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de l'intention ni de la diligence des auteurs. On examina d'abord mon amusement comme on aurait fait une tragédie. Ceux mêmes qui s'y étaient le plus divertis eurent peur de n'avoir pas ri dans les règles, et trouvèrent mauvais que je n'eusse pas songé plus sérieusement à les faire rire. Quelques autres s'imaginèrent qu'il était bienséant à eux de s'y ennuyer, et que les manières du palais ne pouvaient pas être un sujet de divertissement pour les gens de la cour. La pièce fut bientôt après jouée à Versailles. On ne fit point scrupule de se réjouir; et ceux qui avaient cru se déshonorer de rire à Paris, furent peut-être obligés de rire à Versailles pour se faire honneur.

Ils auraient tort à la vérité s'ils me reprochaient d'avoir fatigué leurs oreilles de trop de chicane. C'est une langue qui m'est bien plus étrangère qu'à personne; et je n'en ai employé que quelques mots barbares que je puis avoir appris dans le cours d'un procès que ni mes juges ni moi n'avons jamais bien entendu.

Si j'appréhende quelque chose, c'est que des personnes un peu sérieuses ne traitent de badineries le procès du chien et les extravagances du juge. Mais enfin je traduis Aristophane, et l'on doit se souvenir qu'il avait affaire à des spectateurs assez difficiles. Les Athéniens savaient apparemment ce que c'était que le sel attique; ils étaient bien sûrs, quand ils avaient ri d'une chose, qu'ils n'avaient pas ri d'une sollise.

Pour moi, je trouve qu'Aristophane a eu raison de pousser les choses au delà du vraisemblable. Les juges de l'Aréopage n'auraient pas peut-être trouvé bon qu'il cût marqué au naturel leur avidité de ga

gner, les bons tours de leurs secrétaires, et les forfanteries de leurs avocats. Il était à propos d'outrer un peu les personnages pour les empêcher de se reconnaître. Le public ne laissait pas de discerner le vrai au travers du ridicule : et je m'assure qu'il vaut mieux avoir occupé l'impertinente éloquence de deux ortateurs autour d'un chien accusé, que si l'on avait mis sur la sellette un véritable criminel, et qu'on eût intéressé les spectateurs à la vie d'un homme.

Quoi qu'il en soit, je puis dire que notre siècle n'a pas été de plus mauvaise humeur que le sien ; et que si le but de ma comédie était de faire rire, jamais comédie n'a mieux attrapé son but. Ce n'est pas que j'attende un grand honneur d'avoir assez longtemps rejoui le monde; mais je me sais quelque gré de l'avoir fait sans qu'il m'en ait coûté une seule de ces sales équivoques et de ces malhonnêtes plaisanteries qui coûtent maintenant si peu à la plupart de nos écrivains, et qui font retomber le théâtre dans la turpitude d'où quelques auteurs modestes l'avaient tiré.

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La scène est dans une ville de Basse-Normandie.

ACTE PREMIER.

SCENE PREMIÈRE.

PETIT-JEAN, traînant un gros sac de procès. Ma foi, sur l'avenir bien fou qui se fiera. Tel qui rit vendredi, dimanche pleurera. Un juge, l'an passé, me prit à son service; Il m'avait fait venir d'Amiens pour être suisse. Tous ces Normands voulaient se divertir de nous : On apprend à hurler, dit l'autre, avec les loups. Tout Picard que j'étais, j'étais un bon apôtre, Et je faisais claquer mon fouet tout comme un autre. Tous les plus gros Monsieurs me parlaient chapeau bas; Monsieur de Petit-Jean, ah! gros comme le bras! Mais sans argent l'honneur n'est qu'une maladie. Ma foi, j'étais un franc portier de comédie: On avait beau heurter et m'ôter son chapeau, On n'entrait point chez nous sans graisser le marteau. Point d'argent, point de suisse; et ma porte était close. Il est vrai qu'à monsieur j'en rendais quelque chose: Nous comptions quelquefois, On me donnait le soin De fournir la maison de chandelle et de foin : Mais je n'y perdais rien. Enfin, vaille que vaille, J'aurais sur le marché fort bien fourni la paille. C'est dommage: il avait le cœur trop au métier; Tous les jours le premier aux plaids, et le dernier; Et bien souvent tout seul, si l'on l'eût voulu croire, Il s'y serait couché sans manger et sans boire. Je lui disais par fois : « Monsieur Perrin Dandin, Tout franc, vous vous levez tous les jours trop matin.

« Qui veut voyager loin ménage sa monture;
« Buvez, mangez, dormez, et faisons feu qui dure. »
Il n'en a tenu compte. Il a si bien veillé

Et si bien fait, qu'on dit que son timbre est brouillé.
Il nous veut tous juger les uns après les autres.
Il marmotte toujours certaines patenôtres

Où je ne comprends rien. Il veut, bon gré, mal gré,
Ne se coucher qu'en robe et qu'en bonnet carré.
Il fit couper la tête à son coq, de colère,

Pour l'avoir éveillé plus tard qu'à l'ordinaire ;
Il disait qu'un plaideur, dont l'affaire allait mal,
Avait graissé la patte de ce pauvre animal.
Depuis ce bel arrêt, le pauvre homme a beau faire,
Son fils ne souffre plus qu'on lui parle d'affaire.
Il nous le fait garder jour et nuit, et de près :
Autrement, serviteur, et mon homme est aux plaids.
Pour s'échapper de nous, Dieu sait s'il est alègre.
Pour moi, je ne dors plus : aussi je deviens maigre,
C'est pitié. Je m'étends, et ne fais que bâiller.
Mais, veille qui voudra, voici mon oreiller.
Ma foi! pour cette nuit il faut que je m'en donne!
Pour dormir dans la rue on n'offense personne.
Dormons. (Il se couche par terre.)

SCÈNE II.

L'INTIME, PETIT-JEAN.

L'INTIME.

Hé, Petit-Jean! Petit-Jean!

PETIT-JEAN.

L'Intime!

(A part.)

Il a déjà bien peur de me voir enrhumé.

L'INTIME.

Que diable! si matin que fais-tu dans la rue?

PETIT-JEAN.

Est-ce qu'il faut toujours faire le pied de grue?

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