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qui ont été heureuses, comme l'on sait. Ainsi, il ne m'a pas été permisde le représenter aussi méchant qu'il a étédepuis. Je ne le représente pas non plus comme un homme vertueux; caril ne l'a jamaisété. Il n'a pas encore tué sa mère, sa femme, ses gouverneurs; maisila en lui les semences de tous ces crimes: il commence à vouloir secouer le joug. Il les hait tous les uns et les autres; il leur cache sa haine sous de fausses caresses, factus natura velare odium fallacibus blanditiis (1). En un mot, c'est ici un monstre naissant, mais qui n'ose encore se déclarer, et qui cherche des couleurs à ses méchantes actions: Hactenus Nero flagitiis et sceleribus velamenta quæsivit (2). Il ne pouvait souffrir Octavie, princesse d'une bonté et d'une vertu exemplaires, fato quodam, an quia prævalent illicita, metuebaturque ne in stupra feminarum illustrium prorumperet (3).

Je lui donne Narcisse pour confident. J'ai suivi en cela Tacite, qui dit que Néron porta impatiemment la mort de Narcisse, parce que cet affranchi avait une conformité merveilleuse avec les vices du prince encore cachés; cujus abditis adhuc vitiis mire congruebat. Ce passage prouve deux choses: il prouve et que Néron était déjà vicieux, mais qu'il dissimulait ses vices, et que Narcisse l'entretenait dans ses mauvaises inclinations.

J'ai choisi Burrhus pour opposer un honnête homme à cette peste de cour; et je l'ai choisi plutôt que Sénèque; en voici la raison: Ils étaient tous deux gouverneurs de la jeunesse de Néron, l'un pour les armes, l'autre pour les lettres; et ils étaient fameux, Burrhus pour son expérience dans les armes et pour la sévérité de ses mœurs, militaribus curis et servitate morum; Sénèque pour son éloquence et le tour agreable de son esprit, Seneca præceptis eloquentiæ et comi

(1) Tacite, Annales, Liv. XIV, cap. 56.
(2) Ibid., Liv. XIII, cap. 47.
(3)Ibid., Liv. XIII, cap. 12.

tate honestà (1). Burrhus, après sa mort, fut extrêmement regretté à cause de sa vertu : Civitati grande desiderium ejus mansit per memoriam virtutis (2).

Toute leur peine était de résister à l'orgueil et à la férocité d'Agrippine, quæ, cunctis malæ dominationis cupidinibus firagrans, habebat in partibus Pallantem (3). Je ne dis que ce mot d'Agrippine, car il yaurait trop de choses à en dire. C'est elle que je me suis surtout efforcé de bien exprimer; et ma tragédie n'est pas moins la disgrâce d'Agrippine, que la mortde Britannicus. « Cette mort fut un coup de fou«dre pour elle et il parut, dit Tacite, par sa frayeur « et par sa consternation, qu'elle était aussi inno«cente de cette mort qu'Octavie. Agrippine per"dait en lui sa dernière espérance, et ce crime lui « en faisait craindre un plus grand: » Sibi supremum auxilium ereptum et parricidii exemplum intelligebat (4).

L'âge de Britannicus était si connu qu'il ne m'a pas été permis de le représenter autrement que comme un jeune prince qui avait beaucoup de cœur, beaucoup d'amour et beaucoup de franchise, qualités ordinaires d'un jeune homme. Il avait quinze ans et l'on dit qu'il avait beaucoup d'esprit, soit qu'on dise vrai, ou que ses malheurs aient fait croire cela de lui, sans qu'il ait pu en donner de marque: Neque segnem ei fuisse indolem ferunt; sive verum, seu periculis commendatus retinuit famam sine experimento.

Il ne faut pas s'étonner s'il n'a auprès de lui qu'un aussi méchant homme que Narcisse; car il y avait long-temps qu'on avait donné ordre qu'il n'y eût auprès de Britannicus que des gens qui n'eussent ni foi ni honneur. Nam, ut proximus quisque Britannico, ne

(1) Tacite, Annales, Liv. XIII, cap. 2.
(2) Ibid., Liv. XIV, cap. 51.

(3) Ibid., Liv. XIII, cap. 2.
(4) Ibid., Liv. XIII, cap. 26.
(5) Ibid., Liv. XII, cap. 25.

que fas neque fidem pensi haberet, olim provisum erat. (1)

Il me reste à parlerde Junie. Il ne la faut pas confondre avec une vieille coquette qui s'appelait Junia Silana. C'est ici une autre Junie, que Tacite appelle Junia Calvina, de la famille d'Auguste, sœur de Silanus, à qui Claudius avait promis Octavie. Cette Junie était jeune, belle, et comme dit Sénèque, festivissima omnium puellarum. « Son frère et elle s'aimaient • tendrement; et leurs ennemis, dit Tacite, les ac<< cusèrent tous deux d'inceste, quoiqu'ils ne fussent <coupables que d'un peu d'indiscrétion. » Elle vécut jusqu'au règne de Vespasien.

Je la fais entrer dans les vestales, quoique, selon Aulu-Gelle, on n'y reçût jamais personne au-dessous de six ans, ni au-dessus de dix. Mais le peuple prend ici Junie sous sa protection; et j'ai cru qu'en considération de sa naissance, de sa vertu et de son malheur, il pouvait la dispenser de l'âge prescrit par les lois, comme il a dispensé de l'âge pour le consulat tant de grands hommes qui avaient mérité ce privilège.

(1) Tacite, Annales, Liv. XIII, cap. 15.

PERSONNAGES.

NÉRON, empereur, fils d'Agrippine.

BRITANNICUS, fils de Messaline et de l'empereur Claudius.

AGRIPPINE, veuve de Domitius Enobarbus, père de Néron, et, en secondes noces, veuve de l'empereur Claudius.

JUNIE, amante de Britannicus.

BURRHUS, gouverneur de Néron.
NARCISSE, gouverneur de Britannicus.
ALBINE, confidente d'Agrippine.

GARDES.

La scène est à Rome, dans une chambre du palais de Néron.

ACTE PREMIER.

SCÈNE PREMIÈRE.

AGRIPPINE, ALBINE.

ALBINE.

Quoi! tandis que Néron s'abandonne au sommeil,
Faut-il que vous veniez attendre son réveil?
Qu'errant dans le palais, sans suite et sans escorte,
La mère de César veille seule à sa porte?
Madame, retournez dans votre appartement.

AGRIPPINE.

Albine, il ne faut pas s'éloigner un moment.
Je veux l'attendre ici : les chagrins qu'il me cause
M'occuperont assez tout le temps qu'il repose.
Tout ce que j'ai prédit n'est que trop assuré;
Contre Britannicus Néron s'est déclaré.
L'impatient Néron cesse de se contraindre;
Las de se faire aimer, il veut se faire craindre.
Britannicus le gène, Albine; et chaque jour
Je sens que je deviens importune à mon tour.

ALBINE.

Quoi! vous à qui Néron doit le jour qu'il respire;
Qui l'avez appelé de si loin à l'empire;

Vous qui, déshéritant le fils de Claudius,
Avez nommé César l'heureux Domitius?

Tout lui parle, madame, en faveur d'Agrippine :
Il vous doit son amour.

T. II.

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