L'amour ne règle pas le sort d'une princesse : ORESTE. Ah! que vous saviez bien, cruelle... Mais, madame, SCÈNE III. HERMIONE, CLÉONE. HERMIONE. Attendais-tu, Cléone, un courroux si modeste? CLÉONE. La douleur qui se tait n'en est que plus funeste. HERMIONE. Tu crois que Pyrrhus craint? Et que craint-il encor? Non, Cléone, il n'est point ennemi de lui-même ; Il veut tout ce qu'il fait; et, s'il m'épouse, il m'aime. Mais qu'Oreste à son gré m'impute ses douleurs; N'avons-nous d'entretien que celui de ses pleurs? Pyrrhus revient à nous! Hé bien! chère Cléone, Conçois-tu les transports de l'heureuse Hermione? Sais-tu quel est Pyrrhus? T'es-tu fait raconter Le nombre des exploits... Mais qui les peut compter? Intrépide, et partout suivi de la victoire, Charmant, fidèle enfin : rien ne manque à sa gloire1. Songe... CLÉONE. Dissimulez votre rivale en pleurs Vient à vos pieds, sans doute, apporter ses douleurs. HERMIONE. Dieux! ne puis-je à ma joie abandonner mon âme? 'Pyrrhus n'a plus que des perfections, quand Hermione croit qu'il revient à elle : c'est ainsi qu'Agrippine, qui ne voit que des vices dans son fils quand elle est sans crédit, change de ton quand elle croit revenir en faveur, et dit de lui : Non, il le faut ici confesser à sa gloire, Son cœur n'enferme pas une malice noire. (L. R.) Ce caractère d'Hermione est une des plus étonnantes créations de Racine; c'est le triomphe d'un art sublime et nouveau. J'oserai dire à ceux qui refusent à Racine le titre de créateur: Où est le modèle d'Hermione? où avait-on vu, avant Racine, ce développement vaste et profond des replis du cœur humain, ce flux et reflux si continuel et si orageux de toutes les passions qui peuvent bouleverser une âme altière et blessée, ces mouvements opposés et rapides qui se croisent comme des éclairs, ce passage si prompt de toutes les imprécations de la haine à toutes les tendresses de l'amour, des effusions de la joie aux transports de la fureur, de l'indifférence et du mépris affectés au désespoir qui se répand en plaintes, en reproches, et en menaces? (L.) SCÈNE IV. ANDROMAQUE, HERMIONE, CLÉONE, ANDROMAQUE. Où fuyez-vous, madame? N'est-ce pas à vos yeux un spectacle assez doux Que la veuve d'Hector pleurante à vos genoux? Je ne viens point ici, par de jalouses larmes, Vous envier un cœur qui se rend à vos charmes. Par une main cruelle, hélas! j'ai vu percer' Le seul où mes regards prétendaient s'adresser : Ma flamme par Hector fut jadis allumée; Avec lui dans la tombe elle s'est enfermée2. Mais il me reste un fils. Vous saurez quelque jour, Madame, pour un fils jusqu'où va notre amour"; Mais vous ne saurez pas, du moins je le souhaite, En quel trouble mortel son intérêt nous jette, Lorsque de tant de biens qui pouvaient nous flatter, C'est le seul qui nous reste, et qu'on veut nous l'ôter. 1 VAR. 2 Par les mains de son père, hélas ! j'ai vu percer... Ce sentiment est exprimé dans ces vers de Didon (Æneid., lib. IV, v. 28 et 29): « Ille meos primus qui me sibi junxit amores « Abstulit: ille habeat secum, servetque sepulchro. » « Le premier dont je reçus les vœux eut toutes mes amours : qu'il les possède seul, et qu'elles soient renfermées dans sa tombe! >> * Ces vers sont une espèce d'imitation des Trachiniennes de Sophocle. Déjanire répond aux jeunes Trachiniennes : « Vous ignorez les chagrins que traîne après soi l'hyménée. Votre << âge ne vous permet pas encore de les connaître; mais vous saurez un « jour, par votre propre expérience, les alarmes qu'excitent dans le «< cœur d'une tendre épouse l'absence d'un mari qu'elle aime, et la << crainte de perdre des enfants chéris. » (L. B.) Hélas! lorsque, lassés de dix ans de misère, HERMIONE. Je conçois vos douleurs; mais un devoir austère, SCÈNE V. ANDROMAQUE, CÉPHISE. ANDROMAQUE, Quel mépris la cruelle attache à ses refus! CÉPHISE. Je croirais ses conseils, et je verrais Pyrrhus. 'Ironie amère et cruelle, qui fait désirer au spectateur l'humiliation d'une amante si orgueilleuse, et le triomphe de l'infortunée Andromaque. (G.) SCÈNE VI. PYRRHUS, ANDROMAQUE, PHOENIX, PYRRHUS, à Phœnix. Où donc est la princesse? Ne m'avais-tu pas dit qu'elle était en ces lieux1? Je le croyais, PHOENIX. ANDROMAQUE, à Céphise. Tu vois le pouvoir de mes yeux! PYRRHUS. Que dit-elle, Phoenix? ANDROMAQUE. Hélas! tout m'abandonne! PHOENIX. Allons, seigneur, marchons sur les pas d'Hermione. CÉPHISE. Qu'attendez-vous? Rompez ce silence obstiné". Il a promis mon fils. ANDROMAQUE. 'On a dit que Pyrrhus, feignant de chercher la fille d'Hélène, quoiqu'il voie Andromaque, est une scène de comédie. Si l'artifice était concerté, son affectation serait, en effet, du genre comique; mais les bienséances sont observées. C'est véritablement Phoenix qui conduisait son maître sur les pas d'Hermione, et c'est le hasard qui fait que dans ce même moment Hermione vient de céder la place à Andromaque. Dans cet instant de surprise, il est très-naturel que Pyrrhus hésite d'abord, et que l'amour profite d'un contre-temps sans l'avoir arrangé. Cet incident, qui amène une nouvelle explication entre Pyrrhus et Andromaque, sans que ni l'un ni l'autre soit compromis, paraît à la fois naturel et fort heureusement imaginé. Le poëte continue ainsi à mener son action par les mêmes moyens, ceux des caractères et de la passion; mais il ménage adroitement des circonstances qui favorisent ces moyens, et le font rentrer dans les bienséances de la tragédie. (L.) 2 VAR. Qu'attendez-vous? Forcez ce silence obstiné. |