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Thébaïde, c'est à dire le sujet le plus tragique de l'antiquité.

L'amour, qui d'ordinaire a tant de part dans les tragédies, n'en a presque point ici; et je doute que je lui en donnasse davantage si c'était à recommencer; car il faudrait, ou que l'un des deux frères fût amoureux, ou tous les deux ensemble. Et quelle apparence de leur donner d'autres intérêts que ceux de cette fameuse haine qui les occupait tout entiers? Ou bien il faut jeter l'amour sur un des seconds personnages, comme j'ai fait; et alors cette passion, qui devient comme étrangère au sujet, ne peut produire que de médiocres effets. En un mot, je suis persuadé que les tendresses ou les jalousies des amants ne sauraient trouver que fort peu de place parmi les incestes, les parricides, et toutes les autres horreurs qui composent l'histoire d'OEdipe et de sa malheureuse famille.

PERSONNAGES.

ÉTÉOCLE, roi de Thèbes.

POLYNICE, frère d'Etéocle.

JOCASTE, mère de ces deux princes et d'Antigone.

ANTIGONE, sœur d'Etéocle et de Polynice.

CRÉON, oncle des princes et de la princesse.
HÉMON, fils de Créon, amant d'Antigone.
OLYMPE, confidente de Jocaste.

ATTALE, confident de Créon.

UN SOLDAT de l'armée de Polynice.

UN PAGE.

Gardes.

La scène est à Thèbes, dans une salle du palais.

OU

LES FRÈRES ENNEMIS.

ACTE PREMIER.

SCÈNE PREMIÈRE.

JOCASTE, OLYMPE.

JOCASTE.

Ils sont sortis, Olympe! Ah, mortelles douleurs!
Qu'un moment de repos me va coûter de pleurs!
Mes yeux depuis six mois étaient ouverts aux larmes,
Et le sommeil les ferme en de telles alarmes!
Puisse plutôt la mort les fermer pour jamais,
Et m'empêcher de voir le plus noir des forfaits!
Mais en sont-ils aux mains?

OLYMPE.

Du haut de la muraille

Je les ai vus déjà tous rangés en bataille;
J'ai vu déjà le fer briller de toutes parts;
Et pour vous avertir j'ai quitté les remparts.
J'ai vu, le fer en main, Etéocle lui-même;
Il marche des premiers; et, d'une ardeur extrême,
Il montre aux plus hardis à braver le danger.

JOCASTE.

N'en doutons plus, Olympe, ils se vont égorger.
(à un page.)

Que l'on coure avertir et hâter la princesse ;
Je l'attends. Juste ciel, soutenez ma faiblesse !
Il faut courir, Olympe, après ces inhumains;
11 les faut séparer, on mourir par leurs mains.

Nous voici donc, hélas! à ce jour détestable
Dont la seule frayeur me rendait miserable!
Ni prières ni pleurs ne m'ont de rien servi;
Et le courroux du sort voulait être assouvi.
O toi, Soleil, ô toi qui rends le jour au monde,
Que ne l'as-tu laissé dans une nuit profonde!
A de si noirs forfaits prêtes-tu tes rayons?

Et peux-tu sans horreur voir ce que nous voyons?
Mais ces monstres, hélas? ne t'épouvantent guères :
La race de Laïus les a rendus vulgaires;

Tu peux voir sans frayeur les crimes de mes fils,
Après ceux que le père et la mère ont commis.
Tu ne t'étonnes pas si mes fils sont perfides,
S'ils sont tous deux méchants, et s'ils sont parricides:
Tu sais qu'ils sont sortis d'un sang incestueux,
Et tu t'étonnerais s'ils étaient vertueux.

SCÈNE II.

JOCASTE, ANTIGONE, OLYMPE.

JOCASTE.

Ma fille, avez-vous su l'excès de nos misères?

ANTIGONE.

Qui, madame; on m'a dit la fureur de mes frères.

JOCASTE.

Allons, chère Antigone, et courons de ce pas Arrêter, s'il se peut, leurs parricides bras. Allons leur faire voir ce qu'ils ont de plus tendre; Voyons si contre nous ils pourront se défendre, Ou s'ils oseront bien, dans leur noire fureur, Répandre notre sang pour attaquer le leur.

ANTIGONE.

Madame, c'en est fait, voici le roi lui-même.

SCENE III.

JOCASTE, ÉTÉOCLE, ANTIGONE, OLYMPE.

JOCASTE.

Olympe, soutiens-moi; ma douleur est extrême.

ÉTÉOCLE.

Madame, qu'avez-vous? et quel trouble...

JOCASTE.

Ah, mon fils!

Quelles traces de sang vois-je sur vos habits?

Est-ce du sang d'un frère? ou n'est-ce point du vôtre?

ÉTEOCLE.

Non, madame, ce n'est ni de l'un ni de l'autre.
Dans son camp jusqu'ici Polynice arrêté,
Pour combattre, à mes yeux ne s'est point présenté.
D'Argiens seulement une troupe hardie
M'a voulu de nos murs disputer la sortie;
J'ai fait mordre la poudre à ces audacieux;
Et leur sang est celui qui paraît à vos yeux.

JOCASTE.

Mais que prétendiez-vous et quelle ardeur soudaine Vous a fait tout à coup descendre dans la plaine?

ÉTEOCLE.

Madame, il était temps que j'en usasse ainsi,
Et je perdais ma gloire à demeurer ici.

Le peuple, à qui la faim se faisait déjà craindre,
De mon peu de vigueur commençait à se plaindre,
Me reprochant déjà qu'il m'avait couronné,
Et que j'occupais mal le rang qu'il m'a donné.
Il le faut satisfaire; et, quoi qu'il en arrive,
Thèbes dès aujourd'hui ne sera plus captive:
Je veux, en n'y laissant aucun de mes soldats,
Qu'elle soit seulement juge de nos combats.
J'ai des forces assez pour tenir la campagne,
Et si quelque bonheur nos armes accompagne,
L'insolent Polynice et ses fiers allies

Laisseront Thèbes libre, ou mourront à mes pieds.

JOCASTE.

Vous pourriez d'un tel sang, ô ciel! souiller vos armes ?
La couronne pour vous a-t-elle tant de charmes!
Si par un parricide il la fallait gagner,
Ah, mon fils, à ce prix voudriez-vous régner?

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