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«< temps pour les nettoyer. Il faudrait mettre de l'eau dans des « écuelles de terre où ils sont, afin que les souris ne les ron« gent pas. Faites mes recommandations à votre bonne tante, << et suivez bien ses conseils en tout. La jeunesse doit toujours se « laisser conduire, et tâcher de ne point s'émanciper. Peut-être <«< que Dieu nous fera revenir où vous êtes. Cependant il faut << tâcher de profiter de cet événement, et faire en sorte qu'il « nous serve à nous détacher du monde, qui nous paraît si en<< nemi de la piété. Bonjour, mon cher fils; aimez toujours votre «< papa comme il vous aime; écrivez-moi de temps en temps. « Envoyez-moi aussi mon Tacite in-folio. »

M. Le Maistre ne fut pas longtemps absent, il eut la permission de revenir; mais en arrivant il tomba dans la maladie dont il mourut; et, après sa mort, M. Hamon prit soin des études de mon père'. Entre les connaissances qu'il fit à PortRoyal, je ne dois point oublier celle de M. le duc de Chevreuse, qui a conservé toujours pour lui une amitié très-vive, et qui, par les soins assidus qu'il lui rendit dans sa dernière maladie, a bien vérifié ce que dit Quintilien, que les amitiés qui commencent dans l'enfance, et que des études communes font naître, ne finissent qu'avec la vie.

On appliquait mon père, quoique très-jeune, à des études fort sérieuses. Il traduisit le commencement du Banquet de Platon, fit des extraits tout grecs de quelques traités de saint Basile, et quelques remarques sur Pindare et sur Homère. Au milieu de ses occupations, son génie l'entraînait tout entier du côté de la poésie, et son plus grand plaisir était de s'aller enfoncer dans les bois de l'abbaye avec Sophocle et Euripide, qu'il

1 M. Le Maistre mourut le 4 novembre 1658. A cette époque, Racine n'était plus à Port-Royal; il était au collège d'Harcourt depuis le mois d'octobre précédent d'où il faut conclure que M. Hamon, médecin de PortRoyal, ne veilla pas à ses études après la mort de M. Le Maistre.

2 S'il n'a pas fait cette traduction à Port-Royal, il l'a faite à Uzès : c'est un ouvrage de sa jeunesse. Quoique la traduction soit bonne, un fragment si peu considérable ne méritait peut-être pas d'être imprimé; il le fut cependant chez Gandouin en 1732. On a mis à la tête une lettre sans date d'année, qui m'est inconnue, et ne se trouve point parmi les autres lettres écrites à Boileau qui sont entre mes mains. (L. R.)

savait presque par cœur. Il avait une mémoire surprenante. Il trouva par hasard le roman grec des Amours de Théagène et de Chariclée. Il le dévorait, lorsque le sacristain Claude Lancelot, qui le surprit dans cette lecture, lui arracha le livre et le jeta au feu'. Il trouva le moyen d'en avoir un autre exemplaire qui eut le même sort, ce qui l'engagea à en acheter un troisième; et pour n'en plus craindre la proscription, il l'apprit par cœur, et le porta au sacristain, en lui disant : « Vous pou<< vez brûler encore celui-ci comme les autres. >>

Il fit connaître à Port-Royal sa passion plutôt que son talent pour les vers, par sept odes qu'il composa sur les beautés champêtres de sa solitude, sur les bâtiments de ce monastère, sur le paysage, les prairies, les bois, l'étang, etc. 2. Le hasard m'a fait trouver ces odes, qui n'ont rien d'intéressant, même pour les personnes curieuses de tout ce qui est sorti de la plume des écrivains devenus fameux elles font seulement voir qu'on ne doit pas juger du talent d'un jeune homme par ses premiers ouvrages. Ceux qui lurent alors ces odes ne purent pas soupçonner que l'auteur deviendrait dans peu l'auteur d'Andromaque.

Il était, à cet âge, plus heureux dans la versification latine que dans la française; il composa quelques pièces en vers latins, qui sont pleines de feu et d'harmonie. Je ne rapporterai pas une élégie sur la mort d'un gros chien qui gardait la cour de Port-Royal, à la fin de laquelle il promet par ses vers l'immortalité à ce chien, qu'il nomme Rabotin :

Semper honor, Rabotine, tuus laudesque manebunt ;
Carminibus vives tempus in omne meis.

On jugera mieux de ses vers latins par la pièce suivante, que

Lancelot eut la plus grande part à la célèbre grammaire de PortRoyal. On lui doit aussi les meilleurs éléments des langues grecque, latine, espagnole, italienne, et plusieurs autres ouvrages. Il s'était chargé d'enseigner le grec à Racine, et c'était le plus grand service que l'érudition pût rendre au talent.

2 Ces odes se trouvent dans cette édition. Elles sont d'un grand intérêt, puisqu'elles offrent le point d'où Racine est parti pour arriver jusqu'à Athalie.

je ne donne pas entière, quoique dans l'ouvrage d'un poëte de quatorze ans tout soit excusable'.

AD CHRISTUM 2.

"O qui perpetuo moderaris sidera motu,

<«< Fulmine qui terras imperioque regis,
<< Summe Deus, magnum rebus solamen in arctis,
<«< Una salus famulis præsidiumque tuis, »
Sancte parens, facilem præbe implorantibus aurem,
Atque humiles placida suscipe mente preces;
Huc adsis tantum, et propius res aspice nostras,
« Leniaque afflictis lumina mitte locis. >>
Hanc tutare domum, quæ per discrimina mille,
Mille per insidias vix superesse potest.
Aspice ut infandis jacet objectata periclis,
Ut timet hostiles irrequieta manus.
Nulla dies terrore caret, finemque timoris
Innovat infenso major ab hoste metus.
Undique crudelem conspiravere ruinam,

Et miseranda parant vertere tecta solo.
Tu spes sola, Deus, miseræ. Tibi vota precesque
Fundit in immensis nocte dieque malis.

« Quem dabis æterno finem, rex magne, labori?
<< Quis dabitur bellis invidiæque modus?
<< Nullane post longos requies speranda tumultus?
« Gaudia sedato nulla dolore manent?
« Sicne adeo pietas vitiis vexatur inultis?

<< Debita virtuti præmia crimen habet. »
Aspice virgineum castis penetralibus agmen,
Aspice devotos, sponse benigne, choros.
Hic sacra illæsi servantes jura pudoris,

Te veniente die, te fugiente vocant.
Cœlestem liceat sponsum superare precando :

Il y a encore ici une erreur sur l'âge de Racine, erreur qu'il est facile de rectifier, d'après notre observation précédente. Nous croyons devoir citer la pièce entière, en plaçant des guillemets aux vers que Louis Racine avait supprimés.

2 On reconnait, dans cette pièce, un jeune homme nourri des bons poëtes latins, dont il sait employer à propos les tours et les expressions. C'est en imitant les anciens dans leur langue, que Racine est parvenu à servir à jamais de modèle dans la sienne. (G.)

Fas sentire tui numina magna patris.

Huc quoque nos quondam tot tempestatibus actos
Abripuit flammis gratia sancta suis.

Ast eadem insequitur mæstis fortuna periclis:
Ast ipso in portu sæva procella furit.
Pacem, summe Deus, pacem te poscimus omnes :
Succedant longis paxque diesque malis.

Te duce disruptas pertransiit Israël undas :

Hos habitet portus, te duce, vera salus.

«Hic nemora, hic nullis quondam loca cognita muris,
«Hic horrenda tuis laudibus antra senant.

«Huc tua dilectas deduxit gratia turmas,

<< Hinc ne unquam Stygii moverit ira noti. >>

En parlant des ouvrages de sa première jeunesse, qu'on peut appeler son enfance, je ne dois pas oublier sa traduction des hymnes des féries du Bréviaire romain. Boileau disait qu'il l'avait faite à Port-Royal, et que M. de Sacy, qui avait traduit celles des dimanches et de toutes les fêtes pour les Heures de Port-Royal, en fut jaloux; et, voulant le détourner de faire des vers, lui représenta que la poésie n'était point son talent. Ce que disait Boileau demande une explication. Les hymnes des féries imprimées dans le Bréviaire romain, traduit par M. Le Tourneux, ne sont pas certainement l'ouvrage d'un jeune homme; et celui qui faisait les odes sur les bois, l'étang, et le paysage de Port-Royal, n'était pas encore capable de faire de pareils vers. Je ne doute pas cependant qu'il ne soit auteur de la traduction de ces hymnes; mais il faut qu'il les ait traduites dans un âge avancé, ou qu'il les ait depuis retouchées avec tant de soin, qu'il en ait fait un nouvel ouvrage. On lit, en effet, dans les Hommes Illustres de M. Perrault, que, longtemps après les avoir composées, il leur donna la dernière perfection. La traduction du Bréviaire romain fut condamnée1 par l'archevêque de Paris, pour des raisons qui n'avaient aucun rapport à la traduction de ces hymnes. Cette condamnation donna lieu dans la suite à un mot que rapportent plusieurs personnes, et

Elle fut condamnée uniquement comme version en langue vulgaire. (L. R.) Ces hymnes sont recueillies dans cette édition.

que je ne garantis pas. Le roi, dit-on, exhortait mon père à faire quelques vers de piété : « J'en ai voulu faire, répondit-il, « on les a condamnés. >>

Il ne fut que trois ans à Port-Royal; et ceux qui savent combien il était avancé dans les lettres grecques et latines n'en sont point étonnés, quand ils font réflexion qu'un génie aussi vif que le sien, animé par une grande passion pour l'étude, et conduit par d'excellents maîtres, marchait rapidement. Au sortir de Port-Royal, il vint à Paris, et fit sa logique au collége d'Harcourt, d'où il écrivit à un de ses amis :

Lisez cette pièce ignorante,

Où ma plume si peu coulante
Ne fait voir que trop clairement,
Pour vous parler sincèrement,
Que je ne suis pas un grand maître.
Hélas! comment pourrais-je l'être?
Je ne respire qu'arguments;
Ma tête est pleine à tous moments

De majeures et de mineures, etc.

En 1660, le mariage du roi ouvrit à tous les poëtes une carrière dans laquelle ils signalèrent à l'envi leur zèle et leurs talents. Mon père, très-inconnu encore, entra comme les autres dans la carrière, et composa l'ode intitulée la Nymphe de la Seine. Il pria M. Vitart, son oncle, de la porter à Chapelain', qui présidait alors sur tout le Parnasse, et par sa grande réputation poétique, qu'il n'avait point encore perdue, et par la confiance qu'avait en lui M. Colbert pour ce qui regardait les lettres. Chapelain découvrit un poëte naissant dans cette ode, qu'il loue beaucoup; et parmi quelques fautes qu'il y remarqua, il releva la bévue du jeune homme, qui avait mis des tritons dans la Seine. L'auteur, honoré des critiques de Chapelain, corrigea son ode; et la nécessité de changer une stance pour ré

Nicolas Vitart, oncle de Jean Racine, mourut en 1641. Ce ne fut donc pas lui qui porta à Chapelain, en 1660, l'ode intitulée la Nymphe de la Seine, mais bien son fils, intendant de la maison de Chevreuse. Ce fils était cousin germain de Jean Racine, qui lui adressa plusieurs lettres que l'on trouve dans sa correspondance.

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