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courts, laids et d'un naturel féroce. Ces derniers, traqués, poursuivis même par les Papouas, et qui ont dû se réfugier dans les forêts et les parties inaccessibles des montagnes de leur ancienne patrie (il y en a en Australie, dans la Nouvelle-Guinée, dans la terre de Diemen, à Timor, à Louçon, etc.), où ils vivent, dit-on, à la manière des singes, constituent-ils réellement une espèce inférieure dans le genre humain? Nous ne le pensons pas, la disproportion de leurs membres pouvant résulter des exercices que leur impose la vie sauvage, et leur piètre apparence, des misères qui en sont la suite. Du reste, la race malaye a aussi, et par les mêmes motifs sans doute, ses sauvages aux longues oreilles (ses alfouros), Il y a des alfouros rouges à Bouro, jaunes à Samoudra, noirs à Mindanao, et ceux-là sont nos Andamènes. Parias de toutes les couleurs, leurs formes dégradées, leur constitution appauvrie, qui sont l'ouvrage des races dominantes, prouvent à quelles erreurs, à quelles infamies (dans certains lieux on va à la chasse de l'homme des bois) une science sans judicieuse pourrait pousser l'humanité, en appuyant le sot et orgueilleux préjugé de l'infériorité relative des races.

Quant aux Papous, malgré le portrait peu flatté qu'on a fait de quelques-uns, ils vivent pour la plupart en tribus gouvernées par des chefs; ils ont le tatouage1, c'est-a-dire la pudeur et la loyauté, car, dans sa signification la plus simple, se tatouer, c'est à la fois se vêtir et s'imprimer un signe de reconnaissance. De même, dans une vue d'honneur, les Nouveaux-Calédoniens emploient des masques de guerre, non pour commettre des crimes avec impunité, comme on l'a supposé trop légèrement, mais pour que le hasard seul décide du choix des champions dans les combats.

Ils ont des arts, témoins leurs idoles, les effigies qu'ils portent, leurs coussinets de bois ornés de têtes de sphynx (Nouvelle-Guinée), les sculptures élégantes de leurs pirogues (île Bouka), les vases de terre que leurs femmes font cuire, la guimbarde des Papous, leurs boucliers (archipel de la Louisiade), la composition inflammable qu'ils lancèrent contre Cook 2, etc. - Ils brûlent ou

1 Il en est de deux sortes: le tatouage par dessins piqués, qui peut prendre un sens hieroglyphique, un caractère religieux, et le tatouage par entailles, par cicatrices, qui n'est pas encore un art et signale dans l'homme qui s'en recouvre le mépris de la douleur, le rejet d'une vie paisible et efféminée. On pourrait encore y joindre les différentes huiles odorantes et enduits colorés qui sont en général ou une manière de parure, ou un moyen de se garantir de la piqûre de certains insectes.

2 Cette composition, espèce de feu grégeois, ou de poudre non comprimée qui, faute de fusil, brûlait sans détoner, est un nouvel argument en faveur

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enterrent leurs morts, leur élèvent des monuments (de feuillage pour l'ordinaire, selon le goût du pays), et parés de bouquets de fleurs qui leur pendent ou du nez, qu'ils percent (gna-noung) pour y passer un os, ou du réseau qui emprisonne leur chevelure, ils professent des rites sacrés dans lesquels une étude plus approfondie signalerait, comme dans toutes les religions possibles, un sens éminemment spiritualiste. Ils ont donc une lueur de civilisation. Mais est-elle, chez eux, émergente, primesautière? ou ne nous présente-t-elle,-ce que certains caractères1 de leurs langues et leurs coutumes donneraient à penser, que des débris d'anciennes civilisations détruites? On sait que l'Ethiopie, si elle n'en fut pas le point de départ, partagea du moins la savante et encore si mystérieuse civilisation de l'Egypte, et que cette civilisation, à partir de Thèbes (fondée antérieurement à Memphis), descendit le cours du Nil, avec sa religion et ses arts, indices d'un commerce immense. Pourquoi donc, à ces époques reculées, le sang noir qui civilisait l'Afrique n'aurait-il pas déversé sur les terres du Grand-Océan ses populations et son génie? On arguerait en vain des vents alizés, qui soufflaut vers l'ouest, permettraient plutôt aux Océaniens de visiter l'Afrique qu'aux Africains de se transporter en Océanie: la latitude de l'Australie, en supposant qu'elle fût le premier point d'exploration, aurait levé cette difficulté. Du reste, la navigation, chez les anciens, devait être extrêmement perfectionnée, si l'on en juge et par analogie à leurs arts, et par les besoins de leur commerce, et par les périples qu'exécutèrent les Egyptiens, et enfin par les hardis voyages des Phéniciens devenus leurs émules. Pourquoi donc les anciens Egyptiens 2, desquels les Papous ont conservé des communications avec la Chine, comme aussi l'usage où sont les habitants de l'île de Tana de déposer des ignames grillés sur la tombe des morts indiquerait des rapports avec l'Inde.

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A Sidney, en Australie, la langue est harmonieuse et expressive: c'est la langue de l'art. A Mallikolo, elle s'exprime par des sifflements, des battements de langue analogues aux Crikqs de la Cafrerie : c'est une langue de force. Enfin dans la Nouvelle-Irlande, on trouve des mots gradués pour le sens et formés à la manière de notre nomenclature chimique; laissant de côté l'image de sentiment, qui est celle que les langues expriment d'ordinaire, ces sauvages décrivent. Ils diront par exemple : limane, bras — sise limane, avant-bras — bula limane, main au limane, doigt petra limane, ongles, etc. C'est la langue de la raison. Il y a là des analogies avec l'Afrique, avec l'Asie dont les langues furent toujours ce qu'il y eut de plus doux au monde : une lyre pour chanter les dieux et les amours. Avec la Chine enfin, qui, dans la composition de ses caractères, suit une marche analogue, par l'adjonction des traits additionnels.

2 De race rouge, selon Champollion, comme le sont les Tagala, une partie

le sphynx; pourquoi les Indes brahmanique et bouddhique, qui s'élevèrent à un si haut degré de puissance et dont il reste des temples en Australie (M. Henderson en découvrit un en 1830); pourquoi les Chinois, qui connaissaient la boussole 2635 ans avant Jésus-Christ, qui de nos jours remplissent les archipels de l'Inde (ils ont fourni les Redjang et les Lampong de Samoudra), et desquels, sans doute, certains insulaires de Mélanésie ont pris la coutume de corder leurs cheveux; pourquoi tous ces grands peuples n'auraient-ils pas, à leur tour, porté leurs mœurs et leur race, leurs armes peut-être, chez ces premières colonisatious africaines?

Cette hypothèse d'une civilisation primitive de la race noire se trouve appuyée par analogie - des judicieuses et laborieuses recherches de M. Moerenhout, ce digne missionnaire sans préjugés, qui a reconnu chez la race brune polynésienne un système religieux uniforme dans les différentes îles qu'elle occupe Magnifique dans ses conceptions, ce système part d'un DIEU UNIQUE et en fait dériver par voie de création volontaire la nature et l'humanité. M. Moerenhout s'est efforcé de reconstruire à l'aide des traditions ce sublime élan de la théologie naïve des Océaniens, qui ne le cède, ni pour la poésie, ni pour la finesse, à celle d'aucun peuple. Il en conclut que le foyer civilisateur de la race polynésienne a dû se trouver sur quelque grande terre submergée maintenant et dont les insulaires actuels n'occuperaient que les débris. Appliquant à la race noire, comme nous venons de le faire, ce qu'il a constaté pour la race brune, on arrive à concevoir, par delà les temps historiques, une double et ancienne civilisation existant dans les deux races, que ces civilisations se soient développées simultanément, ou que l'une ait succédé à l'autre. Reste à déterminer si les foyers de ces civilisations sont indigènes ou exotiques. C'est à l'histoire, à la linguistique, qui suivent les migrations et les influences des peuples; c'est à la géologie, qui retrouve sous le sol et jusque dans la profondeur des mers les linéaments des anciennes géographies, à éclairer les immenses et importantes questions que ce sujet soulève.

(A suivre.)

CHARLES DE LABARTHE,

Membre de la Société orientale, ancien élève de l'École spéciale des langues orientales.

des habitants des îles Carolines, et comme étaient les Marianais presque exterminés par les Espagnols.

LES COLONIES FRANÇAISES DANS LES MERS
DE MADAGASCAR.

MAYOTTE ET SES DÉPENDANCES.

A l'extrémité occidentale de l'Océan indien, non loin des côtes de Madagascar, la France possède quelques îles, seuls souvenirs de ses anciens établissements de Tamatave, de Foulpointe, de Tintingue, de Port-Choiseul, etc. Ces colonies, d'une importance limitée par suite de leur exiguité, réunissent cependant certains avantages que l'on ne peut nier. Comme stations commerciales, elles sont d'une grande utilité, parce qu'elles pourront devenir le centre, l'entrepôt des échanges avec Madagascar, et la côte orientale de l'Afrique. Comme stations militaires, elles ne présentent pas moins un grand intérêt en cas de guerre maritime, elles offriraient un refuge assuré à nos corsaires, à nos navires de commerce, poursuivis par l'ennemi.

Envisagées sous le rapport de la production agricole, ces îles sont encore secondaires et ne peuvent guère alimenter un commerce d'exportation; mais le transit, si on sait l'encourager, pourra leur donner une grande importance.

Le gouvernement colonial de Mayotte, qui a pour chef-lieu l'ile de ce nom, se compose de Mayotte, de Nossi-Bé et ses dépendances, et de Sainte-Marie.

Le décret du 8 mars 1856 porte qu'à l'avenir les concessions qui seront faites à Mayotte et dépendances seront mises à la taxe de concession suivante :

5 fr. par hectare concédé au-dessous de 50 hectares.

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Le petit cultivateur se trouve ici favorisé, et en vérité il ne peut en être autrement; car, d'après la petite étendue de ces îles, on comprend parfaitement que la grande culture ne doit pas y prédominer.

On considère le système de la vente dcs terres comme préjudiciable au petit colon en l'obligeant à faire de plus grandes dépenses pour son installation; mais, en échange de cet argent qu'il donnera pour acquérir son terrain, n'aura-t-il pas des routes, des chemins de fer, de bons ports qui rendant les communications plus faciles, compenseront certainement, à son profit, le déboursé qu'il aura fait dès l'abord? Que sert, en effet, de pos

séder de bonnes terres, de produire beaucoup de blé, si l'on n'a pas de débouchés? On vit dans l'abondance, il est vrai; mais, avec cette abondance-là, on se ruine bientôt. C'est surtout par la vente des terres, et à prix fixe, que l'on peut parvenir à se créer ces débouchés; raison qui doit nous engager à la mettre en pratique le plus vite possible. Les colonies anglaises sont arrivées à leur état présent de prospérité par la vente des terrains. C'est grâce aux sommes énormes qui en proviennent que l'Australie, le Canada, le Cap, sont parvenus à leur remarquable développement. Aux Etats-Unis, qui, en ce genre d'institution, doivent nous servir de modèle, la vente des terres publiques a lieu sur une grande échelle. Durant l'année finissant au 30 juin 1855, elle a porté sur 15,729,525 acres, qui ont rapporté au trésor fédéral une somme de 11,485,385 dollars, soit plus de 62 millions de francs.

Mais revenons à nos possessions de la mer des Indes: Mayotte est située au nord-ouest de Madagascar, à 54 lieues marines de Nossi-Bé, à 300 de la Réunion. Dans la direction du nord au sud, elle a une longueur de 21 milles; sa largeur varie de 3 à 9 milles et sa superficie s'élève à 36,400 hectares. Elle est entourée de tous côtés, mais à distance, par des récifs dangereux qui rendraient la défense très-facile en cas d'agression. Plusieurs passes permettent de s'introduire dans le canal intérieur, qui se prolonge autour de l'ile, et forme, en pénétrant dans les terres, des baies sûres et profondes, où les navires se trouvent complétement abrités. Dans cette ceinture de brisants sont aussi renfermées les petites îles de Pamanzi, Bouzi, Zaoudzi, Zambourou.

Mayotte est fort montagneuse, partout le terrain est profondément tourmenté; de toutes parts s'élèvent des pics dont les flancs dénudés, contrastant avec la riche végétation des terrains bas, impriment un cachet particulier au paysage de cette île. Les vallées nombreuses, mais étroites, ont un sol des plus riches, provenant de l'accumulation des matières végétales et des terres enlevées aux hauteurs voisines par les eaux pluviales. De petits cours d'eau, des sources ne tarissant jamais, serpentent au travers, et, humectant continuellement la terre, vivifient la végétation et lui donnent ces tons luxuriants, ce désordre harmonieux qui sont le partage des contrées tropicales.

Son climat est assez favorable pour l'Européen. La chaleur n'est pas excessive, puisque le thermomètre dépasse rarement 34°, et, dans les mois les plus froids, il ne baisse jamais beaucoup. Enfin, elle est exempte de ces coups de vent qui sont si désastreux à la Réunion, et les tempêtes qui s'y font sentir se manifestent surtout par des pluies abondantes.

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