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La République de Montferrand

Au XVe siècle

On sait que les libertés communales étaient très développées dans le diocèse de Maguelone, et que bien rares étaient les communautés qui, comme Beaulieu par exemple, attendirent la fin du XVe siècle pour se soustraire à l'autorité du seigneur, et gérer elles-mêmes leurs intérêts. Cette étude que nous ferons un jour présentera le plus grand intérêt. D'une manière générale, les syndics étaient élus pour un an, ainsi que leurs conseillers, et la communauté, communitas, universitas ne dépassait pas les limites de la paroisse.

Or, à cette règle que nous croyons générale, il y a cependant une exception. Il y avait dans le diocèse de Maguelone une petite république, ayant ses libertés et ses franchises, élisant ses syndics avec leurs conseillers tous les deux ans, et groupant dans un même intérêt au moins une douzaine de paroisses: c'était la république de Montferrand.

Sa capitale était les Matelles. Ses limites? Nous allons tâcher de les fixer le plus exactement que nous pourrons, soit à l'aide de documents déjà édités, soit surtout à l'aide de documents plus détaillés que nous avons trouvés.

La république de Montferrand doit remonter aux premières années du XIVe siècle. C'était le vrai comté de Montferrand, le noyau véritable autour duquel se groupaient d'autres juridictions.

Le premier acte que nous connaissons, prouvant l'existence de cette confédération est de 1276 (édité par Germain, Étude Historique sur les comtes de Maguelone, etc.,

pièces justif. p. 116.) D'après cet acte, la confédération ne comprend que six paroisses: Valflaunès, Treviès, SaintJean-de-Cucules, Saint-Sébastien-de-Cassanhas, SaintGely-du-Fesc, et Saint-Etienne-de-Casevieille; plus deux petites villes, villulis, Combaillaux et Saint-Clément. On remarquera que dans cet acte il n'est pas question des Matelles.

Un acte de 1307 est plus explicite à propos de cette dernière paroisse; dans cet acte, dont nous parlerons plus amplement tout à l'heure, nous ne voyons figurer que Guillaume du Triadou, de Cassanhas; Pierre Gervais, de Saint-Clément; Pierre de Lambruscal, de Combaillaux; Jacques de Abrolhano, de Treviès; Deodat de Buxeto, de Valflaunès, et maître Guillaume Deltour, de Turre, notaire des Matelles. On pourra peut-être nous alléguer que ce dernier ne figure ici que grâce à son titre. Ce serait une erreur : l'acte en effet nous semble montrer que ce notaire des Matelles n'est pas le notaire officiel de l'évêque : tous ces hommes traitent des intérêts de la vallée avec l'évêque, en présence de Durand del Thyure, notaire de Montferrand; pro vobis ipsis et aliis hominibus dicte vallis, presentibus et futuris, et tibi Durante del Thyure, notario curie nostre Montisferrandi. (Germain, op. cit., p. 121).

Ces deux documents publiés par M. Germain sont assez vagues, et ne peuvent nous permettre de fixer exactement les limites de la petite république de Montferrand. Heureusement que nous avons trouvé des actes plus explicites; grâce à eux nous pourrons déterminer ces limites.

D'abord l'acte d'élection des syndics, en 1468, mentionne dix paroisses les Matelles, Viols, Saint-Jean-de-Cuculles, Saint-Martin-de-Tréviès, Valflaunès, Saint-Etienne-de-Cazevieille, Saint-Gély-du-Fesc, Combaillaux, Saint-Clément et Saint-Vincent-de-Barbayrargues. (Marcel Robaud, not. 1468, no 25, fol. 39).

Remarquons tout d'abord que Combaillaux n'est pas encore une paroisse, comme nous l'avons dit (Revue no 3, p. 148). Ensuite cet acte ne nous donne pas les limites exactes de la république de Montferrand au XVe siècle. Il est certain que, vers le nord-ouest, elle dépassait la paroisse de SaintEtienne-de-Cazevieille. Le mas de Byzanques, que nous n'hésitons pas, d'après Thomas (Dict. topog. de l'Hérault,

art. Biranque), à identifier avec le Biranque actuel, faisait partie de la confédération. Cela ressort de plusieurs actcs, en particulier de l'acte d'élection des syndics en 1470, à laquelle prend part un électeur de ce mas (Marcel Robaud, not. 1474-1475, no 27, fol. 145).

Vers l'est, nous devons ajouter deux paroisses: celle de Saint-Mathieu-de-Tréviès et celle du Triadou ou SaintSébastien-de-Cassanhas. Cette dernière est mentionnée dans les actes de 1276 et de 1307, et non dans l'acte de 1468; mais il n'y a pas de doute que, au XVe siècle, le Triadou ou Saint-Sébastien-de-Cassanhas fit partie de la république. En effet, lors de l'élection de 1456, nous relevons parmi les électeurs un homme de Triadou, de Triatorio (Marcel Robaud, not. 1456, no 21, fol. 40), et dans un acte du 22 février 1469 (1470) nous trouvons parmi les consuls modernes de cette République, Guillaume Deltour, du Triadou (Marcel Robaud, not. 1469 no 26, fol. 51).

Saint-Mathieu-de-Tréviès formait aussi au XVe siècle, avec N.-D.-de-Cesselès, une seule paroisse. Elle aussi était comprise dans la confédération de Montferrand. En 1468, en effet, nous trouvons parmi les conseillers élus, Jean Montet, de Saint-Mathieu (Marcel Robaud, 1468 n° 25, fol. 35).

Ajoutons-y enfin la paroisse de Saint-Sauveur-du-Pin. En 1456, parmi les consuls modernes, nous voyons figurer un Jean Proset, de la Grange-du-Pin : ce mas faisait partie de la paroisse de Saint-Sauveur. (Marcel Robaud, 1456, no 25, fol. 37).

Ainsi donc, à peu de choses près, la république de Montferrand comprenait le canton actuel des Matelles, excepté Murles, Prades, Saint-Bauzille-de-Montmel et Vailhauquès. Il faut y ajouter Viols, actuellement du canton de Saint-Martin-de-Londres.

Les limites nous semblent donc assez bien circonscrites. Entrons maintenant dans la vie même de la petite république, et voyons d'abord ses libertés et ses franchises, telles que les lui accordèrent les évêques de Maguelone, puis l'administration de la république et ses dépendances vis à vis de son protecteur, l'évêque comte de Montferrand; enfin, le mode d'élection des syndics, leur nombre et leurs droits.

C'est un proverbe de nos pères qu'il faisait bon vivre

sous la crosse. Nous allons voir que nos évêques furent, pour les habitants de cette vallée, de véritables pères de famille.

Le premier qui leur accorda des privilèges et des franchises fut Béranger de Frédol, évêque de Maguelone pendant 33 ans, de 1263 à 1296. Par un acte, donné au Terral, le 15 des kalendes d'août 1276 (18 juillet 1276), il accorda trois franchises.

La première, dont l'importance n'échappera à personne, et que leurs descendants ne possèdent plus, fut la suppression des droits de lods que percevait le seigneur à l'occasion des partages des biens paternels, maternels ou tous autres, faits entre frères.

La deuxième se rapporte au droit de mouture des blés. Désormais les habitants, qui doivent faire moudre leur blé aux moulins du seigneur-évêque, ne paieront que la vingtième partie.

Enfin les habitants de Montferrand auront les mêmes poids et les mêmes mesures que les habitants de Melgueil. (Germain, op. cit. pièces just. pp. 116 et 117).

Quelques années plus tard, le 10 des kalendes de juillet 1285 (22 juin 1285), ce même évêque accorda d'autres privilèges qui marquent un progrès social remarquable, et aussi le grand intérêt que prenait le seigneur-évêque à ce que le peuple ne fut pas pressuré par les seigneurs subal

ternes.

Désormais on ne pourra détenir dans les prisons de Montferrand un prévenu quelconque, à moins qu'il n'ait été arrêté pour un crime entraînant la mort et la mutilation, à condition que, dans les huit jours de son arrestation, il fournisse des cautions.

On ne pourra plus désormais prendre des gages sur les bœufs, les mulets ou autres animaux, pourvu que le condamné consente à donner d'autres cautions. De même si les officiers de la curie de Montferrand doivent prendre des gages sur les habitants, à cause du ban, du cens, des usages ou droits de lods, qu'ils auraient refusé de payer, ces officiers ne peuvent le faire sans accorder un délai de quinze jours; si dans cet espace de temps, les habitants ont satisfait, on ne peut les obliger à payer les frais, qu'après les quinze jours écoulés; ils les paieront ensuite d'après l'estimation qui en sera faite par la curie de Montferrand.

Aucun habitant de la confédération, qui sera assigné devant l'official de Maguelone, ne pourra être appelé pour la même cause devant le baile de Montferrand.

Avant de faire connaitre la dernière franchise, nous devons donner quelques courtes explications.

Parfois l'évêque donnait, sous la redevance de quelques albergues, une partie plus ou moins grande de son comté à quelque chevalier, véritable seigneur subalterne. Celui-ci pressurait les habitants, en augmentant surtout le cens ou usage que chaque propriétaire devait payer à l'évêquecomte avant l'inféodation. Les habitants de la petite république avaient eu sans doute à se plaindre de ces petits seigneurs aussi recoururent-ils à l'évêque-comte, leur véritable souverain, et lui demandèrent protection.

Béranger de Frédol s'empressa de faire droit à leurs réclamations, et leur accorda le statut suivant. Dorénavant aucun de ces seigneurs ne pourra, à quelque occasion et sous quelque prétexte que ce soit, augmenter le cens ou usage, mais devra se contenter de percevoir celui qui a été fixé, à chaque propriétaire, pour chaque champ par les actes anciens, ou d'après la coutume. (Germain, op. cit. pièces just. p. 119).

Béranger de Frédol ne devait pas terminer son long épiscopat sans accorder encore de nouvelles franchises aux habitants de la vallée de Montferrand. Nous avons encore de lui un acte du 16 des kalendes de janvier 1293 (17 décembre 1292).

Jusqu'ici c'était une coutume que l'évêque fournisse les subsistances aux gens de la vallée qu'il appelait sous les armes; cette coutume, il la reconnait obligatoire pour lui et

ses successeurs.

Nous avons vu plus haut que l'évêque, sans doute pour introduire plus d'unité dans son comté, et par là favoriser les relations commerciales, avait imposé en 1276 les mesures de Melgueil au comté de Montferrand. Ce progrès était à signaler de la part de nos évêques, mais le peuple n'en voulait pas; déjà Béranger de Frédol avait dû faire publier, sur les instances du peuple, que les anciennes mesures pour le vin, le blé et l'huile seraient de nouveau en usage; aujourd'hui, pour tranquilliser les habitants, il annule l'acte de 1276 et leur reconnaît le droit de se servir de leurs anciennes mesures.

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