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RELIGION ET DOCTRINE

DES NOUSSARIÉS.

Les Noussariés, que l'on croit généralement descendus des Perses, occupent les montagnes d'Elkelbié en Syrie et tout le littoral du pachalik d'Adana, depuis Alexandrette jusqu'à Mersine et Adana; comme à Antioche, ils sont en grand nombre, et plusieurs d'entre eux feignent de professer l'islamisme pour acquérir de l'influence. En effet, quelques-uns sont parvenus par ce moyen à occuper de hauts emplois dans le Pachalik.

Leur religion est un mélange confus d'idolâtrie, de judaïsme, de christianisme et d'islamisme; ils croient à la nature prophétique du Christ et citent, dans leurs conversations habituelles avec les chrétiens, les noms des Apôtres ainsi que plusieurs passages de l'Evangile et des psaumes de David. Ils révèrent, à l'instar des musulmans, le nom de Marie, et observent la fête de Noël et celle du jour de l'an, selon le calendrier Julien. Quant à l'islamisme, ils en ont adopté les appellations, à l'exception de celles d'Omar et d'Aboubekre qu'ils abhorrent. Ils croient à l'esprit sacré du Khoran qu'ils prétendent avoir été révélé à un Mahomet, prophète de leur secte, et non pas au Mahomet des Arabes, qu'ils accusent d'imposture, et auquel ils donnent la burlesque épithète de teigneux (akrah.)

Pour ce qui regarde leurs véritables principes religieux, voici ce qu'on est parvenu à découvrir. Ils sont divisés en quatre rites: Chamsi, Camari, Kelleizi et Chémaïli. Les Chamsi adorent le soleil; les Camari adorent la lune et donnent à chacun de ces astres le nom de suprême du firmament (ali-el-olâ) ou de prince des abeilles (émir-el-nahl), c'est-à-dire des étoiles qui tournent autour de ces deux Juin 1856.

III.

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astres comme un essaim d'abeilles tourne autour d'une ruche. L'empyrée est leur paradis, et chaque étoile est pour eux l'âme d'un élu. Ils croient en outre à la métempsychose.

La religion des Noussariés est toute mystérieuse; l'homme seul y est initié; l'enfant ne l'est qu'à l'âge de puberté et après avoir été préparé par les scheik à savoir taire les mystères qui lui sont révélés. La cérémonie de l'initiation (teznir) se fait en présence de deux parrains. Le secret qui forme la base de leur religion et qui n'est écrit dans aucun de leurs livres, est révélé oralement aux adeptes et se nomme le mystère des deux (serr-el-Teintin). Quant aux Chemaïli et aux Kelleizi, on ne connaît encore aucun des points de différence ou d'identité qui peuvent exister entre ces deux rites et ceux des Chamsi et des Camari.

Les Noussariés ont, en s'abordant, des signes de convention qui leur servent à se reconnaître. Les femmes sont exclues de toute pratique religieuse et n'ont aucune idée des dogmes professés par les hommes.

En fait de culte extérieur, ils ont des prières qu'ils récitent trois fois par jour et en plein air; la plus importante se fait au lever du soleil. Ils se tournent vers l'orient comme les musulmans auxquels ils ont emprunté les ablutions et la circoncision.

Aux jours de fêtes principales, les Noussariés s'assemblent, et les scheiks bénissent du vin qu'ils distribuent aux assistants. Ces fêtes se nomment Aid-Koddás, les fêtes de la messe.

On croit à tort que des réunions nocturnes d'hommes et de femmes se font chez les Noussariés; cette cérémonie n'a lieu que chez les Ismaéliens. Quant à leurs mœurs, ils sont, par principes, religieux et très-hospitaliers.

Chez les Noussariés la science religieuse consiste à savoir lire et écrire. Celui qui se trouve dans ces conditions peut devenir scheik, et cette profession est généralement héréditaire dans la famille. La polygamie et le divorce sont permis.

Il y a plus d'un demi-siècle que les Noussariés ont commencé à émigrer dans le pachalik d'Adana pour se soustraire aux vexations qu'on leur faisait subir en Syrie à cause de leur croyance. Aussi le district de Lattaquié se dépeuplet-il journellement au détriment du trésor et du bien-être de la population.

Voici quelle est l'origine de cette religion, d'après un manuscrit qui fait partie de la bibliothèque du muphti de

Tarsous.

L'auteur de la religion des Noussariés était un nommé Abou-Hamden-el-Rhoussaïbi qui vivait au troisième siècle de l'hégyre; circonstance d'après laquelle la religion des Noussariés et celle des Druzes seraient contemporaines. Les dogmes de la première sont la divinité d'Ali, gendre de Mahomet, fils d'Ibn-Abou-Thaleb, qui s'est incarné sept fois; une trinité qui s'est renouvelée à sept époques différentes, et sous divers noms; cette trinité s'appelle: Mohana, le sens; Sun, le nom; Báb, la porte. Ils la désignent cette trinité par les lettres arabes Thain, Mim, Sin, qui sont les initiales des noms de Ali, Mohammed et Selman-el-Farsi. Ils disent que Mahomet et le Christ sont la même personne, qui s'est manifestée à deux époques différentes, et ont plusieurs messes que je suis parvenu à me procurer, et dont je donne ici une traduction exacte, faite par M. H. Guys, ancien consul de France en Syrie, qui a longtemps vécu au milieu des Noussariés de la Syrie.

Prières des Noussariés, extraites d'un manuscrit arabe inédit, contenant la doctrine de cette religion.

PREMIÈRE PRIÈRE.

« O mon Dieu ! je te conjure par le mérite des quatorze degrés de l'intelligence, dont sept appartiennent au monde supérieur et sept au monde inférieur, par les cantiques sacrés, par les actions de grâce, par les sanctifications, par les invocations du matin et par les chants sacrés, par les chapitres de la prostration (takouir), de l'Evangile et des psaumes, par Baschara et Baschir, par le jeune enfant qui est couché dans son berceau, par Alexandre Esedméchir, par les sept dormants

et leur chiens katmir, par les quatre ventes qu'a faites mon seigneur Ali, commandeur des croyants, par la vente de la maison, la vente de Kaïsaran, la vente de la mère de Selma et la vente de la fête du jour de l'étang (ghadir). Que Dieu règle notre état et le vôtre de la meilleure manière, et qu'il nous accorde pour nous et pour vous beaucoup de choses de peu de choses. [O mon Dieu!] sanctifie tous les croyants et sois-leur miséricordieux dans tous les lieux du monde, et fais que tout cela nous arrive le soir et le matin ainsi qu'à vous tous ici présents. Amen! »

DEUXIÈME PRIÈRE.

La messe des Parfums.

« La messe des parfums circule entre nous dans la maison bâtie 1. Le seïd Mohammed-ben-Esnan de Zahyri est parfumé avec les coupes des fidèles, et Abd-el-Nour est parfumé aussi de même. - Une image rouge que l'on disait être jaune dans laquelle étaient les coupes des croyants. En conséquence, parfumez vos coupes, ô vous, croyants, et alors vous obtiendrez la tranquillité, la joie et la fidélité. Rendez témoignage, Fellahs qu'il n'est d'autre Dieu qu'Ali, prince des abeilles (Emirel-Nahal), le Très-Haut, le Magnifique.

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TROISIÈME PRIÈRE.

La messe de l'Encens.

« Au frère bien-aimé! à vous les fidèles! écoutez et soyez attentifs; considérez la cause pour laquelle vous êtes réunis. Chassez de vos cœurs la rancune et l'envie, de vos poitrines la haine et la tromperie. En [faisant] cela, votre religion s'accomplira dans la connaissance de Celui qui vous aide, qui honore votre conduite et fait miséricorde à vos morts, Celui, enfin, qui est mon Maître et le vôtre. Sachez que Dieu est avec vous présent parmi nous, qu'il entend et qu'il voit, parce qu'il est l'entendement même et la vue par excellence et qu'il comprend les choses les plus cachées dans les cœurs. Il est le clément et le miséricordieux. Abstenez-vous de rire pendant la prière, de faire des éclats avec les étourdis; car la prière ainsi faite empêche l'action, change les dispositions, parce qu'elle prend sa source dans Isblim (le diable), · que Dieu le maudisse! Soyez attentifs et comprenez ce que vous dit l'iman, car sa position vis-à-vis de vous représente celle d'Ali, le Maître des mondes. Nous vous avons élevé à ce rang, de même que la voûte des cieux a été élevée en sept degrés, de même que la terre est construite en choses précieuses et essentiellement bonnes, afin que vos âmes soient purifiées par l'encens. »

1 Le temple de la Kaabah, la maison par excellence.

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2 C'est le nom que se donnent les Noussariés pour se reconnaître entre eux, sans être soupçonnés par les musulmans.

QUATRIÈME PRIÈRE.

La messe du Cri.

La messe du cri [s'accomplit] avec l'aide de Dieu. Dieu est grand! Dieu est le plus grand! J'ai tourné mon visage vers Mohammed-el-Mahmoud, et je demande à connaître son secret tant désiré afin de me placer sous son immense protection. Prenez garde, ô fidèles ! suivez la religion de votre père, Ibrahim-el-Khalil (l'intime), hanifan mus liman (intègre et sans reproche). Je ne suis pas cru des infidèles, quoique ma religion m'ait été remise, que je doive obéissance au vieux Eternel, que mon âme ait commencé de mon âme vivante, que j'avoue ce qu'avouait notre Seigneur Soliman-el-Farsi, le cri du Muezzin parvenant à son appel et disant: Il n'y a d'autre Dieu qu'Ali qui est adoré, d'autre religion que celle de seïd Mohammed-el-Mahmoud, d'autre porte que celle du seïd Soliman-el-Farsi, le déferé. J'avoue que [nous croyons] au seïd Mohammed, à son sublime nom, à son prophete vénéré, à ses doctrines qui se suivent, à son prophète qu'il nous a envoyé; que nous adorons le seïd Mohammed, le seïd Mahmoud et leurs parents et compagnons.

Que le salut soit éternel jusqu'au jour du jugement dernier, que la dernière de leurs inspirations soit: grâce à Dieu, Dieu de tout l'univers! j'avoue que mon Maître est le vôtre, c'est Ali, fils d'Abou-Thaleb, qui n'a pas changé de place, qui ne s'est pas incliné et qui est toujours l'Eternel et l'Immuable sous tous les rapports. J'avoue, j'avoue et j'avoue que la porte du seïd Soliman est le droit chemin et la bonne religion à tous les précités, salut! Prenez mon chef et mon seigneur, il vous reste Rhain, Mim, Sin. La prière a commencé pour eux (les précités), elle s'est consolidée par eux; faites, ô mon Dieu ! qu'elle devienne continuelle et faites en outre que le seïd Mohammed la termine et le seïd Soliman soit son parfum, et que le monde s'incline devant elle et qu'elle soit la véritable route pour les fidèles. Ouelmakdåd est son chef et Aboudder est à sa gauche. »

VICTOR LANGLOIS.

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