trouve une ancienne forteresse qui servit de prison à quelques Français pendant la guerre d'Egypte.

Bien que nous fussions à peine au printemps, les arbres étaient complétement couverts de feuilles, la plupart des fruits étaient déjà formés et les fleurs répandaient dans l'air de délicieux parfums.

A un amateur d'archéologie, les monuments d'Amasia, offriraient, je crois, beaucoup d'intérêt, mais je les passerai d'autant plus volontiers sous silence qu'ils ont été beaucoup mieux décrits que je ne le saurais faire par MM. Boré et Texier, et je rentrerai tout de suite dans le sujet qui nous occupe.

Amasia compte de 70 à 75,000 habitants, dont 60 à 64,000 musulmans, 10,000 arméniens et 1,000 grecs. Par la position qu'elle occupe, Amasia est la clef d'une grande quantité de villes et de villages qui l'environnent dans un rayon de dix à cinquante lieues et dont je citerai les plus importants :

Niksar population totale 25,000 dont 4,000 arméniens.

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