Imágenes de páginas
PDF
EPUB

de lui en donner; plus tard, c'est au tour de l'imam à souffrir de la soif, il fait demander de l'eau à son ennemi qui la lui refuse. Ali Ekber, l'aîné des fils de l'imam se dévoue pour sa famille, il part, mais bientôt il revient sans avoir pu approcher du fleuve; les enfants l'entourent lui tendant leurs tasses vides et les outres desséchées, l'un d'eux même expire dans les tourments de la soif. Le moment est, je crois, celui où la multitude est le plus fortement impressionnée, les hommes éclatant en sanglots et en imprécations: Laanet ber Omar! bà atesk-è-khad bè souzed! Malédiction sur Omar! puisse-t-il brûler de son propre feu! Les femmes poussent des cris déchirants, arrachant leur voile se jettent de la poussière sur la tête en disant: Vay! vay? Hossein Magloum! vay! vay! -(le Evohé de l'écriture). J'ai entendu des gens trouver cette affliction absurde, la croyant mensongère; non, cette douleur, de courte durée peut-être, est réelle, et moi-même, soit que je fusse ému par ce qui se passait sous mes yeux, soit par la beauté du récit, soit enfin par une sorte de magnétisme qui rend les larmes contagieuses, je me sentais profondément affecté. Enfin AliEkber, s'accusant d'impuissance et de lâcheté, fait une seconde tentative, il perd un bras; une troisième, il y laisse l'autre; prenant alors son sabre entre les dents, il se jette au milieu des ennemis et perd la vie. Il y a, sans aucun doute, une certaine science de mise en scène. J'ai déjà parlé de l'admirable effet que produit la Fettah chantée par un chœur d'enfants.

Tous les compagnons de l'imam ayant perdu la vie, c'est à son tour de combattre; il descend de l'estrade pour monter à cheval accompagné par les femmes de sa famille qui essaient de le retenir; il les quitte en les bénissant; il fait sa prière et un lion vient lui lécher les pieds. Le combat s'engage, l'imam obligé de céder à des ennemis nombreux, se retire quand un ambassadeur européen (on l'appelle l'Iltshe) vêtu comme nos diplomates vient à son secours, et finit par se faire musulman. Je ne connais pas la tradition

de cet épisode, mais son introduction dans le drame doit être fort récente, car Morier, qui dit quelques mots de Bouzè-Katl, n'en parle point. Enfin, Hosséin est vaincu, on le revêt d'une robe teinte de sang et hérissée de flèches; il se couche sur un sofa, et là les soldats d'Abadullah l'achèvent à coups de pierre. L'acteur se garantit en se couvrant d'un bouclier. C'est ainsi que finit le drame au milieu des cris et des sanglots de l'auditoire qui se jette sur l'imam et lui arrache ses habits dont on conserve les morceaux comme des reliques; des derviches nus jusqu'à la ceinture, des couteaux, des poignards et des cadenas passés dans les chairs s'avancent en se frappant les reins avec des chaînes de fer, ou se faisant de larges incisions à la tête avec le kama (poignard à large lame) aux noms de Hassan et Hosséin, Des pehlévans (athlètes), portant des outres de peau de bœuf, remplies d'eau et d'un poids énorme, font le tour de la place en courant; puis un molla récite à haute voix la khotbè, prière en l'honneur de Mohammed, Fatimè, et des douze imams. Telle est la fête du Bouz-è-Katl.

Pendant les dix premiers jours de moharrem, les acteurs se paient fort cher; quelques-uns jouissent d'une grande réputation, et on les fait venir de fort loin. Les gens moins aisés ne commencent la fête que le dixième jour, les chanteurs un peu épuisés sont alors moins exigeants. Outre les tékiè que je viens de décrire, il en est d'autres où la scène se passe avec moins de pompe et d'apparat; chaque matin, un molla y fait la lecture d'une partie de la vie de Hosséin.

Je ne saurais préciser l'époque à laquelle remonte l'origine de ce drame; Chardin parle de sermons et de processions, mais ne fait nulle mention de la tragédie. Il est vrai que la dévotion excessive qu'ont les Persans pour Ali et ses fils est due aux Séféviè, qui, dans leur projet de conquête en Turquie, encouragèrent le schisme afin de diviser davantage les deux peuples, mais nulle part je ne trouve rien qui ait rapport à une représentation scénique.

Jusqu'à ce jour les Européens étaient librement admis

dans les tékiè, et l'incident de l'ambassadeur que j'ai mentionné plus haut ne contribuait pas peu à les relever dans l'esprit du peuple, mais cette année, un caprice du premier ministre en a interdit l'entrée même aux personnes des légations. Il a donné pour motif l'opposition des mollas, ce qui ne peut être, car, à l'exception du bas clergé, aucun ministre de la loi n'assiste à ces représentations que les madjtéhids (pontifes) regardent comme sacriléges en ce que de saints personuages y sont introduits, ce qui est positivement contraire aux préceptes du prophète.

AMÉDÉE QUERRY,

Secrétaire interprète de l'ambassade de France prés la cour de Téhéran.

NOUVELLE CHARTE OTTOMANE

OU HATT-I-HUMAIOUN.

La nouvelle charte que le sultan Abd-ul-Medjid vient d'octroyer à ses sujets a été lue, le 18 février 1856, dans la capitale de l'empire, et des exemplaires ont été adressés à tous les fonctionnaires des différentes provinces de la Turquie. Cette charte a été accueillie par les sujets chrétiens du sultan avec une grande joie; désormais les portes de tous les emplois civils et militaires leur sont ouvertes, et les rayas qui, jusqu'à présent, étaient en butte aux vexations des Outorités et même des simples musulmans, deviennent, par le fait même de la publication du hatt-i-humaïoun du 18 février, les égaux des Ottomans. On a tout lieu d'espérer que le sultan, qui a eu toujours pour but le bonheur de ses peuples, veillera à l'exécution de tous les articles contenus dans la charte qu'il vient de promulguer; c'est le seul moyen de réunir sous un même drapeau toutes les populations de ses vastes États, qui, libres désormais, concourront avec lui à défendre l'intégrité de son empire, et s'efforceront de prendre, au milieu des nations civilisées du monde, la place dont le fanatisme et l'arbitraire tendaient à les éloigner.

« Qu'il soit fait en conformité du contenu !

Les garanties promises de notre part à tous les sujets de mon empire par le hatt-i-humaïoun de Gul-Khanè et en conformité du Tanzimat, sans distinction de classe ni de culte, pour la sécurité de leurs personnes et de leurs biens et pour la conservation de leur honneur, sont aujourd'hui confirmées et consolidées; et, pour qu'elles reçoivent leur plein et entier effet, des mesures efficaces seront prises.

Tous les priviléges et immunités spirituels, accordés ab antiquo de la part de mes ancêtres, et à des dates postérieures, à toutes les communautés chrétiennes ou d'autres rites non musulmans, établis dans mon empire, sous mon égide protectrice, seront confirmés et maintenus.

Chaque communauté chrétienne ou d'autre rite non musulman sera tenue, dans un délai fixe et avec le concours d'une commission formée ad hoc dans son sein, de procéder, avec ma haute approbation et sous la surveillance de

ma Sublime-Porte, à l'examen de ses immunités et privilé ges actuels, et d'y discuter et soumettre à ma SublimePorte les réformes exigées par le progrès des lumières et du temps.

Les pouvoirs concédés aux patriarches et aux évêques des rites chrétiens par le sultan Mahomet II et ses successeurs seront mis en harmonie avec la position nouvelle que mes intentions généreuses et bienveillantes assurent à ces communautés. Le principe de la nomination à vie des patriarches, après la révision des règlements d'élection aujourd'hui en vigueur, sera exactement appliqué, conformément à la teneur de leurs firmans d'investiture.

Les patriarches, les métropolitains, archevêques, évêques et rabbins seront assermentés à leur entrée en fonctions, d'après une formule concertée en commun entre ma Sublime-Porte et les chefs spirituels des diverses communautés.

Les redevances ecclésiastiques, de quelque forme et nature qu'elles soient, seront supprimées et remplacées par la fixation des revenus des patriarches et chefs des communautés, et par l'allocation de traitements et de salaires équitablement proportionnés à l'importance, au rang et à la dignité des divers membres du clergé.

Il ne sera porté aucune atteinte aux propriétés mobilières et immobilières des divers clergés chrétiens; toutefois, l'administration temporelle des communautés chrétiennes ou d'autres rites non musulmans sera placée sous la sauvegarde d'une assemblée choisie dans le sein de chacune desdites communautés parmi les membres du clergé et les laïcs.

Dans les villes, bourgades et villages où la population appartiendra en totalité au même culte, il ne sera apporté aucune entrave à la réparation, d'après leur plan primitif, des édifices destinés au culte, aux écoles, aux hôpitaux et aux cimetières.

Les plans de ces divers édifices, en cas d'érection nou

« AnteriorContinuar »