Et que le ciel vous mit, pour finir vos discords, OLYMPE. Mais pour vous ce malheur est un moindre supplice Ce prince était l'objet qui faisait tous vos soins : ANTIGONE. Il est vrai, je l'aimais d'une amitié sincère3; Je l'aimais beaucoup plus que je n'aimais son frère; 'Le mot déplorer ne se dit guère que des choses; on déplore la perte, on ne déplore pas les personnes. Cependant il n'est pas inutile de remarquer que le mot déplorable, dans le style soutenu, peut s'appliquer aux personnes; et Racine l'a beureusement employé dans Andromaque, Phèdre, Esther, et Athalie. 2 Les vers suivants ont été retranchés : 3 Quand on est au tombeau, tous nos tourments s'apaisent; Quand on est furieux, tous nos crimes nous plaisent; Des plus cruels malheurs le trépas vient à bout : La fureur né sent rien, mais la douleur sent tout. Cette vive douleur, dont je suis la victime, Antigone l'a déjà dit; mais elle le répète ici dans une situation qui donne un nouveau prix à ce sentiment de bienveillance particulière pour Polynice. (G.) 4 VAR. Et ce qui le rendait agréable à mes yeux. Il peut être permis à une sœur de se faire illusion sur le caractère Mais, hélas! ce n'est plus ce cœur si magnanime, Créon vient. OLYMPE.. ANTIGONE. Il est triste; et j'en connais la cause! Au courroux du vainqueur la mort du roi l'expose. C'est de tous nos malheurs l'auteur pernicieux. SCÈNE III. ANTIGONE, CRÉON, OLYMPE, ATTALE, GARDES. CRÉON. Madame, qu'ai-je appris en entrant dans ces lieux? ANTIGONE. Oui, Créon, elle est morte. CREON. O dieux! puis-je savoir de quelle étrange sorte de son frère. Polynice ne paraît pas vertueux dans la pièce, puisqu'il hait son frère; mais il est l'offensé, il réclame la justice, il demande l'exécution d'un traité. Si Racine ne pouvait pas en faire un prince vertueux, il pouvait adoucir son caractère, et porter quelque intérêt sur sa personne. (G.) 'On dit le flambeau de ses jours s'est éteint, ou il a éteint le flambeau de ses jours; mais on ne dit point ses jours ont éteint leur flambeau, et moins encore éteint leur flambeau d'une étrange sorte. Il était si aisé de mettre : De ses malheureux jours s'est éteint le flambeau, qu'on voit bien que l'auteur n'a pas mis une dernière main à ses pièces. (L..R.) OLYMPE. Elle-même, seigneur, s'est ouvert le tombeau; ANTIGONE. Elle a su prévenir la perte de son fils. CRÉON. Ah, madame! il est vrai que les dieux ennemis... ANTIGONE. N'imputez qu'à vous seul la mort du roi mon frère, A ce combat fatal vous seul l'avez conduit : Il a cru vos conseils; sa mort en est le fruit. Mais les rois, en tombant, entraînent leurs flatteurs'. Madame, je l'avoue; et les destins contraires 'Olympe n'est guère plus éloquente dans le récit de la mort de Jocaste que dans celui de la mort d'Antigone: la versification est lourde, la phrase embarrassée et sans aucune élégance. (G.) — De plus, ce vers manque de correction : Elle en a terminé ses malheurs et sa vie. On ne dit pas terminer ses malheurs d'un poignard, mais d'un coup de poignard. 2 Racine a depuis employé la même pensée d'une manière plus forte et plus brillante, dans la scène du quatrième acte de Phèdre. Mais je ne sais s'il n'est pas ici plus profond, et s'il n'a pas relevé son invective contre les flatteurs par cette idée nouvelle, que les flatteurs sont eux-mêmes enveloppés dans la ruine des rois qu'ils ont perdus. (G.) ANTIGONE. Mes frères et vos fils! dieux! que veut ce discours 1? CRÉON. Mais ne savez-vous pas cette sanglante histoire? ANTIGONE. J'ai su que Polynice a gagné la victoire, CRÉON. Madame, ce combat est bien plus inhumain. ANTIGONE. Rigoureuse Fortune, achève ton courroux!. Vous avez vu, madame, avec quelle furie Ils ont choisi d'abord, pour leur champ de bataille, Un lieu près des deux camps, au pied de la muraille. 1 Que veut ce discours, pour que veut dire, ou que signifie, n'est pas une phrase française, quoiqu'on la trouve encore quelquefois dans les poëtes contemporains de Racine. (L.) — Quelques vers plus bas, on a blâmé avec raison achever un courroux, qui ne peut se dire en français. (G.) Que d'une égale ardeur ils y couraient tous deux. 2 VAR. 3 On peut remarquer cette mauvaise rime de réunis avec amis, dans un poëte qui a toujours si bien rimé. Manquer à la rime en français, dit Jean-Baptiste Rousseau, c'est pécher contre la mesure du vers en latin. (L. B.) RACINE, T. 1. 16 C'est là que, reprenant leur première fureur, Tous deux semblent courir au-devant du trépas. Soit qu'il cherchât son frère, ou ce fils malheureux, ANTIGONE. Et la douleur encor ne me l'a pas ravie! CRÉON. J'y cours, je le relève, et le prends dans mes bras ; 'Voltaire a pris ces deux vers presque tout entiers, mais pourtant en corrigeant le premier hémistiche : 2 VAR. D'un bras déterminé, d'un œil brûlant de rage, Henriade. (L.) Leurs ordres absolus qui nous retenaient tous. 3 Il fallait près de rendre la vie : le mot près est ici préposition, et non pas adjectif. Il signifie sur le point de, et non disposé à. La même faute se retrouve deux fois dans cette scène, et plusieurs fois dans les autres pièces de Racine. La règle qui détermine l'emploi de ce mot n'a été établie que longtemps après. |