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Je vous connais toujours, et suis toujours le même.

ANTIGONE.

Est-ce m'aimer, cruel, autant que je vous aime,
Que d'être inexorable à mes tristes soupirs.
Et m'exposer encore à tant de déplaisirs !

POLYNICE.

Mais vous-même, ma sœur, est-ce aimer votre frère
Que de lui faire ainsi cette injuste prière,
Et me vouloir ravir le sceptre de la main?
Dieux! Qu'est-ce qu'Etéocle a de plus inhumain?
C'est trop favoriser un tyran qui m'outrage.

ANTIGONE.

Non, non, nos intérêts me touchent davantage.
Ne croyez pas mes pleurs perfides à ce point;
Avec nos ennemis ils ne conspirent point.
Cette paix que je veux me serait un supplice,
S'il en devait coûter le sceptre à Polynice;
Et l'unique faveur, mon frère, où je prétends,
C'est qu'il me soit permis de vous voir plus longtemps.
Seulement quelques jours souffrez que l'on vous voie;
Et donnez-nous le temps de chercher quelque voie
Qui puisse vous remettre au rang de vos aïeux,
Sans que vous répandiez un sang si précieux.
Pouvez-vous refuser cette grace légère

Aux larmes d'une sœur, aux soupirs d'une mère?

JOCASTE.

Mais quelle crainte encor vous peut inquiéter?
Pourquoi si promptement voulez-vous nous quitter?
Quoi! ce jour tout entier n'est-il pas de la trève?
Dès qu'elle a commencé, faut-il qu'elle s'achève?
Vous voyez qu'Etéocle a mis les armes bas :
Il veut que je vous voie et vous ne voulez pas.

ANTIGONE.

Oui, mon frère, il n'est pas comme vous inflexible.
Aux larmes de sa mère il a paru sensible;
Mes pleurs ont désarmé sa colère aujourd'hui.
Vous l'appelez cruel, vous l'êtes plus que lui.

HÉMON.

[peine

Seigneur, rien ne vous presse; et vous pouvez sans
Laisser agir encor la princesse et la reine :
Accordez tout ce jour à leur pressant désir,
Voyons si leur dessein ne pourra réussir.
Ne donnez pas la joie au prince votre frère
De dire que sans vous la paix se pouvait faire.
Vous aurez satisfait une mère, une sœur,

Et vous aurez surtout satisfait votre honneur.
Mais que veut ce soldat? son ame est tout émue!

SCENE IV.

JOCASTE, POLYNICE, ANTIGONE, HÉMON, UN SOLDAT.

LE SOLDAT à Polynice.

Seigneur, on est aux mains, et la trève est rompue :
Créon et les Thébains, par ordre de leur roi,
Attaquent votre armée, et violent leur foi.
Le brave Hippomédon s'efforce, en votre absence,
De soutenir le choc de toute sa puissance.

Par son ordre, seigneur, je viens vous avertir.

POLYNICE.

Ah! les traîtres! Allons, Hémon, il faut sortir.
(A la reine.)
Madame, vous voyez comme il tient sa parole:
Mais il veut le combat, il m'attaque, et j'y vole.

JOCASTE.

Polynice' Mon fils !................ Mais il ne m'entend plus;
Aussi bien que mes pleurs, mes cris sont superflus.
Chère Antigone, allez, courez à ce barbare:
Du moins, allez prier Hémon qu'il les sépare.
La force m'abandonne, et je n'y puis courir;
Tout ce que je puis faire, hélas! c'est de mourir,

FIN BU SECOND ACTE.

ACTE III.

SCÈNE PREMIÈRE.

JOCASTE, OLYMPE.

JOCASTE.

Olympe, va-t'en voir ce funeste spectacle;
Va voir si leur fureur n'a point trouvé d'obstacle,
Si rien n'a pu toucher l'un ou l'autre parti.
On dit qu'à ce dessein Ménécée est sorti.

OLYMPE.

Je ne sais quel dessein animait son courage,
Une héroïque ardeur brillait sur son visage;
Mais vous devez, madame, espérer jusqu'au bout.

JOCASTE.

Va tout voir, chère Olympe, et me viens dire tout; Eclaircis promptement ma triste inquiétude.

OLYMPE.

Mais vous dois-je laisser en cette solitude?

JOCASTE.

Va: je veux être seule en l'état où je suis,
Si toutefois on peut l'être avec tant d'ennuis!

SCENE II.

JOCASTE.

Dureront-ils toujours ces ennuis si funestes?
N'épuiseront-ils point les vengeances célestes?
Me feront-ils souffrir tant de cruels trépas,
Sans jamais au tombeau précipiter mes pas?
O ciel, que tes rigueurs seraient peu redoutables,
Si la foudre d'abord accablait les coupables!
Et que tes châtiments paraissent infinis,
Quand tu laisses la vie à ceux que tu punis!

T. I.

3

Tu ne l'ignores pas, depuis le jour infame

Où de mon propre fils je me trouvai la femme,
Le moindre des tourments que mon cœur a soufferts
Egale tous les maux que l'on souffre aux enfers.
Et toutefois, ô dieux, un crime involontaire
Devait-il attirer toute votre colère?

Le connaissais-je, hélas ! ce fils infortuné?
Vous-mêmes dans mes bras vous l'avez amené.
C'est vous dont la rigueur m'ouvrit ce précipice.
Voilà de ces grands dieux la suprême justice!
Jusques au bord du crime ils conduisent nos pas :
Ils nous le font commettre, et ne l'excusent pas !
Prennent-ils donc plaisir à faire des coupables,
Afin d'en faire, après, d'illustres misérables?
Et ne peuvent-ils point, quand ils sont en courroux,
Chercher des criminels à qui le crime est doux?

SCENE III.

JOCASTE, ANTIGONE.

JOCASTE.

Hé bien! en est-ce fait? l'un ou l'autre perfide
Vient-il d'exécuter son noble parricide?

Parlez, parlez, ma fille.

ANTIGONE.

Ah, madame, en effet

L'oracle est accompli, le ciel est satisfait.

JOCASTE.

Quoi ! mes deux fils sont morts?

ANTIGONE.

Un autre sang, madame, Rend la paix à l'état, et le calme à votre ame; Un sang digne des rois dont il est découlé, Un héros pour l'état s'est lui-même immolé. Je courais pour fléchir Hémon et Polynice; Ils étaient déjà loin, avant que je sortisse; Ils ne m'entendaient plus; et mes cris douloureux Vainement par leur nom les rappelaient tous deux.

Ils ont tous deux volé vers le champ de bataille;
Et moi, je suis montée au haut de la muraille,
D'où le peuple étonné regardait, comme moi,
L'approche d'un combat qui le glaçait d'effroi.
A cet instant fatal, le dernier de nos princes,
L'honneur de votre sang, l'espoir de nos provinces,
Ménécée, en un mot, digne frère d'Hémon,
Et trop indigne aussi d'être fils de Créon,
De l'amour du pays montrant son ame atteinte,
Au milieu des deux camps s'est avancé sans crainte;
Et se faisant ouïr des Grecs et des Thébains :
a Arrêtez, a-t-il dit : arrêtez, inhumains! »
Ces mots impérieux n'ont point trouvé d'obstacle:
Les soldats, étonnés de ce nouveau spectacle,
De leur noire fureur ont suspendu le cours;
Et ce prince aussitôt poursuivant son discours:
« Apprenez, a-t-il dit, l'arrêt des destinées
«Par qui vous allez voir vos misères bornées.
« Je suis le dernier sang de vos rois descendu,
« Qui par l'ordre des dieux doit être répandu.
« Recevez donc ce sang que ma main va répandre;
« Et recevez la paix, où vous n'osiez prétendre. »
Il se tait, et se frappe en achevant ces mots :
Et les Thébains, voyant expirer ce héros,
Comme si leur salut devenait leur supplice,
Regardent en tremblant ce noble sacrifice.
J'ai vu le triste Hémon abandonner son rang
Pour venir embrasser ce frère tout en sang.
Créon, à son exemple, a jeté bas les armes
Et vers ce fils mourant est venu tout en larmes;
Et l'un et l'autre camp, les voyant retirés,
Ont quitté le combat, et se sont séparés.
Et moi, le cœur tremblant et l'ame tout émue,
D'un si funeste objet j'ai détourné la vue,
De ce prince admirant l'héroïque fureur.

JOCASTE.

Comme vous je l'admire, et j'en frémis d'horreur. Est-il possible, ô dieux, qu'après ce grand miracle Le repos des Thébains trouve encor quelque obstacle?

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