Thébaïde, c'est à dire le sujet le plus tragique de l'antiquité. L'amour, qui d'ordinaire a tant de part dans les tragédies, n'en a presque point ici; et je doute que je lui en donnasse davantage si c'était à recommencer; car il faudrait, ou que l'un des deux frères fût amoureux, ou tous les deux ensemble. Et quelle apparence de leur donner d'autres intérêts que ceux de cette fameuse haine qui les occupait tout entiers? Ou bien il faut jeter l'amour sur un des seconds personnages, comme j'ai fait; et alors cette passion, qui devient comme étrangère au sujet, ne peut produire que de médiocres effets. En un mot, je suis persuadé que les tendresses ou les jalousies des amants ne sauraient trouver que fort peu de place parmi les incestes, les parricides, et toutes les autres horreurs qui composent l'histoire d'OEdipe et de sa malheureuse famille. PERSONNAGES. ÉTÉOCLE, roi de Thèbes. POLYNICE, frère d'Etéocle. JOCASTE, mère de ces deux princes et d'Antigone. ANTIGONE, sœur d'Etéocle et de Polynice. CRÉON, oncle des princes et de la princesse. ATTALE, confident de Créon. UN SOLDAT de l'armée de Polynice. UN PAGE. Gardes. La scène est à Thèbes, dans une salle du palais. OU LES FRÈRES ENNEMIS. ACTE PREMIER. SCÈNE PREMIÈRE. JOCASTE, OLYMPE. JOCASTE. Ils sont sortis, Olympe! Ah, mortelles douleurs! OLYMPE. Du haut de la muraille Je les ai vus déjà tous rangés en bataille; JOCASTE. N'en doutons plus, Olympe, ils se vont égorger. Que l'on coure avertir et hâter la princesse ; Nous voici donc, hélas! à ce jour détestable Et peux-tu sans horreur voir ce que nous voyons? Tu peux voir sans frayeur les crimes de mes fils, SCÈNE II. JOCASTE, ANTIGONE, OLYMPE. JOCASTE. Ma fille, avez-vous su l'excès de nos misères? ANTIGONE. Qui, madame; on m'a dit la fureur de mes frères. JOCASTE. Allons, chère Antigone, et courons de ce pas Arrêter, s'il se peut, leurs parricides bras. Allons leur faire voir ce qu'ils ont de plus tendre; Voyons si contre nous ils pourront se défendre, Ou s'ils oseront bien, dans leur noire fureur, Répandre notre sang pour attaquer le leur. ANTIGONE. Madame, c'en est fait, voici le roi lui-même. SCENE III. JOCASTE, ÉTÉOCLE, ANTIGONE, OLYMPE. JOCASTE. Olympe, soutiens-moi; ma douleur est extrême. ÉTÉOCLE. Madame, qu'avez-vous? et quel trouble... JOCASTE. Ah, mon fils! Quelles traces de sang vois-je sur vos habits? Est-ce du sang d'un frère? ou n'est-ce point du vôtre? ÉTEOCLE. Non, madame, ce n'est ni de l'un ni de l'autre. JOCASTE. Mais que prétendiez-vous et quelle ardeur soudaine Vous a fait tout à coup descendre dans la plaine? ÉTEOCLE. Madame, il était temps que j'en usasse ainsi, Le peuple, à qui la faim se faisait déjà craindre, Laisseront Thèbes libre, ou mourront à mes pieds. JOCASTE. Vous pourriez d'un tel sang, ô ciel! souiller vos armes ? |