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c'est que le Bulscamp, dans toutes ses parties, ne formait qu'une vaste suite de bruyères où les bêtes sauvages de toute espèce avaient leur repaire. Ce n'est donc pas du séjour d'un baron qu'il est question ici, mais du séjour des ours (bere, en anglo-saxon). Et cela ne doit pas surprendre, si l'on se reporte à l'époque où les peuplades saxonnes vinrent s'établir sur nos côtes; car évidemment ce sont elles qui donnèrent les noms aux localités où elles vinrent s'asseoir. Or, ce fut vers la fin du IVe siècle que les Saxons ou plutôt les peuplades germaniques qui composaient la ligue saxonne vinrent s'établir sur la côte de la Flandre, qui de là reçut, suivant M. Raepsaet, le nom de littus saxonicum. (Schayes, Les Pays-Bas avant et durant la domination romaine tom. I, p. 429.)

Si nous parvenons à prouver que la bruyère de Bulscamp faisait partie de ce littoral saxon, on devra admettre que c'est dans la langue de ce peuple qu'on doit chercher la signification des noms qu'il a donnés; et il en sera fini une bonne fois de cette contestation sur la signification du mot Beernem et de bien d'autres.

Cette preuve sera facile à administrer. Non, le littoral de la Flandre n'était pas alors là où il est aujourd'hui. Nous croyons avec le savant auteur que nous venons de citer, que la presque totalité de notre côte actuelle était encore ensevelie sous les flots, à une distance de plusieurs lieues de la mer, lors de l'arrivée de ces hordes saxonnes. Nous allons plus loin, nous osons affirmer que le littoral auquel elles ont donné leur nom, le littus saxonicum, en un mot, n'est autre chose que ce vaste plateau un peu élevé et sablonneux qui s'étend depuis Anvers jusqu'audelà de Duynkerke, cette zone large de deux à trois lieues et à une distance égale d'environ cinq lieues de

la mer du Nord, dont nous avons parlé tout au cómmencement de cet article, et dans laquelle est comprise la fameuse bruyère de Bulscamp.

Tâchons de donner quelques preuves de ce que nous. venons d'avancer. Qu'on nous permette encore une cilation elle ne peut être mieux à sa place : — : « On n'a » pas, dit Schayes, p. 327, de justes données sur l'époque » où se formèrent les dunes actuelles des côtes de la Flandre, mais les témoignages de César, de Tacile et » du rhéteur Eumène semblent prouver que lors de la conquête romaine, et même au cinquième siècle, elles » n'étaient pas encore capables d'arrêter les déborde

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ments de la mer. En parlant de la mer du Nord, Ta» cite observe que le rivage n'en bornait pas le flux ou > le reflux, mais qu'elle se répandait dans l'intérieur, et » à la circonférence des terres élevées dont elle formait » des ilots; qu'elle s'étendait même dans les bas-fonds. » et les vallées, comme dans son propre lit. » Et comment aurait-il pu en etre autrement, puisque le niveau, de ce que les géologues appellent le bassin maritime de la Flandre, est actuellement encore de dix et douze pieds plus bas que les hautes marées de la mer qui le baigne?. Il a donc fallu le concours énergique de l'industrie humaine pour forcer la mer à se contenir dans son lit; ce résultat n'a pu être obtenu que par des efforts inouïs, des sacrifices incessants, qui ont duré des siècles, avant qu'on ait réussi à dompter cet élément terrible, avant d'arriver à cet état de sécurité complète et générale dont jouissent à présent les habitants de ces fertiles contrées.

Il n'est que trop vrai que les flots de la mer, bien longtemps encore après le Ve siècle, couvraient nos plaines à chaque marée haute et s'avançaient dans les terres souvent à plusieurs lieues de la côte. Ils y formaient des

gulfes, des lacs, des eaux stagnantes qui, plus tard, se convertirent en moëres ou marais à bas-fonds, dont l'industrie du Flamand parvint à faire le terroir le plus productif de la Belgique. C'est là l'origine de nos beaux poldres, c'est là l'origine de ces curieuses tourbières, dont on extrait la tourbe nommée deerink. C'est aussi sur ces îlots dont nous avons déjà parlé, que se retirèrent les Ménapiens et les Morins poursuivis par César.

La ville de St-Omer, aujourd'hui distante de huit lieues de la mer, était encore, au moyen-âge, une ville maritime, sise au bord d'un golfe de dix lieues d'étendue. (Malbrancq, de Morinis, tom. I.) Bruges fut un port de mer jusqu'au XIIe siècle, et son territoire ne consistait alors, presqu'en entier, qu'en vastes et stériles marécages. (Beaucourt, Jaerboeken van het Vrye, 1te deel, p. 21.

Historia critica comitatûs holl., tom. II, p. 125.) Le port de cette ville cessa d'exister dans le courant de ce XIIe siècle et fut remplacé par celui d'Ardenbourg, ville dont l'Océan baignait alors les remparts. (Kluit, p. 180).

Ardenbourg ne conserva pas longtemps ces avantages; son port, par suite de la retraite de la mer, se combla comme celui de Bruges et fut remplacé, dès le XIV° siècle, par celui de l'Écluse, qui alors devint l'entrepôt général de la Flandre et le lieu où abordaient tous les navires venant du midi ou du nord de l'Europe. Depuis longtemps le célèbre port de l'Écluse lui-même a cessé d'exister.

La petite ville de Damme, aujourd'hui séparée de la mer par une distance de trois lieues, possédait au XIII® siècle (1213) un port maritime tellement spacieux, qu'il donna abri à toute la flotte de Philippe-Augusté, composée de plus de 1600 voiles. (Recherches hist. sur les voies d'écoulement des eaux des Fland., 1838, p. 31.) A

BULLETIN T. XI.

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celte époque, Oudenbourg, Dixmude, Loo étaient, comme St-Omer, Damme et Ardenhourg, des villes situées au bord de la mer. Telle était aussi, il y a peu de siècles, la ville de Furnes, aujourd'hui à deux lieues de la côte.

Mais dans ces conquêtes faites sur la mer du Nord, tout n'est pas dû au labeur de l'homme; la nature y contribua pour une large part. Il est un fait de haute importance qu'on ne peut pàs perdre de vue, c'est que depuis plusieurs siècles, d'après quelques-uns depuis le déluge cimbrique, la mer se retire progressivement des côtes de la Flandre.

Il est vrai que la côte flamande a subi des modifications dans un sens contraire, que la mer a englouti l'espèce de promontoire où se trouvait l'église paroissiale d'Ostende et celle de Blankenberghe. A Ostende, ce fut l'église de Notre-Dame, Terstreep (streep lands, en français langue de terre) qui disparut dans les flots, et à Blankenberghe ce fut l'église de Notre-Dame dite de Scharphout. Mais ces faits n'infirment en rien ce que nous venons de dire; car ces deux catastrophes furent occasionnées par un terrible ouragan qui éclata le 23 Novembre 1834. (Bowens, Beschryving van Ostende, 1792, tom. I, p. 11; Carton, Notice sur Blankenberghe, Annales de la Société d'Émulation de Bruges, 1841, tom. III, p. 71.)

Ce mouvement de recul de la mer est très-sensible en certains endroits; il a été constaté, par exemple, à Nieuport, que les basses marées étaient, en 1778, de cent toises au moins plus éloignées du port qu'en 1759. (L'abbé Mann., Mém. sur l'état ancien de la Fland. marit.)

A partir du XII° siècle, on rencontre souvent et sur

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tout dans le curieux cartulaire de l'abbaye des Dunes, que la Société d'Emulation de Bruges publie en ce moinent, des chartes où les comtes de Flandre font donation de la dîme à percevoir sur les terres nouvelles (novalia) rendues arables par suite de la retraite de la mer. C'est ce que fit, entr'autres, Philippe d'Alsace, qui, en 1171, accorda aux Templiers la dîme des alluvions délaissées par la mer ou terras novas quas mare foras ejecerat dans les paroisses de Slype, Leffinghe, Steene et Ste-Marie de Mannekens-Vere. (Mirei Dipl., tom. II, p. 1316.) Tout fait croire que ces quatre localités, paroisses avant 1171, étaient, au temps de la domination romaine, au nombre de ces flots sur lesquels se retirèrent les Ménapiens pour échapper aux poursuites de César. Ces donations dont nous venons de parler, ces ventes, ces concessions de tout genre se firent le plus souvent à des corporations religieuses, surtout à des abbayes; cela ne doit pas surprendre, parce qu'elles seules étaient capables, à cette époque, de mener à bonne fin, ces grands travaux de défrichement, de dessèchement el d'endiguement, à cause de l'immense force que donne l'association vivifiée par l'élément religieux ; mais nos comtes, en outre, prêchaient d'exemple. C'est ainsi que le même Philippe d'Alsace, en 1169, fit conquérir sur la mer et réduire en culture un immense marais de 1700 mesures, entre Watten et Bourbourg, et un autre de 200 arpents près de la ville d'Aire. (Miræi, tom. I, p. 186.) On pourrait citer au moins deux cents actes de ce genre posés par nos Souverains durant le XII et le XIII° siècle. Les travaux d'endiguement et de renforcement des dunes en particulier, exécutés par Philippe d'Alsace du côté de Bourbourg, furent imités, cent ans plus tard, par le comte Jean de Namur, fils de Gui de

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