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LIX.

Rapport sur un document inédit communiqué par M. de la Fons de Mélicocq, correspondant du comité, concernant les dépenses faites par la ville de Lille pour les Enfants trouvés, au xv et au XVI siècle1.

Recherches sur le sort des Enfants trouvés en France, antérieurement à saint Vincent de Paul, par M. J. Desnoyers, membre du comité.

C'est à l'une des branches de la statistique du moyen âge les plus obscures et les moins étudiées, à l'une des questions les plus intéressantes de l'histoire des institutions charitables en France, à l'un des problèmes les plus difficiles de l'économie politique des temps modernes, que se rapportent les extraits de documents originaux envoyés par M. de la Fons de Melicocq, qui les a recueillis dans les archives de l'hôtel de ville de Lille. Ces documents consistent en simples mentions de dépenses, au nombre de soixante et douze, faites par la commune ou l'administration municipale de cette ville, depuis l'année 1420 jusqu'à l'année 1600, pour les besoins de toute nature des pauvres enfants, abandonnés à la merci de la charité publique. Onze témoignages, seulement, sont antérieurs au xvio siècle. Quoique ces indications, dépourvues de tout commentaire, ne se présentent presque généralement que sous la forme aride d'un compte de dépenses, elles fournissent tant de notions positives et authentiques sur ce sujet fort peu connu, qu'elles m'ont semblé offrir un intérêt réel, être tout à fait dignes de l'attention du comité et motiver les recherches que j'ai l'hon neur de lui soumettre à cette occasion.

Ces notions touchent à plusieurs des questions les plus délicales du sujet, et si elles n'en présentent qu'une solution partielle et pour un seul point de la France, du moins les résultats sont positifs. Il en rejaillira quelque lumière sur des faits analogues, constatés en d'autres parties du territoire pour d'autres époques, et l'on peut en tirer, quoique indirectement, des inductions sur l'ensemble des recherches à faire pour connaître quel était le sort des enfants trouvés avant saint Vincent de Paul, leur plus grand bienfaiteur.

On passe successivement en revue dans ces extraits les objets

suivants :

*Voir le document original, p. 475 de ce volume.

1° Connaissance du pouvoir public d'où émanaient, au xvo et au xvi siècles dans le nord de la France, la surveillance et la protection des enfants abandonnés.

2o Recherches pour découvrir les familles de ces enfants.

3° Soins donnés à leur nourriture et à leur entretien; rétributions accordées à ceux qui les gardaient.

4° Dépenses pour leurs vêtements et pour les objets de literie qui leur étaient nécessaires; indication précise de ces objets sous les noms alors usités dans la Flandre française.

5° Soins donnés à l'éducation des enfants, mois d'école; frais d'apprentissage.

6° Leurs maladies; soins médicaux administrés.

7° Pèlerinages entrepris à des lieux adoptés par la foi pour obtenir des guérisons que la science médicale semblait impuissante à opérer.

8° Détails sur les funérailles des enfants.

Outre les renseignements plus ou moins nombreux fournis sur chacun de ces sujets et sur les usages de la vie privée qu'ils concernent, on y trouve l'indication des valeurs de la plupart des objets mentionnés, le prix de la main-d'œuvre et l'évaluation des dépenses. En passant successivement en revue ces différentes questions, j'aurai soin, autant que possible, de signaler les vues nouvelles qui me semblent ressortir des documents communiqués.

1° et 2° C'est exclusivement l'autorité civile et municipale qu'on voit s'occuper, à cette époque, dans la ville de Lille et quelques autres de la même province, de la surveillance des enfants abandonnés. Ce n'est plus seulement la charité chrétienne du clergé ou celle de corporations religieuses qu'on voit en action, ainsi que cela avait eu lieu pendant la plus grande partie du moyen àge, et comme cela se continuait encore alors à Paris et dans d'autres villes importantes. Dans le nord de la France, chaque bailliage, chaque municipalité locale avait la surveillance, la res ponsabilité et supportait la dépense des enfants abandonnés par des parents domiciliés sur son propre territoire.

Pour arriver à constater ces devoirs de l'autorité locale, résultant sans aucun doute de décrets royaux et de coutumes locales qu'il sera possible de retrouver, et dont la législation du A siècle offre plusieurs indices, la connaissance des parents des

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enfants était le plus souvent nécessaire. Telles n'étaient point, au contraire, les habitudes de l'Église, qui acceptait seulement par pure charité chrétienne les conséquences de cette responsabilité; il résulte de plusieurs témoignages que, dans le régime civil, cette recherche précédait tout autre acte administratif. On procédait à cette constatation par proclamation et cri public, en promenant l'enfant dans les rues et carrefours; on encourageait cette constatation par des récompenses accordées à ceux qui faisaient connaître les parents des enfants délaissés.

C'est ainsi qu'en 1527 on donne XL à ung saieteur1 saieteur1 pour son vin, comme ayant esté le premier qui avoit adverty les eschevins de Lille, à qui appartenoit ung enfant trouvé en ceste d. ville, en sieuvant la publicacion faite par ordonnance desdits eschevins.

"

D

En 1542, on donne vr à une femme ayant porté par les carfours de ceste ville ung enfant trouvé, quant il fut cryé au bachin, et pour le avoir noury aucun temps.»

Ce cri au bachin indique un usage d'origine orientale, et un ins. trument usité plus anciennement dans le midi de la France, et probablement introduit en Flandre par la domination espagnole. Le bachin ou bacin était une sorte de vase de cuivre ou d'instrument métallique sur lequel on frappait pour annoncer publiquement quelque nouvelle sur les places et dans les rues. C'est dans ce sens que du Cange a traduit les mots bachinator et bachiner, forme habituelle des mots bassin et bassiner dans les provinces du nord de la France.

La responsabilité de chaque ville sur les enfants nés dans son territoire ou dont les parents reconnus y demeuraient est démontrée par les mentions suivantes :

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En 1495, on envoie devers les bailly et eschevins du pays de Laleue, afin de constraindre une fille y demourant, de reprendre son enfant qu'elle avoit délaissié en lad. ville de Lille, lequel ycelle ville avoit fait garder certain temps..

Eu 1527, on donne xxxiv3, y compris la dépense de l'enfant, à un homme chargé de reconduire à Tournay cet enfant, dont il avoit dénoncé l'origine.

En 1533, on envoie porter lettres aux mayeur et eschevins

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1 Un saieteur était un ouvrier employé à tisser la saie ou sayette, sorte de grosse étoffe de laine ou de serge, dont le nom est des plus anciens dans l'industrie manufacturière du nord de la France.

de la ville d'Arras, pour constraindre ung homme, résident audit lieu, de venir requerir cinq enffants qu'il avoit habandonné en ceste ville de Lille. »

En 1570, on fait conduire au villaige de Lestrem deux enffans trouvés que le grand bailli ne veut pas recevoir, pour ce que le père d'iceulx enffants ne demouroit sur son pooir."

3° Quand la ville avait accepté la responsabilité définitive des soins à donner à l'enfant, soit que la paternité n'eût point été découverte, soit que la misère des parents eût inspiré au pouvoir municipal pitié de leur indigence, on procédait aux soins que cette responsabilité imposait. On faisait d'abord baptiser l'enfant.

En 1503, on donne vi au prebstre et à la saige-femme après le baptesme d'un enfant trouvé.

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En 1563, « on donne xir pour le baptesme » seulement.

Ensuite on pourvoyait à la garde et aux premiers soins nécessaires aux enfants. En Flandre, comme je l'indiquerai plus loin pour la Provence, dans des temps antérieurs, on les confiait à des nourrices ou à des gardes, généralement fixées dans les campagnes. Les prix de cette surveillance varient singulièrement, non-seulement suivant les époques, la plus ou moins grande cherté des vivres et la plus ou moins grande dureté des temps, mais sans doute aussi à raison de l'âge des enfants, qui n'est jamais indiqué; le prix annuel varie de 9 à 72 livres.

En 1420, on voit payer 60' pour 6 mois; en 1482, 625 tous les 3 mois; en 1495, 10 ou 12' par an (l'argentier du conseil de ville fait observer que le grand nombre d'enfants exposés rend ces charges très-lourdes); en 1503, on accorde 9', ou 12' sous obligation d'envoyer l'enfant à l'école; en 1526, 26 à 28'; en 1533, 12 à 19'; en 1546, 22'; en 1550, 72'; en 1576, 30 à 36'; en 1588, 50 à à 721.

La garde d'un enfant innocent (un insensé) est fixée à la somme énorme de 100 livres, en cette même année 1588.

4° L'article des vêtements et de la literie fournis par la commune aux femmes chargées de la garde des enfants est des plus curieux sous un autre point de vue. Les objets indiqués sont variés et nombreux; leur prix vénal est indiqué; mais plusieurs des noms ont peut-être été inexactement transcrits, soit sur le registre

original, soit sur la copie. Je vais indiquer les principaux de ces objets, avec quelques interprétations.

On trouve une trentaine de termes indiquant les berceaux, la literie, les couches, les langes et les différentes parties du vètement, variant suivant l'âge des enfants. Plusieurs de ces mots n'offrent aucune difficulté; quelques-uns sont encore usités dans les campagnes; d'autres sont plus obscurs en voici quelques exemples:

En 1482, la commune de Lille paye xxш« donné à une povre fille couchant sur l'estrain. »

L'estrain, ou l'estran, est la paille (stramen).

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ung petit lit

En 1537, une banse pour couchier un enffant est payée xiv. › La banse ou bance était une sorte de manne ou grand panier d'osier pouvant servir de berceau; nom, usage et forme encore aujourd'hui conservés pour cette destination. Le banselier est l'ouvrier qui fabrique ces sortes de paniers.-Les banerons (a. 1515), estimés viu pour vr', doivent offrir un sens différent. Il s'agit sans doute de bandeaux ou bandelettes d'étoffe, de même que banera ou banderia, équivalent de bannière et de banderole, de même que le mot drappeaux (a. 1515), qui a le double sens d'étoffe et d'étendards.

En 1521, les lits avec couvertoirs sont probablement des lits avec rideaux.

En 1521, et de 1503 à 1508, est mentionné un objet de literie désigné sous les noms de canech, canacheul, canecheal, kenech. Ce mot semble indiquer un couvre-pied, nommé aussi canechuel ou cavechuel dans d'autres textes. En 1576, un autre objet figure sous les noms de parcqueneich, parcqueveich, parcqueleich. Je n'ai retrouvé dans aucun glossaire ces noms divers qui me paraissent représenter un objet unique, et avoir le même sens que le mot parchevet, qui, désigne un traversin ou un oreiller.

Le kieutys, la queute à coucher, le cuetis, le quentis, la centeletle (plus probablement ceutelette ou keutelette), mentionnés dans les comptes de 1515, de 1521, de 1503 à 1508, ont le plus habituellement le sens de lit de plume (nommé aussi coite et koute dans presque toute la France). Ils désignent aussi l'enveloppe du lit de plume, du matelas et même le couvre-pied (kieate-pointe, coute-pointe).

Un des objets le plus fréquemment indiqués dans ces comptes

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