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goniste Réchid-Pacha, est le but principal que s'est proposé l'auteur des Confidences. Et en effet, le chapitre concernant l'armée est exposé en quelques pages, dans lesquelles on cherche vainement à se rendre compte de l'organisation des forces militaires de la Turquie; celui relatif au clergé des différents cultes est écrit avec la même concision. L'auteur, qui sait si bien toutes choses concernant la Turquie, ne nous entretient ni de l'antagonisme religieux, ni de ces sourdes menées trop justement imputées au clergé, sans distinction de sectes. Nous, qui avons séjourné à Constantinople et visité plusieurs contrées de l'Asie, nous connaissons certaines anecdotes que M. Destrilhes ne peut ignorer, et qui auraient dû faire suite aux notes biographiques des pachas, partisans de l'ex-grandvizir Réchid.

Le dixième chapitre est relatif aux ambassades européennes; il ne nous appartient pas de suivre l'auteur dans ses appréciations politiques, nous nous bornerons à renvoyer le lecteur aux Confidences, et à lui indiquer les pages 170 et suivantes de la première édition,. qui pourront, disons-le en passant, lui donner une idée assez juste des diplomaties anglaise et française, et de la duplicité des agents russes.

Un projet de réformes administratives termine les Confidences sur la Turquie; l'auteur, qui a dû faire sur cet empire de longues et sérieuses études, trace avec une incontestable habileté les institutions qui, suivant lui, doivent retremper ce beau pays et le conduire à un degré de prospérité que n'effacerait nulle autre puissance. Il organise le gouvernement sur de nouvelles bases, forme des ministères, donne à chacun sa part d'attributions, et, pour compléter son œuvre, et en assurer le succès, il désigne les personnages qui lui paraissent propres à occuper, non seulement les hautes positions, mais encore les plus importantes ambassades. Inutile de dire que ces personnages appartiennent au parti national ou réformiste, dont Méhemet-Ali est le chef.

Nous doutons que le Sultan, dont les hautes capacités se sont révélées dans plus d'une circonstance, et qui a le sentiment de la dignité, consente à sanctionner les choix que fait M. Destrilhes; il pourrait bien y voir une atteinte à son initiative souveraine, une sorte d'immixtion au moins insolite.

Nous le répétons en terminant, la réforme radicale que présente M. Destrilhes est fort habilement combinée, et fait naître les plus belles espérances. Comme lui, nous faisons des vœux pour qu'elle se réalise, sans toutefois nous dissimuler les nombreuses et graves difficultés qu'auront à vaincre, à force d'énergie et de sagesse, les hommes d'Etat qui se dévoueront à cette tâche ardue, d'où dépend la régénération et le bonheur de tant de peuples, soumis, depuis des siècles, à la domination des fils d'Othman.

VICTOR LANGLOIS,

Rédacteur en chef, secrétaire général de la Société orientale.

PROMENADE A CHEVAL.

Pendant mon séjour à Athènes, j'étais logé à l'Hôtel de l'Europe, sur la place de Mars, qui sera une place magnifique, lorsqu'elle sera pavée et entourée de maisons. Telle qu'elle est présentement, elle a sur les autres places d'Athènes cet avantage précieux que, rien n'y interceptant la vue, on y jouit d'une perspective immense qui embrasse toute la vallée du Céphise et toute la chaîne du Parmès jusqu'au détroit de Salamine et au port du Pirée. Je recommande l'Hôtel de l'Europe et la place de Mars aux amateurs des beaux points de vue.

En Grèce, on ne voyage guère qu'à cheval par la raison qu'il n'y a point de diligence, et il n'y a pas de diligence par la raison qu'il n'y a point de routes frayées. Ces raisonslà sont plus que suffisantes, comme on voit. Quand on entreprend un voyage, on emporte avec soi tous les meubles et toutes les provisions de bouche dont on peut avoir besoin; car, par la même raison qu'il n'y a ni routes, ni diligences, il n'y a pas non plus d'auberges. Ceci posé, on comprendra pourquoi, bien que nous ne fussions que trois voyageurs, on voyait, le 4 juin 1849, devant l'H6tel de l'Europe, trois mulets chargés de bagages, trois agoïates ou conducteurs de mulets, un cuisinier, un domestique et quatre chevaux de selle, dont un pour notre guide Thémistocle. A en juger par tout cet attirail, on eût pu croire que nous allions partir pour quelque expédition lointaine, tandis qu'il s'agissait tout simplement d'une promenade au village de Marathon, célèbre par son fenouil1, et par la victoire des Athéniens sur les Perses.

Tous nos gens, le guide seul excepté, ont le costume 'Marathon signifie champ de fenouil.

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national. Le cuisinier porte un long pantalon bouffant, un châle en ceinture et une toque de velours. Les agoïates ont aussi le pantalon bouffant, mais leur coiffure consiste en un simple mouchoir de poche noué sous le menton. Le domestique est le plus élégant de la troupe ; il a un fez rouge à gland d'or; une jaquette de la même couleur, à manches pendantes et garnies de gances ; une jupe blanche et courte, appelée fustanelle, qui lui serre étroitement la taille et qui ne lui descend que jusqu'au genou. Des brodequins brodés achèvent son équipement. Dans ce costume léger et pittoresque, on le prendrait plutôt pour un danseur de l'Opéra prêt à s'élancer en scène, que pour un pallicare qui va gravir les montagues rocailleuses de la Morée.

Nous quittons Athènes à huit heurs du matin. Les agoïates et le cuisinier prennent les devants pour aller préparer le déjeuner à la première station. Nous longeons les bases du Lycabette, hideux squelette de montagne sans terre végétale, sans trace d'herbe ni de buissons; cependant, tel est le privilége de ces contrées bénies du ciel : ce roc aride et décharné est plus beau à voir que les collines les mieux boisées; les feux calcinants du soleil ont peint ces blocs nus de teintes chaudes et brillantes qui les font resplendir comme des masses métalliques. Nous avançons à travers une vallée déserte plantée de pins, de térébinthes et d'agnus-castus dont les fleurs, en forme d'épi d'un beau bleu céleste, exhalent des parfums balsamiques. A leurs pieds, le sol est émaillé de thym et de bruyères rouges.

Vers les onze heures, nous arrivons dans le voisinage du joli village de Céphisia, qui se distingue d'Athènes par deux traits tout à fait caractéristiques et saillants; il s'y trouve des arbres et de l'eau! Les arbres sont en grand nombre et d'une belle venue; l'eau est fraîche et limpide. Le Céphise où, selon Euripide, Vénus elle-même daignait parfois se désaltérer, a une de ses sources dans ces parages, est c'est à lui que la bourgade doit son nom, ou réciproquement, je ne sais au juste. Quoi qu'il en soit, Céphisia

est célèbre comme étant le berceau du dieu Céphise1 et du poète Ménandre, dont les vers aussi purs que les flots de cette rivière, réfléchissent avec fidélité les vices et les ridicules de la société antique, de même que le Céphise reproduit dans son onde les bois et les rochers de ses bords.

Au milieu de la place du village s'élève un platane énorme dont le tronc n'a guère moins de quinze pieds de circonférence. Ce géant végétal nous réservait une agréable surprise; les géants sont parfois bien aimables, il faut en convenir. Un excellent déjeûner nous attendait sous son dôme de fueillage transformé momentanément en salle à manger. Notre guide a apporté d'Athènes tous les meubles nécessaires: tables, chaises, vaisselle, rien n'a été oublié. Les naturels de l'endroit, assemblés sur la place pour nous voir arriver, font cercle autour de nous pendant que nous déjeûnons, sans doute pour s'assurer si nous mangeons comme eux. Pour ne pas désobliger ces honnêtes indigènes, nous nous résignons à leur servir de passe-temps, et nous commençons coram populo notre champêtre repas, que nous assaisonnons de citations d'Homère et de Pindare, et que nous humectons de vin de Naxos, de cette île qu'Ariane arrosa de ses larmes et où Bacchus fut nourri par les nymphes Philie, Caronis et Cléide. Le vin de Naxos est le seul vin potable du royaume de Grèce; c'est le seul où l'on ne fasse pas infuser des boutures de pin pour le rendre amer. L'usage de droguer le vin est une des plus vénérables traditions helléniques; les anciens Grecs le pratiquaient sur une grande échelle; ils avaient le vin au fenouil (marathritès), le vin à la poix (pissotès), le vin à la conyse (conysetès), et enfin le vin à la résine (rhéténitès). C'est cette dernière infusion que les Grecs modernes préfèrent; le vin ainsi préparé s'appelle vin résiné, comme chez les anciens. Nous terminons notre prandium rustique par un

1 Kapissés vient de xap-os, souffle, respiration (bruyante), du verbe я, souffler (bruire), d'où xα-уpós, bruyant, et xnp-n», bourdon.

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