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LITTÉRATURE ARMÉNIENNE.

BIBLIOTHÈQUE HISTORIQUE ARMÉNIENNE

ou

CHOIX ET EXTRAITS DES HISTORIENS ARMÉNIENS,

Traduits en français, avec un volume de prolégomènes contenant l'exposé du système chronologique de ces historiens. (Extrait de l'introduction aux Prolégomènes.)

La littérature arménienne se recommande par le nombre et la valeur des monuments historiques qu'elle a produits. Depuis le commencement du quatrième siècle jusqu'à nos jours, ces monuments se continuent par une succession non interrompue, véritable chaîne d'or, qui rattache le monde ancien à celui où nous vivons. Antérieurs de près de cinq siècles aux écrivains musulmans, les auteurs arméniens sont les meilleurs guides, et l'on pourrait dire les seuls, qu'ait l'Orient pour l'étude des faits qui se sont accomplis dans l'Asie occidentale à une époque où elle obéissait presque tout entière aux Sassanides. Ils appartiennent, en effet, à une nation qui, d'abord soumise à la suzeraineté de ces puissants monarques, et ensuite, après avoir lutté pour défendre un reste d'indépendance, absorbée dans leur vaste empire, fournit des contingents et des généraux à leurs armées, des employés à leurs chancelleries, des alliances aux plus illustres familles de la Perse et à celle des Sassanides elle-même, tandis que ses chefs, ses patriarches et ses évêques ne cessaient de fréquenter la cour de Ctésiphon. De ce contact entre les deux royaumes, encore plus intime dans un âge antérieur, sous les Arsacides, lorsque les deux branches principales de cette famille s'étaient partagé la Perse et l'Arménie, résulta une communauté de civilisation, et, pendant longtemps, de croyances religieuses, dont plus d'un souvenir se retrouve dans les auteurs arméniens primitifs. Lorsqu'au troisième siècle de notre ère, une scission s'opéra dans cette unité de croyance par la res

tauration, en Perse, de l'ancien culte de Zoroastre, à l'avénement des Sassanides, et par la conversion de l'Arménie à la foi de l'Evangile, ce dernier pays tendait à devenir plus que jamais politiquement uni à la Perse par l'incorporation définitive, dans la monarchie des Sassanides, de toute la partie orientale de son territoire.

Si, d'un côté, l'Arménie se rattachait à l'Orient, de l'autre elle fut en communication non moins étroite avec le monde occidental. Dans le siècle qui précéda la naissance de Jésus-Christ, triomphante et glorieuse un instant sous son souverain Tigrane-le-Grand, elle ne tarda pas à être entamée par les armées romaines, et forcée de payer un tribut aux Césars. Le christianisme, qui lui vint de l'école de Césarée de Cappadoce, l'entraîna à la culture et à un amour passionné des lettres grecques. On la vit dès lors flotter entre ces deux influences, orientale et occidentale, pencher entre les deux dominations, perse, romaine ou byzantine, qui s'en disputaient la possession: Sa littérature, à cette époque, reflète l'action de ce double mouvement et l'influence de ces deux courants d'idées opposées. Orientaux par leur position géographique et leurs traditions, les Arméniens furent alors tranformés et imprégnés d'hellénisme par leur éducation littéraire et religieuse. Dans leurs annales apparaissent plusieurs des noms les plus célèbres de l'histoire romaine et byzantine, Lucullus et Pompée, Mithridate et Tigrane, Antoine et Corbulon, et, plus tard, Héraclius, Chosroès-le-Grand et Iezdedjerd, et autres sur lesquels il n'est pas moins précieux de pouvoir les interroger. C'est chez les Arméniens, soumis pendant près de six cents ans aux Parthes, qui leur donnèrent une longue suite de souverains, leur apôtre national saint Grégoirel'Illuminateur et leurs premiers et plus glorieux patriarches, et de qui descendaient les plus illustres familles de l'Arménie, que la tradition de ce peuple, dont le passé est si obscur pour nous, s'est conservée vivante bien au-delà du temps où la puissance des Arsacides étalt déjà écroulée.

Lorsque les Arabes, animés de l'enthousiasme religieux et militaire que le Prophète avait su leur inspirer, s'élancèrent du fond de leurs déserts sur les empires qui leur servaient de limites au nord; lorsque, après eux, les Turks seljoukides et ensuite les Mongols se précipitèrent du fond de leurs steppes sur l'Asie occidentale, l'Arménie fut un des premiers pays qu'ils envahirent et qui subit leur joug, et ses historiens, en nous racontant les désastres et les bouleversements dont leur patrie fut alors le théâtre, nous apprennent une foule de détails dont on chercherait vainement la mention ailleurs. Il y a plus : les mêmes faits rapportés par les auteurs musulmans et arméniens fournissent, en rapprochant ces auteurs entre eux, un thème de comparaison rendu piquant et curieux par le point de vue religieux et social si opposé, par la condition d'oppresseurs et de vaincus où les uns et les autres sont placés. Inspirés par un sentiment très-vif de nationalité, les écrivains arméniens affectent un caractère non moins original lorsqu'ils nous peignent les révolutions de l'empire grec, qui pesa toujours d'un si grand poids sur les destinées de leur pays, lorsqu'ils nous retracent les croisades, la part active qu'y prirent leurs compatriotes de la Cilicie, et le goût dont ceux-ci s'éprirent pour la langue, les constitutions féodales. et chevaleresques des Franks. A portée, mieux que personne, de connaître les événements qui, à l'époque des guerres saintes, s'accomplirent dans la Cilicie, le nord de la principauté d'Antioche et le comté d'Edesse, contrées habitées par des populations arméniennes, ils viennent s'ajouter comme un complément nécessaire aux historiens latins, grecs, arabes et syriens.

Dans des temps plus rapprochés de nous, lorsque l'Arménie était l'objet de l'ambition rivale des sofis de la Perse et des sultans ottomans, le règne de Schah-Abbas Ier, l'émigration des Arméniens, arrachés en masse de leurs foyers et transportés à Ispahan par ordre de ce prince, les développements de leur colonie de Djoulfa, l'impulsion donnée

par eux au commerce et à la prospérité financière de la Perse sous Abbas et ses successeurs immédiats, ont inspiré à Arak'el de Tauris des pages écrites avec une élégance digne de servir de modèle. Enfin plusieurs des sultans des derniers siècles ont eu, parmi les Arméniens, leurs sujets, des biographes dont les ouvrages, encore peu consultés, pourraient l'être, peut-être, avec profit et mériteraient d'être mis en lumière.

L'école historique arménienne se distingue généralement par un amour sincère et naïf de la vérité, par la fidélité et l'exactitude dans ses récits et dans l'expression des dates, et souvent par une grande érudition. Comme la plupart des auteurs qu'elle a produits ont été des membres du clergé, évêques, prêtres ou moines, on doit s'attendre à les voir accorder une large place aux discussions et aux affaires religieuses, à la mention des faits d'un ordre surnaturel, aux réminiscences bibliques, et expliquer les plus grandes catastrophes, comme les plus petits événements, par l'action immédiate et exclusive de la Providence et de la justice divine. Soit qu'ils nous peignent leurs compatriotes soulevés et luttant contre la persécution des rois de Perse qui voulaient leur imposer le magisme, contre la tyrannie et les exactions des Arabes, soit qu'ils nous les représentent affaiblis et impuissants contre les hordes turkes et mongoles, et se laissant égorger comme des troupeaux sans défense, le contrasté de cet héroïsme ou de cette abnégation d'un peuple chrétien avec la barbarie et la cruauté de ses conquérants et de ses oppresseurs, forme un drame animé qui donne au style même des écrivains les plus médiocres et¦à leur nárration une vie et un mouvement dont eux-mêmes étaient loin de se douter.

Úhé autre source non moins importante de documents arméniens est celle des chartés et diplômes des princes de la dynastie roupénienne, qui régnèrent au moyen-âge sur la Cilicie jusqu'au moment où leur trône fut renversé et la nationalité arménienne détruite par les sultans mamelouks de l'Egypte.

Par suite des rapports fréquents que ces princes entretinrent avec les Franks établis en Syrie et dans l'île dé Chypre, ou attirés dans la Cilicie par l'attrait d'un commerce lucratif qui s'étendait jusque dans l'intérieur du continent asiatique, des intérêts communs naquirent. Les titres qui servirent à les régler, rédigés en arménien, en français, et le plus souvent en latin, se trouvent aujourd'hui dispersés dans les archives de plusieurs Etats de l'Europe, à Vienne, Venise, Gènes, Turin, Florence, Rome et Naples, ou disséminés dans des recueils imprimés. Il serait utile de rassembler ces pièces pour en former une collection qui nous représenterait le cartulaire que possédaient jadis, à ce qu'il paraît, les souverains roupéniens, et que nous n'avons plus.

Mais, pour tirer parti de ces documents, ainsi que des chroniques, les premières notions à acquérir sont celles du système chronologique, d'après lequel les dates y sont énoncées et de la manière dont ces dates concordent avec notre manière usuelle de supputer les années de Jésus-Christ. Le calendrier arménien, qui est très-certainement celui de la Perse ancienne, antérieur à toutes les corrections qu'il a reçues depuis, est fondé sur l'année solaire vague de 365 jours, sans fraction. Par conséquent, il anticipe d'un jour, chaque quatre ans, sur le calendrier julien, et tout l'ensemble de sa corrélation change de cette même quantité par une évolution qui parcourt successivement une période de 1,461 années vagues=1,460 années juliennes. Le point initial de cette grande période n'ayant point été fixé jusqu'ici avec une suffisante précision, il était impossible de calculer exactement les dates arméniennes qui s'offrent à chaque pas et qui sont indiquées toujours avec le plus grand soin. Ce point, qui est la grande ère arménienne, est devenu pour nous l'objet de recherches poursuivies pendant plusieurs années, et dont nous avons consigné les résultats dans un mémoire spécial, en les justifiant par une série de synchronismes et en y ajoutant des tables qui rendent le calcul aussi simple que prompt à exécuter.

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