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LA CRITIQUE DES TEXTES GRECS

A L'ÉCOLE PRATIQUE DES HAUTES ÉTUDES.

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Lorsque parurent (de 1872 à 1874), à peu près en même temps que l'édition de Weil, à qui elles furent communiquées, partiellement du moins, avant de l'être au public, les sept livraisons de nos Exercices critiques où sont contenues nos premières conjectures sur Démosthène (environ quatre-vingts portant sur une vingtaine de discours), l'opinion générale en France et ailleurs, au sujet de l'état de conservation où nous sont parvenues les œuvres de cet orateur était à peu de chose près celle qu'exprimait en ces termes, dans un entretien avec celui qui était encore notre maître unique, un des meilleurs philologues dont s'honorât alors notre pays : « Qu'y a-t-il à faire sur le texte de Démosthène ? » Le fait est qu'abstraction faite de Reiske, qui s'est bien souvent trompé 1, et de Dobrée, le vrai maître de la critique démosthénique, qui n'a pu cependant tout trouver à lui seul, presque rien, rien de durable au moins, n'avait encore été fait. La découverte de la valeur propre et incomparable du ms. 2, qui ruina de fond en cornble le texte ancien, fut accueillie par la critique en général comme une révélation. Ceux mêmes qui ne craignaient pas d'encourir le reproche de témérité en corrigeant librement le texte traditionnel de Sophocle ou de Thucydide, se montrèrent dévots jusqu'à la superstition à l'égard des leçons de 2, comme ils auraient pu l'être vis-à-vis de l'autographe même de Démosthène. On alla,

1. On

1

nous saura gré, croyons-nous, de reproduire ici le jugement de G. H. Schaefer sur Reiske, jugement qui nous parait d'une vérité parfaite, et qu'il peut être utile d'extraire d'une énorme compilation qu'on ne lit plus guère (Apparatus criticus et exegeticus ad Demosthenem: sur la page 185, ligne 26): « Quam.... si quis forte miretur Reiskium ignorasse, sciat virum summum flocci fecisse r

a

*, nihilque aliud quam Graecos omnium aetatum scriptores pervolutasse. Hoc usu, non grammatica doctrina, consecutus est diffusissimam Graeca"rum litterarum scientiam, quae nostrum perpaucis et haud scio an nulli obtigit, sed adeo non accuratam subactamque, ut passim implicaretur erroribus a quibus tirunculi schemata satis callentes sibi facile caveant. Sic factum est ut Reiskius haud raro vapularet ab hominibus longe longeque infra se positis, quos deceret adsurgere ingenio tam capitali.

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REVUE DE PHILOLOGIE Janvier 1883.

VII.

3.

croyons-nous, jusqu'à parler d'infaillibilité 1. A ceux qui prétendaient que les textes anciens ne nous étaient parvenus qu'à travers des vicissitudes qui avaient rendu les altérations inévitables, on opposait, après l'Urbinas d'Isocrate, le Σ de Démosthène.

Il y avait donc en 1872 une certaine hardiesse à procéder envers Démosthène à peu près comme on aurait fait à l'égard de tout autre auteur. C'était porter l'effort de la critique conjecturale justement sur le point où presque tout le monde prétendait qu'elle n'avait que faire. C'était attaquer la tradition dans ce qui passait pour son fort, aux yeux de ses défenseurs comme dans le camp opposé. Depuis cette époque, la face des choses a quelque peu changé : aux travaux des Funkhaenel, des Voemel, des Sauppe, ont succédé ceux de Cobet et de son école. L'imprenable citadelle est vigoureusement attaquée du côté de la Hollande : sans doute elle ne tardera guère à l'être du côté de l'Allemagne. On nous permettra bien de rappeler ici, non sans une certaine satisfaction, que nous n'avons pas attendu, pour tenter l'entreprise, les exemples illustres dont peuvent s'autoriser aujourd'hui ceux qui voudront la continuer 2.

La continuer, disons-nous. Nous pensons, en effet, que tout n'est pas dit sur le texte de Démosthène. On trouvera plus loin nos observations critiques sur trois harangues. Elles sont assez nombreuses elles le seraient bien davantage si nous n'avions mieux aimé passer sous silence beaucoup de passages altérés à notre sens, mais que nous ne saurions comment corriger; elles le seraient bien plus encore, si nous avions voulu mentionner toutes celles des corrections antérieurement proposées qui nous parais

1. Un des nôtres nous rapporte le mot (vaμápтntos) qu'il dit tenir de la bouche de M. Cobet. Nous n'avons pas besoin d'ajouter que le célèbre helléniste ne pouvait aucunement exprimer par là sa propre opinion.

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2. M. Cobet n'avait pas encore appliqué sa critique, au moins d'une manière suivie, au texte de Démosthène. Il est vrai qu'il avait déjà écrit au sujet du ms. Σ ces lignes, qu'aujourd'hui même il n'est pas superflu de citer: Codicibus quoque nil prodest auctorem generis nobilem habere si ab ejus virtutibus degenerave- rint. Indignaretur Atticus, si videret quales hodie libri pro optimis habeantur, et « ad sua exemplaria exacti et correcti esse dicantur. Videret vitiosis et ineptis scripturis et soloecismis obsitos, deinde correctorum omne genus levitate et temeritate interpolatos, videret additamenta sciolorum passim adhaesisse, interpretamenta in locum genuinae lectionis irrepsisse, linguae antiquae Atticae « usum in plurimis refictum ad recentiorem consuetudinem, orthographiae nullam certam rationem constare, denique multa esse monstra et portenta vocabulo« rum, syllabas sensu vacuas, temere scriptas ab illis qui quae describebant neque intelligebant neque adeo satis cernebant. » (Variae lectiones, 2o éd., p. 94. La 1 édition est de 1854.)

3. Ce sont les trois premières dans l'édition Weil, dont la disposition ne s'écarte un peu de l'ordre des temps qu'en ce qui concerne le dernier de ces trois discours.

sent plausibles. Pour le moment, nous nous en tiendrons à la pure exégèse. Nous voudrions montrer, par un exemple, que l'interprétation de Démosthène n'est pas elle-même aussi avancée qu'on pourrait le croire. Si l'on nous donne raison sur ce point, il faudra bien qu'on nous accorde du même coup que la critique du texte ne peut guère avoir encore la précision et la sûreté que les instruments mêmes dont elle dispose autorisent à lui demander.

Démosthène est célébré partout pour la vigueur de sa dialectique, la force de ses raisonnements. Or, le raisonnement procède en général par formules. Telle particule mise au commencement d'une phrase annonce que l'idée exprimée par cette phrase est relativement à l'idée précédente dans le rapport de conséquence à prémisse (ainsi en français donc, c'est pourquoi); ou encore, dans le rapport inverse, c'est-à-dire celui de prémisse à conséquence: c'est le rôle de car, en effet. Ne serait-il pas plaisant que, dans l'interprétation du texte de l'orateur dialecticien par excellence, ce rapport fût généralement renversé, et qu'une expression qui signifie donc fût prise habituellement dans le sens de car, en d'autres termes, dans une acception qu'on peut dire diamétralement opposée à la véritable?

Tel est, si nous ne nous trompons, le cas pour la locution ×z! rip to, qui se rencontre un bon nombre de fois chez Démosthène, notamment dans ses harangues, qui sont, sans contredit, avec le Discours de la Couronne, les plus connus de ses ouvrages. Nous recueillerons d'abord ce que nous avons pu trouver çà et là au sujet de cette locution considérée en général; puis nous rechercherons les interprétations données pour chaque passage de Dé mosthène en particulier, soit par les mêmes grammairiens, soit par les traducteurs, ou du moins par celui qui, pour les questions purement philologiques au moins, fait autorité jusqu'à ce jour, Voemel, soit enfin par les plus savants commentateurs.

1. KAI TAP TOI en général.

Le Lexique d'Hésychius interprète καὶ γάρ τοι par τοιγαροῦν. Nous nous proposons de montrer que cette explication est partout la véritable. En tout cas, si on la réfutait, ce ne serait pas en procédant comme a fait Klotz, dans son édit. de Devarius, t. II, p. 644, par une argumentation a priori, fondée sur la signification propre de chacune des trois particules composantes.

Hoogeveen (Doctrina particularum, pages 568-571) admet et s'efforce de justifier étymologiquement les trois acceptions suivantes :

1o et sane quidem, quare; 2o nam sane; 3o et sane, nam. Il a remarqué comme nous, sur les passages qu'il a examinés, l'étrange variété des interprétations: Proinde, Jam vero, Namque, Etenim, Nam profecto, Ac profecto, Itaque, Siquidem. Uno verbo, negle cta vera particularum mente, ea exhibere solent, quae sermoni Latino fluidum et mollem processum tribuere videntur. L'observation est juste. Mais quiconque cherchera ses lumières dans les textes, au lieu de les emprunter, comme Hoogeveen, à l'étymologie, sera tenté de lui appliquer son propre jugement.

Viger, édit. 4, page 531 : « Kal yap to significat etenim [Etenim profecto vel sane. Herm.] Demosth., pro Coron., Kal yap tot mäst τοῖς Ἕλλησιν ἐδείξατε ἐκ τούτων, Etenim Graecis omnibus ita demum ostendistis. » (Avec une note, où il est dit qu'on trouve aussi zz! yàp ov dans le même sens). Rien sur le même sujet dans l'appendice. à l'ouvrage de Viger, qui contient les Adnotationes de G. Her

mann.

Dans l'Ind. Demosth., de Reiske, éd. Schaefer, au mot xxí, nous lisons « xxl yap tot, pro τolyapтot, p. 744, 1. 9 [contre Timocrate, ch. 140]. Très bien : mais Reiske ne dit rien des autres passages.

On verra par ce qui suit que G. H. Schaefer, dans son Apparatus criticus et exegeticus ad Demosthenem a partout, sauf en un passage (Ambassade, ch. 141: voyez plus loin), interprété xxl ráp To: comme nous faisons nous-mêmes : ce qui ne l'a pas empêché d'insérer dans les Addenda et corrigenda de cet ouvrage une dissertation de C. W. Krüger, où on lit (page 767): « Kal yáp To: esse etenim profecto disci poterat ab Hermanno ad Vigerum. »

Seiler, dans son Index de l'Apparatus qui vient d'être cité, après avoir renvoyé à tous les passages où Schaefer assimile zz ráp To: à Toryάpto, ajoute entre parenthèses la note rectificative: Etenim profecto.

R. Klotz, dans son édition de Devarius, De Graecae linguae particulis, t. II, p. 644, prétend que xxl yip to: signifie etenim profecto : il juge, lui aussi, que G. H. Schaefer s'est trompé dans tous les passages de l'Apparatus où il a interprété cette expression par itaque, et renvoie à la prétendue rectification de Seiler en son Index. On trouvera plus loin l'opinion de Klotz au sujet des deux passages de Démosthène qu'il cite. Ceux qu'il emprunte à Lysias (Epitaph., ch. 20 et 79) ne nous paraissent pas moins éloignés de lui donner raison.

J. A. Hartung (Lehre von den Partikeln der griechischen Sprache, 1833) ne s'explique pas au sujet de xxl yap to. Dans le vers d'Eschyle (Agam., 1040), qu'il cite au tome II, page 354 : xz! παῖδα γάρ τοι φασὶν Αλκμήνης ποτε Πραθέντα τλῆναι, les mots καὶ παῖδα

équivalent à zútòv tòv mzïòx, et xxí est ainsi absolument indépendant de γάρ τοι.

Rehdantz (dans l'Index grammatical joint à sa 2o éd. des Harangues choisies de Démosthène avec notes en allemand) : « Kzł yáp To, denn doch auch (to: aus ro, dann). » Nous ne voyons pas clairement ce qu'il a voulu dire. Denn doch auch signifie, si nous ne nous trompons, car cependant (ou d'ailleurs) aussi. Mais si tot est pour, et équivaut à dann (alors, puis ??), nous ne comprenons pas bien comment l'interprétation se concilie avec la parenthèse qui l'accompagne.

Nous ne trouvons rien dans les commentaires de Dindorf, Westermann, Weil, d'où l'on puisse induire quel sens ces éditeurs attachent à καὶ γάρ τοι.

Nous allons maintenant citer in extenso tous les passages des Harangues où xz! yip to: se rencontre, en y joignant les exemples de la même locution que nous avons pu recueillir dans les autres discours de Démosthène. Nous commencerons par les passages que Voemel a bien traduits, et réserverons les autres pour la fin. Sous chaque passage, nous mentionnerons les autres interprétations qui sont parvenues à notre connaissance. Pour les discours publiés à deux reprises par Voemel, nous citerons toujours sa dernière édition.

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Ἐν Ἐρετρια....., οἱ μὲν ἐφ' ὑμᾶς ἦγον τὰ πράγματα, οἱ δ' ἐπὶ Φίλιππον. Ακούοντες δὲ τούτων τὰ πολλὰ μᾶλλον οἱ ταλαίπωροι καὶ δυστυχεῖς Ἐρετριεῖς τελευτῶντες ἐπείσθησαν τοὺς ὑπὲρ αὐτῶν λέγοντας ἐκβαλεῖν. Καὶ γάρ τοι πέμψας Ἱππόνικον ὁ σύμμαχος αὐτοῖς Φίλιππος καὶ ξένους χιλίους, τὰ τείχη περιεῖλε τοῦ Πορθμοῦ καὶ τρεῖς κατέστησε τυράννους.

Voemel interprète bien : « Proinde misso Hipponico, etc. » Mais un remords l'a pris, car il ajoute en note, lui ordinairement si sévère pour toute leçon étrangère au ms. : « Fort. torypto. » Rehdantz renvoie à sa note sur Phil., I (où il interprète und so... denn, et ainsi donc, voyez plus bas), et attribue à xzí nous ne savons quelle force ironique.

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G. H. Schaefer dit que και γάρ τοι équiraut à τοιγάρτοι, ce que Klotz (passage cité) refuse d'admettre.

Couronne, p. 259, ch. 99.

Les Athéniens ont sauvé les Lacédémoniens, abjurant leurs

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