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Ah dieux!

ORESTE, à part.

SCENE V.

PYRRHUS, PHOENIX.

PYRRHUS.

Hé bien, Phoenix, l'amour est-il le maître? Tes yeux refusent-ils encor de me connaître?

PHOENIX.

Ah! je vous reconnais ; et ce juste courroux,
Ainsi qu'à tous les Grecs, seigneur me rend à vous.
Ce n'est plus le jouet d'une flamme servile;
C'est Pyrrhus, c'est le fils et le rival d'Achille,
Que la gloire à la fin ramène sous ses lois,
Qui triomphe de Troie une seconde fois.

PYRRHUS.

Dis plutôt qu'aujourd'hui commence ma victoire :
D'aujourd'hui seulement je jouis de ma gloire;
Et mon cœur, aussi fier que tu l'as vu soumis,
Croit avoir en l'amour vaincu mille ennemis.
Considère, Phoenix, les troubles que j'évite,
Quelle foule de maux l'amour traîne à sa suite,
Que d'amis, de devoirs, j'allais sacrifier,
Quels perils... un regard m'eût tout fait oublier :
Tous les Grecs conjurés fondaient sur un rebelle.
Je trouvais du plaisir à me perdre pour elle.

PHOENIX.

Oui, je bénis, seigneur, l'heureuse cruauté
Qui vous rend...

PYRRHUS.

Tu l'as vu comme elle m'a traité. Je pensais, en voyant sa tendresse alarmée, Que son fils me la dût renvoyer désarmée : J'allais voir le succès de ses embrassements; Je n'ai trouvé que pleurs mêlés d'emportements. Sa misère l'aigrit; et, toujours plus farouche, Cent fois le nom d'Hector est sorti de sa bouche.

Vainement à son fils j'assurais mon secours :

« C'est Hector, disait-elle en l'embrassant toujours: « Voilà ses yeux, sa bouche et déjà son audace: « C'est lui-même, c'est toi, cher époux, que j'embrasse.» Eh! quelle est sa pensée ? Attend-elle en ce jour Que je lui laisse un fils pour nourrir son amour?

PHOENIX.

Sans doute; c'est le prix que vous gardait l'ingrate. Mais laissez-la, seigneur.

PYRRHUS.

Je vois ce qui la flatte : Sa beauté la rassure; et, malgré mon courroux, L'orgueilleuse m'attend encore à ses genoux. Je la verrais aux miens, Phoenix, d'un œil tranquille. Elle est veuve d'Hector, et je suis fils d'Achille : Trop de haine sépare Andromaque et Pyrrhus.

PHOENIX.

Commencez donc, seigneur, à ne m'en parler plus.
Allez voir Hermione; et, content de lui plaire,
Oubliez à ses pieds jusqu'à votre colère.
Vous-même à cet hymen venez la disposer :
Est-ce sur un rival qu'il s'en faut reposer?
Il ne l'aime que trop.

PYRRHUS.

Crois-tu, si je l'épouse, Qu'Andromaque en son cœur n'en sera pas jalouse?

PHOENIX.

Quoi! toujours Andromaque occupe votre esprit! Que vous importe, ô dieux, sa joie ou son dépit? Quel charme, malgré vous, vers elle vous attire?

PYRRHUS.

Non, je n'ai pas bien dit tout ce qu'il lui faut dire :
Ma colère à ses yeux n'a paru qu'à demi ;
Elle ignore à quel point je suis son ennemi.
Retournons-y. Je veux la braver à sa vue.
Et donner à ma hàine une libre étendue.
Viens voir tous ses attraits, Phoenix, humiliés.
Allons.

PHOENIX.

Allez, seigneur, vous jeter à ses pieds:
Allez, en lui jurant que votre ame l'adore,
A de nouveaux mépris l'encourager encore.

PYRRHUS.

Je le vois bien, tu crois que prêt à l'excuser
Mon cœur court après elle, et cherche à s'apaiser.

PHOENIX.

Vous aimez : c'est assez.

PYRRHUS.

Moi, l'aimer? une ingrate Qui me hait d'autant plus que mon amour la flatte? Sans parents, sans amis, sans espoir que sur moi? Je puis perdre son fils, peut-être je le doi. Etrangère... que dis-je? esclave dans Epire, Je lui donne son fils, mon ame, mon empire; Et je ne puis gagner dans son perfide cœur D'autre rang que celui de son persécuteur? Non, non, je l'ai juré, ma vengeance est certaine; Il faut bien une fois justifier sa haine : J'abandonne son fils. Que de pleurs vont couler! De quel nom sa douleur me va-t-elle appeler, Quel spectacle pour elle aujourd'hui se dispose! Elle en mourra, Phoenix, et j'en serai la cause : C'est lui mettre moi-même un poignard dans le sein.

PHOENIX.

Et pourquoi donc en faire éclater le dessein?
Que ne consultiez-vous tantôt votre faiblesse?

PYRRHUS.

Je t'entends. Mais excuse un reste de tendresse.
Crains-tu pour ma colère un si faible combat?
D'un amour qui s'éteint c'est le dernier éclat.
Allons. A tes conseils, Phoenix, je m'abandonne.
Faut-il livrer son fils? faut-il voir Hermione?

PHOENIX.

Oui, voyez-la, seigneur; et par des vœux soumis
Protestez-lui...

PYRRHUS.

Faisons tout ce que j'ai promis,

FIN DU SECOND ACTE,

ACTE III.

SCÈNE PREMIERE.

ORESTE, PYLADE.

PYLADE.

Modérez donc, seigneur, cette fureur extrême :
Je ne vous connais plus; vous n'êtes plus vous-même.
Souffrez...

ORESTE.

Non, tes conseils ne sont plus de saison, Pylade, je suis las d'écouter la raison.

C'est traîner trop longtemps ma vie et mon supplice:
Il faut que je l'enlève, ou bien que je périsse.
Le dessein en est pris; je le veux achever.

Oui, je le veux.

PYLADE.

Hé bien, il la faut enlever;

J'y consens. Mais songez cependant où vous êtes. Que croirait-on de vous, à voir ce que vous faites? Dissimulez calmez ce transport inquiet;

:

Commandez à vos yeux de garder le secret.

Ces gardes, cette cour, l'air qui vous environne,
Tout dépend de Pyrrhus, et surtout Hermione.
A ses regards surtout cachez votre courroux.
O dieux! en cet état pourquoi la cherchiez-vous?

ORESTE.

Que sais-je? De moi-même étais-je alors le maître? La fureur m'emportait, et je venais peut-être Menacer à la fois l'ingrate et son amant.

PYLADE.

Et quel était le fruit de cet emportement ?

ORESTE.

Et quelle ame, dis-moi, ne serait éperdue
Du coup dont ma raison vient d'être confondue?

Il épouse, dit-il, Hermione demain ;

Il veut, pour m'honorer, la tenir de ma main.
Ah! plutôt cette main dans le sang du barbare...

PYLADE.

Vous l'accusez, seigneur, de ce dessein bizarre;
Cependant, tourmenté de ses propres desseins,
Il est peut-être à plaindre autant que je vous plains.

ORESTE.

Non, non; je le connais, mon désespoir le flatte;
Sans moi, sans mon amour, il dédaignait l'ingrate;
Ses charmes jusque-là n'avaient pu le toucher :
Le cruel ne la prend que pour me l'arracher.
Ah dieux! c'en était fait: Hermione gagnée
Pour jamais de sa vue allait être éloignée;
Son cœur, entre l'amour et le dépit confus,
Pour se donner à moi n'attendait qu'un refus;
Ses yeux s'ouvraient, Pylade; elle écoutait Oreste,
Lui parlait, le plaignait... Un mot eût fait le reste.

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Jamais il ne fut plus aimé. Pensez-vous, quand Pyrrhus vous l'aurait accordée, Qu'un prétexte tout prêt ne l'eût pas retardée? M'en croirez-vous? Lassé de ses trompeurs attraits, Au lieu de l'enlever, fuyez-la pour jamais. Quoi! votre amour se veut charger d'une furie Qui vous détestera, qui, toute votre vie, Regrettant un hymen tout prêt à s'achever, Voudra...

ORESTE.

C'est pour cela que je veux l'enlever. Tout lui rirait, Pylade; et moi, pour mon partage, Je n'emporterais donc qu'une inutile rage?

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