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DES PROPOSITIONS INTERROGATIVES

DANS LE STYLE INDIRECT EN LATIN

On trouvera peut-être qu'il y a de la présomption à revenir sur une question qui a été traitée par Madvig (Opuscula Academica, II, p. 208 et suiv.); mais, d'une part, je vois que, même après le mémoire de Madvig, les grammairiens sont loin de s'accorder sur la règle qu'il convient de donner; d'autre part, j'avoue que je ne peux pas adopter tout à fait les conclusions de Madvig; je me propose d'ailleurs de donner une liste d'exemples un peu plus complète que la sienne, afin que les textes que j'ai réunis soient de quelque utilité même pour les philologues qui pourront n'être pas de mon avis.

Le mémoire de Madvig avait pour but de combattre une opinion exposée par G. T. A. Krüger dans le 1er fascicule de ses Untersuchungen auf dem Gebiete der lateinischen Sprachlehre (Brunswick, 1820) et que Madvig rapporte en ces termes eas interrogationes quæ tantum formam rhetoricam habeant interrogandi, significationem aut ajentem aut negantem, in infinitum transire, ceteras finito tempore conjunctivi modi efferri.» Madvig n'admet pas cette règle et essaie d'établir la règle suivante, reproduite dans sa grammaire latine (3e éd., § 405) les interrogations du style indirect qui seraient à l'indicatif dans le style direct se mettent au subjonctif lorsque l'interrogation directe serait à la 2a personne ; autrement, elles se mettent à l'infinitif.

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La règle de Madvig a été admise par divers grammairiens; je citerai par exemple Zumpt ', ainsi que MM. Guardia et Wierzeyski 2. Gossrau 3, au contraire, reproduit la règle de Krüger. Schultz l'adopte également, en la précisant ainsi : « Les interrogations du style indirect qui expriment des questions réelles se mettent au subjonctif. Celles qui ne sont qu'une forme oratoire se mettent à l'infinitif, si elles équivalent logiquement à une affirmation ou à une négation; au subjonctif, si elles impliquent l'idée d'un ordre ou d'une défense, d'un conseil, d'un désir, etc. D'autre

1. Lateinische Grammatik, 12° éd., § 604.
2. Grammaire de la langue latine, p. 710-711.
3. Lateinische Sprachlehre, 2° éd., § 470, A, 2.
4. Lateinische Sprachlehre, 7° éd., § 403, 3.

REVUE DE PHILOLOGIE : Avril 1883.

VII.

-8.

part, Dräger et Kühner semblent admettre que les deux règles de Madvig et de Krüger peuvent se ramener l'une à l'autre. Voici, en effet, ce que dit Dräger 1: « On n'emploie l'accusatif avec l'infinitif dans l'interrogation indirecte que lorsque la proposition interrogative ne dépend pas, d'une façon immédiate, d'un verbe signifiant interroger et que, de plus, elle ne remplace pas une interrogation directe à la seconde personne. Ces interrogations à l'infinitif appartiennent au style oratoire et ne demandent aucune réponse. Quant à Kühner, la règle qu'il donne 2 peut se résumer ainsi : « On met au subjonctif les propositions interrogatives du style indirect qui, dans le style direct, seraient à la seconde personne; ces propositions contiennent une question réelle. Au contraire, les propositions interrogatives qui, dans le style direct, seraient à la 1re ou à la 3a personne se mettent à l'infinitif dans le style indirect l'interrogation n'est ici qu'une forme oratoire. Il est à remarquer qu'une défense de faire quelque chose (ne scripseris) peut aussi s'exprimer, d'une manière détournée, sous la forme d'une interrogation: ces sortes d'interrogations se mettent, en règle générale, à l'infinitif dans le style indirect, mais, à partir de T.-Live, on les rencontre aussi au subjonctif. »

Enfin M. Gantrelle pose la règle suivante, qui n'est ni celle de Madvig, ni celle de Krüger: Les interrogations du style indirect qui, dans le style direct, seraient à la 2 personne sont, en règle générale, au subjonctif; les autres sont à l'infinitif (quelquefois au subjonctif), si l'interrogation n'est qu'une forme oratoire; au subjonctif, s'il y a une question véritable.

Je vais essayer d'examiner la question pour mon propre compte, et je rappellerai d'abord certaines règles sur lesquelles on est d'accord en principe, mais que certains grammairiens semblent avoir parfois oubliées en traitant la question qui va nous occuper.

a) Les interrogations qui, dans le style direct, seraient déjà au subjonctif sont toujours au subjonctif dans le style indirect*: « quis credat?», par exemple, restera « quis credat? » ou deviendra quis crederet ? »; « quid faciamus?» donnera quid faciant? ou quid facerent? »

b) Les propositions qui ne sont pas interrogatives, mais exclamatives, sont toujours à l'infinitif. Il est à remarquer que, dans

1. Historische Syntax der lateinischen Sprache, 2o éd., t. II, § 450.

2. Ausführliche lateinische Grammatik, t. III, p. 1029 et suiv.

3. Nouvelle grammaire de la langue latine, 10 éd., § 162, 2.

4. Voy. Madvig, l. l., p. 214-215.

5. Voy. Kühner, l. l., p. 1033.

beaucoup d'éditions, des propositions qui sont en réalité exclamatives sont données à tort comme étant interrogatives '.

c) Le subjonctif est le seul mode possible, lorsqu'une proposisition interrogative du style indirect dépend, d'une façon immédiate, d'un verbe principal dont le sens est tel qu'il appelle nécessairement une proposition de ce genre après lui 3. Toutefois, lorsqu'en pareil cas il y a, après le verbe principal, plusieurs propositions interrogatives, la première seule est nécessairement au subjonctif, les suivantes peuvent être à l'infinitif, si ce mode est autorisé par la règle du style indirect .

Dans ce qui suit, je laisserai de côté les passages où l'une ou l'autre des trois règles que je viens de rappeler trouve son application.

A.

PROPOSITIONS INTERROGATIVES QUI CONTIENNENT UNE
QUESTION RÉELLE.

Par question réelle, j'entends une question qui implique, chez

a

1. Cela arrive, par exemple, souvent dans le T.-Live de Madvig; voy. 4, 2, 5 - quas quantasque res C. Canulejum aggressum!»; ibid., § 13 « quid eam vocem animorum.... Vejentibus allaturam!»; 8, 33, 13 quantum interesse (mss. interesset) inter moderationem antiquorum et novam superbiam crudelitatemque ! », ibid., § 22 quem luctum in castris Romanis, quam lætitiam inter hostes fore! », ibid., § 20 quam conveniens esse, etc.! Il n'y a là aucune question, même oratoire; il y a simplement une exclamation, qui, dans le passage cité en dernier lieu, est naturellement ironique. Il est aisé de se rendre compte que ce n'est pas sur un ton interrogatif que de pareilles phrases doivent se prononcer.

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2. Cf. Madvig, p. 208-209.

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3. Je veux parler de verbes comme dicere, reputare, mirari, quærere, percontari, rogitare, referre, ferre ad populum, etc., et d'autres expressions de ce genre, dont le sens ne devient complet que par l'addition de la proposition interrogative. Au contraire des expressions comme fremere, murmurer », clamitare, pousser des cris », increpare, « adresser des reproches à quelqu'un », etc., qui présentent par elles-mêmes un sens complet et n'appellent pas nécessairement après elles une proposition dépendante, peuvent être suivies d'une proposition interrogative à l'infinitif, là où la règle du style indirect le demande. C'est ce qui a lieu après clamitant, T.-Live, 3, 48, 8; après illa angeret cura, T.-Live, 27, 40, 2; après ita agere incipiunt, Tacite, Ann., 11, 7; après plebes fremit, T.-Live, 7, 18, 5; après sermones serebantur, T.-Live, 28, 24, 7 (ces divers passages seront cités plus loin).

4. On verra plus loin des exemples de ce passage du subjonctif à l'infinitif : T.-Live, 37, 15, 1-2; Tacite, Ann., 1, 17; 15, 62. Voici des exemples de l'autre cas, où plusieurs propositions interrogatives au subjonctif se suivent dans le style indirect, parce que la première se rattache directement à un verbe principal signifiant interroger: T.-Live, 6, 36, 10-12 « primores Patrum productos interrogando de singulis.... fatigabant, auderentne postulare ut, etc.? an placeret, etc.? » (il pourrait y avoir tout aussi bien an placere....? »); 7, 15, 1-3 ... rogitansque sicine pugnaturos milites spopondisset? ubi illi clamores sint arma poscentium...? En, ipsum imperatorem clara voce vocare ad prælium... ecquis sequeretur, etc.? » (il pourrait y avoir aussi ubi illos clamores esse, etc.? et ecquem sequi, etc.?» serait plus naturel, parce que le verbe principal est fort éloigné).

celui qui la fait, une incertitude véritable sur la réponse que cette question pourra ou devra recevoir. Ces sortes de questions sont fort rares dans les discours en style indirect; comme Madvig le remarque avec raison (p. 210), presque toutes les interrogations qu'on y rencontre sont de simples mouvements oratoires: l'orateur, en pareil cas, ne désire pas du tout savoir quelle réponse on pourrait bien faire aux interrogations qu'il a l'air de poser; la forme interrogative n'est pour lui qu'un moyen d'exprimer sa propre manière de voir.

Voici cependant quelques passages où l'interrogation est évidemment l'expression d'un doute réel : celui qui interroge le fait vraiment pour savoir ce qu'on lui répondra, ou bien il se pose à lui-même une question qui l'embarrasse ou l'inquiète.

a) L'interrogation, dans le style direct, serait à la 2o personne 1. T.-LIVE: 5, 20, 2-3 « Litteras ad senatum misit Deum immortalium benignitate... Vejos jam fore in potestate populi Romani : quid de præda faciendum censerent? »>

b) L'interrogation, dans le style direct, serait à la 3• personne.

CICERON ad Att. 1, 14, 3 « Intellexi hominem moveri : utrum Crassum inire eam gratiam quam ipse prætermisisset, an esse tantas res nostras quæ tam libenti senatu laudarentur, etc.? »>

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T.-LIVE: 2,32, 6 « Quamdiu autem tranquillam..... multitudinem fore? quid futurum deinde (esse), si quod.... bellum exsistat? »; 3, 64, 3 « quid futurum (esse)........, si novos tribunos... consules adorti essent? »; 9, 10,5 <«<en umquam futurum (esse) ut congredi armatis cum Samnite liceat? (ils l'espèrent, mais ils n'en sont pas bien sûrs); 25, 35, 6 « quomodo autem non obstitisse aut ab tergo seculum fratrem, etc. ?» (il se pose réellement cette question avec anxiété); 27, 44, 4 « quid futurum (esse), si id palamfiat, etc.? »

TACITE Ann. 2, 70 « Quid deinde miserrimæ conjugi... eventurum (esse)? »

3

Ces passages, malheureusement peu nombreux, seraient en faveur de la règle de Madvig. Voici, toutefois, deux passages où l'interrogation directe serait à la 3a personne et où, dans le style indirect, le verbe est au subjonctif, au lieu d'être à l'infinitif.

1. Justin, 16, 4, 15, jubeant(ne)... an malint dépendent de consulant et signifient s'ils doivent ordonner.... ou s'ils doivent plutôt prendre la résolution, etc. "

2. Dans le passage 30, 21, 8, "en umquam ille dies futurus esset, quo, etc.? » le subjonctif est peut-être nécessaire, parce que l'interrogation se rattache directement aux mots « quotiens... voces.... auditas », dont elle détermine le sens. Cf. plus haut, p. 115, c.

3. Le passage de Tacite Hist. 4, 69, « quod hello caput? unde jus auspiciumque peteretur? quam... sedem imperio legerent?", n'est pas concluant; on peut dire, en effet, que le subjonctif est un subjonctif délibératif, qui existerait même dans le style direct: unde jus auspiciumque petamus? quam sedem imperio legamus ? »

TACITE Hist. 4, 62 « quale illud iter (futurum esset)? quis dux viæ? »; Ann. 1, 41 « quis ille flebilis sonus (esset)? ›

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INTERROGATIONS QUI NE SONT QU'UNE FORME ORATOIRE.

Ici, il n'y a aucune incertitude dans la pensée de celui qui parle : s'il a l'air d'adresser une question à ses auditeurs, ce n'est pas qu'il désire obtenir d'eux une réponse; s'il semble se poser une question à lui-même, il n'est pas embarrassé d'y répondre. Son opinion est en effet que la question qu'il pose n'admet qu'une seule réponse', laquelle est indiquée par le ton sur lequel la question est faite, et ainsi la forme interrogative n'est en pareil cas qu'un moyen d'exprimer avec plus de vivacité ou de force sa propre pensée.

Ces sortes d'interrogations sont très nombreuses, et ici je me sépare des grammairiens qui ont jusqu'ici traité la question, en ce sens que je crois qu'il faut distinguer différents cas ce qui me semble, en effet, résulter des passages que j'ai pu recueillir, c'est que l'usage n'était pas exactement le même dans toutes les catégories d'interrogations oratoires. J'ai donc cru devoir distinguer les cas suivants 2 :

I. Interrogations au moyen d'une particule

interrogative 3.

1° L'interrogation n'est parfois qu'une forme oratoire par laquelle on exprime son étonnement ou son indignation; on se demande si tel ou tel fait est vraiment possible, parce qu'on a de la peine à y croire, puis l'on est obligé de se répondre à soi-même que le fait existe et qu'il n'y a pas moyen d'en douter. Dans ces interrogations, qu'il n'est pas toujours très facile de distinguer des exclamations dont il a été question plus haut (p. 114, b), je n'ai rencontré que l'infinitif.

a) L'interrogation directe serait à la 2o personne.

T.-LIVE: 6, 17, 5 « Quem prope cælestem.... fecerint, eum pati (st. dir. : patimini).... obnoxiam carnificis arbitrio ducere animam? ».

1. Dans les cas no 1-7, cette réponse sera une réponse précise, qui variera selon les cas; dans le cas no 8 (voy. p. 126), la seule réponse possible sera celle-ci : Je ne sais que dire, je ne trouve rien de satisfaisant à répondre, etc. »

2. Je reconnais naturellement que les divisions logiques qu'on peut établir sont loin d'être absolues : il y a tel passage qu'on pourra faire rentrer dans plusieurs catégories différentes.

3. La particule interrogative peut d'ailleurs manquer; c'est alors le ton de la phrase seul qui marque l'interrogation.

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