Ah dieux! ORESTE, à part. SCENE V. PYRRHUS, PHOENIX. PYRRHUS. Hé bien, Phoenix, l'amour est-il le maître? Tes yeux refusent-ils encor de me connaître? PHOENIX. Ah! je vous reconnais ; et ce juste courroux, PYRRHUS. Dis plutôt qu'aujourd'hui commence ma victoire : PHOENIX. Oui, je bénis, seigneur, l'heureuse cruauté PYRRHUS. Tu l'as vu comme elle m'a traité. Je pensais, en voyant sa tendresse alarmée, Que son fils me la dût renvoyer désarmée : J'allais voir le succès de ses embrassements; Je n'ai trouvé que pleurs mêlés d'emportements. Sa misère l'aigrit; et, toujours plus farouche, Cent fois le nom d'Hector est sorti de sa bouche. Vainement à son fils j'assurais mon secours : « C'est Hector, disait-elle en l'embrassant toujours: « Voilà ses yeux, sa bouche et déjà son audace: « C'est lui-même, c'est toi, cher époux, que j'embrasse.» Eh! quelle est sa pensée ? Attend-elle en ce jour Que je lui laisse un fils pour nourrir son amour? PHOENIX. Sans doute; c'est le prix que vous gardait l'ingrate. Mais laissez-la, seigneur. PYRRHUS. Je vois ce qui la flatte : Sa beauté la rassure; et, malgré mon courroux, L'orgueilleuse m'attend encore à ses genoux. Je la verrais aux miens, Phoenix, d'un œil tranquille. Elle est veuve d'Hector, et je suis fils d'Achille : Trop de haine sépare Andromaque et Pyrrhus. PHOENIX. Commencez donc, seigneur, à ne m'en parler plus. PYRRHUS. Crois-tu, si je l'épouse, Qu'Andromaque en son cœur n'en sera pas jalouse? PHOENIX. Quoi! toujours Andromaque occupe votre esprit! Que vous importe, ô dieux, sa joie ou son dépit? Quel charme, malgré vous, vers elle vous attire? PYRRHUS. Non, je n'ai pas bien dit tout ce qu'il lui faut dire : PHOENIX. Allez, seigneur, vous jeter à ses pieds: PYRRHUS. Je le vois bien, tu crois que prêt à l'excuser PHOENIX. Vous aimez : c'est assez. PYRRHUS. Moi, l'aimer? une ingrate Qui me hait d'autant plus que mon amour la flatte? Sans parents, sans amis, sans espoir que sur moi? Je puis perdre son fils, peut-être je le doi. Etrangère... que dis-je? esclave dans Epire, Je lui donne son fils, mon ame, mon empire; Et je ne puis gagner dans son perfide cœur D'autre rang que celui de son persécuteur? Non, non, je l'ai juré, ma vengeance est certaine; Il faut bien une fois justifier sa haine : J'abandonne son fils. Que de pleurs vont couler! De quel nom sa douleur me va-t-elle appeler, Quel spectacle pour elle aujourd'hui se dispose! Elle en mourra, Phoenix, et j'en serai la cause : C'est lui mettre moi-même un poignard dans le sein. PHOENIX. Et pourquoi donc en faire éclater le dessein? PYRRHUS. Je t'entends. Mais excuse un reste de tendresse. PHOENIX. Oui, voyez-la, seigneur; et par des vœux soumis PYRRHUS. Faisons tout ce que j'ai promis, FIN DU SECOND ACTE, ACTE III. SCÈNE PREMIERE. ORESTE, PYLADE. PYLADE. Modérez donc, seigneur, cette fureur extrême : ORESTE. Non, tes conseils ne sont plus de saison, Pylade, je suis las d'écouter la raison. C'est traîner trop longtemps ma vie et mon supplice: Oui, je le veux. PYLADE. Hé bien, il la faut enlever; J'y consens. Mais songez cependant où vous êtes. Que croirait-on de vous, à voir ce que vous faites? Dissimulez calmez ce transport inquiet; : Commandez à vos yeux de garder le secret. Ces gardes, cette cour, l'air qui vous environne, ORESTE. Que sais-je? De moi-même étais-je alors le maître? La fureur m'emportait, et je venais peut-être Menacer à la fois l'ingrate et son amant. PYLADE. Et quel était le fruit de cet emportement ? ORESTE. Et quelle ame, dis-moi, ne serait éperdue Il épouse, dit-il, Hermione demain ; Il veut, pour m'honorer, la tenir de ma main. PYLADE. Vous l'accusez, seigneur, de ce dessein bizarre; ORESTE. Non, non; je le connais, mon désespoir le flatte; Jamais il ne fut plus aimé. Pensez-vous, quand Pyrrhus vous l'aurait accordée, Qu'un prétexte tout prêt ne l'eût pas retardée? M'en croirez-vous? Lassé de ses trompeurs attraits, Au lieu de l'enlever, fuyez-la pour jamais. Quoi! votre amour se veut charger d'une furie Qui vous détestera, qui, toute votre vie, Regrettant un hymen tout prêt à s'achever, Voudra... ORESTE. C'est pour cela que je veux l'enlever. Tout lui rirait, Pylade; et moi, pour mon partage, Je n'emporterais donc qu'une inutile rage? |