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d'une publication qui doit répandre un jour nouveau sur les parties les moins connues des annales de notre pays.

Recevez, Monsieur, l'assurance de ma considération très-distin

guée.

Le Ministre de l'Instruction publique et des Cultes,

H. FORTOUL.

XXXV.

Note communiquée à la section d'archéologie, le 31 mars 18561, par M. de Pétigny, membre non-résidant du comité, au sujet d'un rapport de M. le comte Auguste de Bastard sur une statue d'un saint Robert dessinée par M. Pernot.

Le Bulletin du comité (t. III, n° 2, p. 82 à 90) contient un rapport très-intéressant de M. le comte de Bastard sur une statue de pierre conservée dans l'église de Méobec, département de l'Indre, et connue dans ce pays sous le nom de statue de saint Robert.

Cherchant quel est le saint de ce nom qui pourrait être représenté par cette image vénérée, le savant rapporteur a hésité entre Robert, abbé de la Chaise-Dieu; Robert de Molesme, et Robert d'Arbrisselles, fondateur de l'abbaye de Fontevrault. S'il s'est prononcé pour le premier, c'est surtout par cette considération que ni les cheveux, ni l'habit, ni le maintien du personnage figuré n'étaient ceux d'un moine ou d'un ecclésiastique. « Nous ne voulons point reconnaître ici, a-t-il dit, l'image de Robert d'Arbrisselles, archiprêtre, grand vicaire de Rennes et chancelier du duc de Bretagne, places qu'il remplit avec ́ autant d'édification que de capacité.» Sans doute l'apparence bizarre de la statue ne pourrait convenir à cette partie de la vie de Robert d'Arbrisselles; mais il ne faut point oublier que son passage dans ces hautes places fut la période la plus courte et la moins importante de son existence. Ce ne fut pas comme dignitaire ecclésiastique, que Robert acquit cette bruyante renommée qui fascina ses contemporains, ce fut comme cénobite et surtout comme missionnaire, et

1 Voir ci-dessus, p.

Bulletin. III.

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16.

il serait encore bien plus difficile de reconnaître dans cette figure singulière, revêtue de l'habit des hommes du peuple, l'image de Robert, abbé régulier de la Chaise-Dieu, grand seigneur par sa naissance et issu des comtes d'Aurillac. Nous ferons remarquer, en outre, que les correspondants du Berri sont unanimes pour attribuer la statue de Méobec à Robert d'Arbrisselles, conformément à la tradition locale, et dans les questions de ce genre, les traditions doivent être d'un grand poids. Celle-ci a de plus l'avantage de s'accorder mieux qu'aucune autre avec les faits hagiographiques. Robert d'Arbrisselles est mort dans le Berri; il y avait fondé plusieurs monastères ; il avait parcouru toutes les localités importantes de cette province, surtout dans la région qu'embrasse aujourd'hui le département de l'Indre, et il y avait fait entendre ses prédications, qui excitaient partout un si vif enthousiasme. Après sa mort, l'abbaye de Fontevrault eut beaucoup de peine à obtenir la restitution de son corps, que les habitants du Berri s'obstinaient à conserver comme une précieuse relique. Sa mémoire avait donc été, dès le temps même où il cessa de vivre, l'objet d'un culte pieux dans le Berri comme à Fontevrault, et ce culte s'est maintenu jusqu'à nos jours, quoique ce saint personnage n'ait jamais été canonisé par l'église romaine. Rien au contraire n'indique que Robert de la Chaise-Dieu ni Robert de Molesme aient jamais été honorés d'une vénération particulière dans le Berri, auquel ils étaient tout à fait étrangers. La tradition est muette à leur égard comme les documents écrits, et il en devait être ainsi, surtout pour Robert de la Chaise-Dieu, dont la vie s'est écoulée tout entière dans la haute Auvergne. Les communications n'étaient pas alors assez faciles ni assez fréquentes entre les diverses provinces pour que la distance des lieux n'établît pas entre les hommes des barrières presque insurmontables. Ainsi les données historiques confirment la tradition locale, qui attribue la statue de Méobec à Robert d'Arbrisselles, et les singularités de costume et de maintien qui, dans le dessin de cette statue, ont si vivement frappé l'attention du comité, en laissant le savant rapporteur dans un état de doute1, sont précisément la preuve la plus incontestable de cette attribution.

1

« Restent les questions de la coiffure et du costume, qui ne sont pas éclaircies et laissent subsister nos doutes.» (Rapport de M. de Bastard, p. 90.)

En effet, Robert d'Arbrisselles avait été promu fort jeune à la dignité d'archiprêtre par l'évêque de Rennes, Sylvestre de la Guerche, qui était chancelier du duc de Bretagne, place que Robert n'occupa jamais. Après trois ou quatre ans passés dans l'exercice de ces fonctions, le jeune archiprêtre, voulant réformer les mœurs corrompues du clergé breton, excita un tel soulèvement, qu'il fut forcé de s'exiler de son pays natal. Ce fut alors qu'il se retira d'abord à Angers, puis dans la forêt de Craon, où il mena pendant quelque temps la vie d'ermite. Il en sortit à la voix du pape Urbain II pour parcourir les campagnes en qualité de missionnaire apostolique, entraînant partout sur ses pas une multitude avide d'entendre ses prédications brûlantes et dans laquelle un contemporain ne comptait pas moins de deux mille femmes. A dater de cette époque de sa vie, Robert d'Arbrisselles renonça à toute dignité, à toute splendeur mondaine; il quitta le costume ecclésiastique pour prendre celui des pauvres serfs, et cet habit convenait bien à l'orateur populaire qui se félicitait d'être fils d'un paysan et qui soulevait les masses sur son passage, en stigmatisant, par les déclamations les plus violentes, les vices des prélats et des seigneurs.

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L'évêque de Rennes Marbode, contemporain et ami de Robert, dans une lettre qu'il lui adressa pour lui reprocher les excentricités de sa conduite, fait la description du costume qu'il avait adopté, et qui est parfaitement conforme à celui de la statue de Méobec: Pourquoi, dit le prélat au fougueux missionnaire, avez-vous rejeté l'habit régulier pour marcher à travers la foule, vêtu seulement d'un cilice sur la chair et d'un sarreau usé, les jambes à moitié découvertes, la barbe en désordre, les cheveux coupés ras sur le front, les pieds nus, donnant à ceux qui vous voient un spectacle nouveau, tellement que, pour ressem bler, dit-on, à un fou, il ne vous manque que la marotte? » .Quò igitur tibi, abjecto habitu regulari, opertum ad carnem cilicio pertusoque birro, seminudo crure, barba prolixa, capillis ad frontem circumcisis, nudipedem per vulgus incedere, et novum quidem spectaculum præbere videntibus, ut ad ornatum lunatici solam tibi jàm clavam deesse loquantur. (Epistola Marbodi ad Robertum.)

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Si l'on compare cette description au dessin inséré dans le Bulletin du comité, t. III, p. 84, on verra qu'elle semble avoir

B.

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été faite d'après la statue elle-même. Dans le dessin, les cheveux sont coupés ras sur le front, la barbe hérissée; le seul vêtement est une tunique à manches, très-courte, serrée par une ceinture qui paraît être de cuir, et fendue par-devant au-dessous de la ceinture comme un pli de l'étoffe semble l'indiquer; les bras sont nus jusqu'aux coudes et les jambes jusqu'aux genoux. J'ai traduit par sarreau le mot birrus, qui désignait une tunique courte d'étoffe grossière, vêtement habituel du peuple, au xr° siècle, et spécialement interdit aux ecclésiastiques1. Ainsi ce costume extraordinaire était exactement celui de Robert d'Arbrisselles, et ne pouvait étre porté par aucun autre prêtre ou abbé. Il constate la vérité de l'attribution qui lui a été faite de la statue de Méobec par la tradition locale, et n'en permet point d'autre.

Le maintien et la physionomie du personnage représenté par la statue viennent encore à l'appui de cette preuve si frappante tirée du costume. Un contemporain rapporte que Robert d'Ar brisselles, en commençant ses prédications, semblait trembler de tous ses membres et versait des larmes abondantes. Eh bien! d'après le dessin lui-même, quoiqu'il ne soit pas d'une exactitude parfaite, suivant la lettre de M. le curé de Mézières-en-Brenne, on peut dire que la statue pleure et paraît agitée d'un tremblement nerveux. «Il reste, dit la lettre du curé, l'indication d'une chevelure bouclée que la main droite paraît saisir comme pour l'arracher. Le bras gauche a disparu, probablement par suite des dégradations faites par les personnes qui viennent pour invoquer l'intercession du saint. La face très-mutilée aussi, le bras droit et ce qui reste de l'attache du bras gauche, ont un aspect comme convulsif. » Ainsi, dans l'état primitif de la statue, la main droite saisissait les cheveux comme pour les arracher, et la main gauche était levée vers le ciel; c'est bien l'attitude qui convenait à ce prédicateur inspiré, à cette espèce de tribun reli gieux, dont l'influence fut immense sur les masses populaires, et dont la grande physionomie a été entièrement défigurée par les hagiographes des siècles postérieurs, qui ont voulu l'accommoder aux convenances de leur temps, au caractère que devait avoir,

1

« Ut quilibet clericus constitutus in sacris ordinibus vestem exteriorem gerat dissimilem militari vel laïcali, non birratam.» (Provinciale Cantuariensis ecclesiæ, lib. III, tit. 1.)

selon eux, le fondateur d'un ordre investi du glorieux privilége d'être presque toujours dirigé par une abbesse du sang royal.

L'élévation de l'épaule à laquelle le bras gauche était attaché a fait supposer une gibbosité qu'on peut soupçonner dans le dessin, mais qui ne paraît pas exister dans la statue elle-même. Cependant, cette statue n'offre assurément aucun des caractères de la beauté physique et présente bien, comme le dit Marbode, les signes extérieurs de la folie, d'une de ces folies sublimes qui remuent si puissamment le peuple et surtout les femmes. C'était par l'étrange énergie de ses gestes et de sa parole que Robert d'Arbrisselles entraînait les populations après lui, et le sexe le plus impressionnable était naturellement le plus enthousiaste. Mais ce genre d'enthou siasme peut très-bien s'appliquer à une extrême laideur; on en a de nombreux exemples. Remarquons d'ailleurs que Robert n'a jamais été accusé d'être un séducteur, un abbé galant. Les attaques de ses ennemis, les plaintes de ses amis et des hommes graves de son temps étaient provoquées par les désordres qui résultaient de l'agglomération de deux mille femmes attachées à ses pas, le suivant dans ses courses vagabondes, et dormant pêle-mêle dans les champs, sur la terre dure, avec les disciples et le maître lui

même.

que

Nous n'hésitons donc pas à croire que la statue de Méobec est bien celle de Robert d'Arbrisselles. Elle en devient d'autant plus précieuse, car c'est la seule représentation iconographique qui nous reste de cet homme célèbre. Elle nous le montre tel l'ont peint, avec des couleurs si vives, ses contemporains et ses amis, Baldric de Dol, Marbode de Rennes, Geoffroy de Vendôme, et la parfaite conformité de l'image avec la description des témoins oculaires donnerait lieu de penser que la statue est plus ancienne qu'on ne l'a supposé en lui assignant la date du xiv siècle.

Jusqu'ici, cette grande renommée ne nous était connue que par oui-dire. Nous savions quel avait été le merveilleux retentissement de cette parole éloquente, mais il ne nous restait aucun vestige qui permit d'en apprécier par nous-mêmes le caractère et les effets. J'ai publié pour la première fois, il y a un an, dans la Bibliothèque de l'école des chartes (3o section, t. V, p. 1 à 30 et 207 à 235) le seul écrit de Robert d'Arbrisselles qui soit venu jusqu'à nous, et qui, tout à fait inédit, a été retrouvé récemment par un heureux hasard dans les anciens manuscrits de l'abbaye de la Tri

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